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Le destin des députés du premier Soviet Suprême de Moldavie

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Les membres de Sfatul Tarii (nom de l’organe législatif du pays élu en 1917) qui ont voté le 27 mars 1918 l’unification de la Bessarabie avec la Roumanie ont été déportés au goulag par les soviétiques, alors que les Roumains les avaient jugés reposant en liberté.

Staline : « L’essentiel ce n’est pas comment on vote, l’essentiel c’est qui compte les voix ».

Dans la première moitié du XX-ième siècle, il y avait deux corps législatifs sur le territoire entre les rivières Prut et Nistru (Dniestr). Sfatul Tarii a été élu en automne 1917, tandis que le 12 janvier 1941, les habitants de la République Soviétique Socialiste Moldave votaient leurs représentants dans le corps législatif de type soviétique nouvellement créé – le Soviet Suprême. Le destin des députés du Sfatul Tarii et de celui du Soviet Suprême de la RSS Moldave a été différent.

Dans une « atmosphère de fête », comme le décrivait les journaux de cette époque-là, le 12 janvier 1941, les habitants de la RSS Moldave ont élu leurs représentants dans le Soviet Suprême de la nouvelle république-sœur. Les résultats de l’« élection » étaient connus d’avance : 99.99 % d’habitants de la RSS Moldave ont donné leur vote pour « le bloque communiste et pour ceux sans appartenance politique ».

Les élus du peuple n’ont pas disposé de temps pour travailler. Lors de quelques mois, avant le début les opérations militaires sur les bords de la rivière Prut, ils se sont vivement impliqués dans des processus de nationalisation, ont participé à la déportation des « boyards « en Sibérie, à la fermeture ou à la profanation des églises. Ils ont fait de la propagande communiste, ont confisqué des biens matériels (les fortunes), ont mobilisé des forces et ont réquisitionné des produits alimentaires et des animaux pour l’Armée Rouge.

Après le 22 juin 1941, la plus grande partie de députés de la RSS Moldave se sont retirés sur l’autre bord de la rivière Nistru (Dniestr) avec l’Armée Rouge. Dans les dossiers gardés dans le Dépôt Spécial du Service d’Information et de Sécurité (SIS) de la République de Moldavie, nous avons identifié 11 députés qui sont restés ici (dans le pays) après les opérations de libération de la Bessarabie. Pour les autorités roumaines, il n’a pas été difficile d’identifier les activistes soviétiques et de les transmettre aux mains de la justice.

Il y avait des décisions d’acquittement

Conformément aux informations des dossiers du SIS, les procès judiciaires ont été accessibles à tous. Il y avait un avocat, ainsi que des témoins qui étaient entendus, à différence des « troïkas » et des tribunaux militaires du NKVD qui jugeaient les gens pendant la nuit et signaient leurs sentences de mort. Beaucoup d’activistes soviétiques ont attendu leur sentence en état de liberté, chose inouïe chez les soviétiques. Les punitions appliquées aux accusés par les Roumains étaient différentes : de quelques mois jusqu’à 25 ans de prison. Mais il y avait beaucoup de cas d’acquittement dans la salle judiciaire.

Aucun député du Soviet Suprême de la RSS Moldave resté en Bessarabie et condamné par la justice roumaine n’a péri dans les prisons roumaines. Vers les mois d’août-septembre 1944, les députés étaient sains et saufs, déposant des témoignages contre leurs villageois qui avaient été témoins dans leur procès judiciaire.

Les députés du Sfatul Tarii ont eu un destin bien différent de ceux qui sont tombés dans les mains des « bolchéviques ». Vasile Tolmatchianov était originaire du village de Pélinei, district de Cahul (il habitait le village de Constantinovca, dans le même district) et il était un candidat idéal pour les soviétiques : il était pauvre, ne possédait pas de terres, était illettré, n’était pas membre d’un parti politique et il avait 5 enfants en bas âge. Aux élections du 12 janvier 1941, il a été élu député du Soviet Suprême de la RSS Moldave. En été de 1941, il s’est refugié avec l’Armée Rouge, mais il est revenu en automne dans son village natal. Il fut alors arrêté par les autorités roumaines et emprisonné pendant 2 semaines, interrogé plusieurs fois, puis libéré et contraint à se présenter 2 fois par semaine à la gendarmerie pour se faire remarquer. Vasile Tolmatchianov a été jugé par le Tribunal de Cahul en état de liberté et fut acquitté dans la salle de justice. En 1945, il était sain et sauf.

L’Armée Rouge les a libérés

Pendant la courte période de son mandat de député dans le Soviet Suprême, Nicolae Ghencea du village de Colibasi, district de Vulcanesti, se vit incriminer toutes les possibles infractions de la liste ci-dessus. Ghencea a été arrêté en hiver de l’année 1942 et emprisonné pour trois jours à la gendarmerie. Il a été interrogé plusieurs fois par le chef de la police, puis libéré jusqu’au procès judiciaire. Au début de l’année 1943, le tribunal militaire de Cahul l’a arrêté et incarcéré. L’Armée Rouge l’a libéré de la prison de Ramnicu Sarat (en Roumanie) en 1944. En 1944, il devint gardien de la Station de Camions et Tracteurs de son village.

Réunion électorale, 1940

Un autre député, Doroftei Tusca (né en 1905, dans le village de Durlesti, district de Chisinau), a travaillé ses terres jusqu’au 28 juin 1940, et le 12 janvier 1941 a été élu député dans le Soviet Suprême de la RSS Moldave. En automne de l’an 1941, il a été arrêté par les gendarmes, interrogé plusieurs fois, emprisonné pour 3 semaines, puis libéré jusqu’au procès judiciaire. Le Tribunal militaire l’a acquitté. Plus tard, dans un autre procès judiciaire, il a été enferme pour neuf mois et libéré de nouveau. En 1953, Doroftei Tusca fut une nouvelle fois impliqué dans un procès – cette fois-là un procès contre un de ses villageois qui l’avait, semble-t-il, dénoncé aux autorités roumaines.

Pavel Pociumban a vécu la même histoire. Jusqu’au 28 juin 1941, il travaillait comme agriculteur dans le village de Cubani, district de Balotina. En février 1941, il fut élu comme président du Soviet du village, après avoir été élu comme Député dans le Soviet Suprême de la RSSM un mois auparavant. En automne de l’année 1941, il fut arrêté. Un tribunal militaire l’a condamné à 25 ans de prison. Il est resté en prison jusqu’au 28 août 1944 et libéré par l’Armée Rouge. En 1951, il était kolkhozien dans son village natal et il fut appelé comme témoin dans un procès judiciaire.

Efimia Todirasco a été élue députée dans le Soviet Suprême de la RSS Moldave dans la circonscription Susleni, district de Orhei. En automne de l’an 1941, elle a été arrêtée par les autorités roumaines. Son premier procès judiciaire a fini par la condamner à payer 11 000 lei au profit de l’Etat, mais elle ne les a pas payés, bénéficiant du décret royal d’amnistie. Le deuxième procès a débuté en août 1943. Todirasco fut condamnée à la déportation. La sentence a été envoyée à Bucarest pour approbation. La réponse ne fut envoyée qu’en janvier 1944. Pendant ce temps-là, Efimia Todirasco était en liberté. Elle est ensuite arrêtée pour exécuter la sentence, mais comme elle avait déjà un bébé, un major de la gendarmerie d’Orhei l’a renvoyée chez elle. En 1945, elle est appelée comme témoin dans un procès fabriqué par le NKVD contre certains villageois.

En 1945, des anciens députés étaient nommés chefs des soviets de villages et de kolkhozes

Le village de Cepeleuti, dans le district de Edinet était représenté dans le Soviet Suprême de la RSS Moldave par Nadejda Fedas. Le 17 août 1941, elle fut incarcérée pendant trois jours, puis libérée. Le 25 septembre 1941 a eu lieu la première assise judiciaire à Briceni, sans que les juges prennent une décision. Elle fut renvoyée chez elle. Le 4 août 1942, Nadejda Fedes fut condamnée à la prison. Elle s’est retrouvée emprisonnée pendant 3,5mois, jusqu’au 25 novembre 1942, puis libérée. En 1946, elle exerçait la fonction de présidente intérimaire du soviet du village de Cepeleuti.

Olga Jitari venait d’une famille pauvre de paysans du village de Capriana, district de Straseni. Elle n’était pas instruite, ce qui favorisa son élection dans le Soviet Suprême de la RSS Moldave. Entre janvier et juin 1941, elle a été une des activistes communistes du village. Début août 1941, elle a été arrêtée, interrogée, puis libérée jusqu’au procès judiciaire. Ce même automne-là, elle fut condamnée à 5 années de prison. Le 1 septembre 1944, elle fut libérée par l’Armée Rouge. Une année plus tard, elle fut nommée chef de l’entreprise sylvicole de Capriana.

Pendant la période juin 1940-juillet 1941, Cozma Jurjiu a été l’un des organisateurs, puis le président du kolkhoze du village de Dolna, district de Nisporeni. En 1941, il fut élu député du Soviet Suprême de RSS Moldave. Les autorités roumaines le condamnèrent à trois ans de prison et à payer une amende de 21 000 lei. Après la guerre, il devint le chef-adjoint du directeur du sovkhoze « Moldova » du village de Dolna.

Trofim Puiu a été président du Soviet du village de Prajila, district de Floresti et député du Soviet Suprême de la RSS Moldave. En automne de l’année 1941, les autorités roumaines l’ont arrêté et incarcéré pendant trois jours, puis libéré. Après, il fut de nouveau emprisonné pour sept jours et de nouveau libéré. En 1945, il fut appelé comme témoin dans un procès contre un de ses villageois qui l’aurait dénoncé aux autorités roumaines.

Seulement Pan Halippa a survécu au goulag

En automne de l’année 1917, des élections pour Sfatul Tarii ont été organisées afin de mettre en place le corps représentatif de la Bessarabie, puis, le 27 mars 1918, celui-ci a voté l’Unification de la province avec la Roumanie. 22 ans après cet événement, le 28 juin 1940, les députés du Sfatul Tarii restés en Bessarabie furent arrêtés par les soviétiques et envoyés au goulag.

Il s’agit tout d’abord de 12 députés capturés par le NKVD en juillet-août 1941, tous incorporés dans le fameux dossier 824. Deux d’entre eux moururent dans la prison nr. 1 de Chisinau - Teodor Uncu et Teodosie Cojocaru. Un autre député, Pantelimon Sinadino, n’atteignit pas le goulag, mourant en chemin lors de l’évacuation. Quatre de ses amis moururent dans le goulag de Penza : Stefan Botnariuc, Teodor Neaga, Nicolae Secara et Grigore Turcuman. Quatre autres sont morts dans le pénitentiaire de la ville de Cistopol, en République Tatare : Alexandru Baltaga, Vladimir Bodescu, Constantin Bivol et Ion Ignatiuc.

Au moins 30 membres du Sfatul Tarii ont péri dans des camps de concentration

Les communistes ont envoyé au goulag tous les députés, même ceux qui avaient voté contre l’acte d’unification de la Bessarabie à la Roumanie : Stefan Balamez et Arcadie Osmolovschi. La liste est suivie par 16 autres députés qui ne sont jamais revenus du goulag soviétique. Seuls trois députés du Sfatul Tarii capturés par les soviétiques réussirent à survivre. En mai 1941, Ion Codreanu fut échangé contre la renommée membre de Komintern Ana Pauker, tandis que Dumitru Groapa a réussi à obtenir le rapatriement en Roumanie le 27 mai 1941. Pantelimon Halippa fut arrêté en 1952, puis transféré en URSS et condamné à 25 ans de goulag. Il est finalement libéré en 1953 et expulsé en Roumanie.

Article par Mihai Ţaşcă, repris sur le site http://www.adevarul.ro/moldova

Traduction – Nina Tampiza.

Relecture – Aurélie Bouffard.

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