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Les médias dans la construction d’une identité européenne en Moldavie (I)

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Cet article qui est adapté d’après une étude publiée en septembre 2014 dans Studia Universitatis/Studia Europaea, revue scientifique de l’Université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca, en Roumanie, constitue la première partie d’une ample analyse des évolutions récentes des mass-média moldaves.

L’auteur de l’article, Vincent Henry, est doctorant en sciences politiques à l’Université Paris-Est. Diplômé de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (Paris), il est aujourd’hui chargé de mission auprès de l’Institut Français de Roumanie. Il a mené l’essentiel de sa carrière professionnelle en Europe centrale et orientale, ayant successivement travaillé pour les services culturels de l’Ambassade de France en Bulgarie, en Moldavie, puis en Roumanie, avant d’intégrer le Bureau Europe centrale et orientale de l’Agence universitaire de la Francophonie où il a été conseiller pédagogique, puis directeur des programmes. Il est correspondant régulier pour la revue en ligne “Regard sur l’Est”.

Partie I : La période d’après l’indépendance : 1992-2001

La Moldavie est indépendante depuis un peu plus de vingt ans. Après avoir longtemps oscillé entre le monde russe et l’espace européen, le pays semble avoir pris depuis quelques années une orientation européenne définitive. Ce court article propose un bref état des lieux des médias en Moldavie, il revient sur leur évolution depuis l’indépendance et s’interroge sur leur rôle dans la démocratisation de la société et plus précisément dans la compréhension des enjeux européens. Il étudie les spécificités de ces médias moldaves, leurs évolutions récentes ainsi que les principaux obstacles qu’ils rencontrent pour devenir des sources d’information libres et objectives et remplir ainsi pleinement leur rôle dans une société encore profondément marquée par la transition post-soviétique.

Les Moldaves sont en effet divisés sur des sujets aussi variés que le nom de leur langue nationale, leur histoire, leurs rapports avec les pays voisins, la religion elle-même n’échappant pas à ces divisions. On comprendra donc que les médias sont également partie prenante de ces dissensions identitaires car ils se sont constitués et organisés en suivant les grandes lignes de failles de la société moldave.

Tout comme les partis politiques, les médias sont organisés selon cette structuration polarisée de la société. Un court historique de l’évolution des médias depuis l’indépendance nous permettra de comprendre les enjeux et les difficultés auxquelles sont confrontés les médias. On distinguera trois grandes périodes :

Après l’indépendance : 1992-2001

La libéralisation des médias va de pair avec la marche vers l’indépendance du pays : dès 1990, le Soviet Suprême de la RSSM adopte un acte sur la presse et les médias, envisageant la fin du contrôle politique sur les publications des journalistes. Les médias libres apparaissent et servent dans les premières années de l’indépendance, marquées par la violence du conflit transnistrien, à chacun des groupes décrits plus haut à s’exprimer, mais aussi à se rassembler et à se définir. Les moyens techniques et financiers restent cependant très faibles, la publicité notamment est quasiment inexistante. Très vite la question de l’indépendance des médias se pose.

L’intérêt politique et les ressources financières publiques vont se concentrer sur la télévision et la radio d’Etat. En 1994, la compagnie d’Etat "Téléradio-Moldova » est créée. Directement placée sous le contrôle de la Présidence de la République, elle est en outre chargée d’attribuer les fréquences de radio et de télévision. La télévision et la radio d’Etat sont les seuls médias capables de toucher l’ensemble du territoire, de ce fait ils vont devenir un enjeu absolument majeur pour les gouvernements successifs. La compagnie « Téléradio-Moldova », marquée par le récent passé soviétique et statutairement proche du pouvoir, se fera, peu ou prou, porte-parole peu critique des gouvernements en place.

Dans les grandes villes, les cablos-opérateurs vont révolutionner le paysage médiatique et l’accès à l’information. Ils vont illustrer et contribuer à une des principales caractéristiques du paysage médiatique moldave : l’importante présence des médias étrangers avec une très forte influence des deux pays les plus impliqués dans l’imbroglio géopolitique dans lequel se débat le jeune pays - la Roumanie et la Fédération de Russie. Les téléspectateurs urbains ont, au milieu des années 90, la possibilité de choisir entre TVR (Televiziunea Romana), Pro TV Chisinau, Antena 1 d’une part ou ORT, NTV, Planeta d’autre part.

Du côté de la presse écrite, les journaux de langue russe vont vite prendre une longueur d’avance. Une presse autochtone en russe se développe, mais les grands journaux moscovites sont également directement distribués et vendus dans les kiosques des villes moldaves, certains titres vont même développer des éditions locales comme la Komsomolskaia pravda. D’autres journaux vont soutenir le camp pro-roumain. C’est notamment le cas de l’influent Timpul ou de l’élitiste Contrafort qui s’imposent comme les références de l’élite intellectuelle pro-roumaine.

Timpul et Contrafort illustrent une autre caractéristique des médias moldaves : L’opacité des sources de financement. Les deux journaux susmentionnés sont en effet soutenus plus ou moins directement par la Roumanie.

Entre presse russe et presse ouvertement pro-roumaine, d’autres titres voient le jour, plus en phase avec le dessein politique du pouvoir en place après le référendum de 1994 sur l’indépendance ; celui d’une affirmation de l’indépendance du pays.

Ce sera le rôle assigné à un journal historique, l’ancien Plugarul rosu de la RSSM fondé en 1920, devenu Moldova socialista après la seconde guerre mondiale. Renommé Moldova Suverana, ce journal soutenu par l’Etat devient le porte-parole officieux du pouvoir en place. En 1994, il atteint un tirage de 100 000 exemplaires. Le journal Nezavisimaja Moldova sera son équivalent en langue russe.

Les partis d’opposition s’appuient sur d’autres titres comme Mesagerul. Le quotidien Saptamana est lui proche de celui qui, au sein même du parti présidentiel, s’affirme comme le principal opposant à Mircea Snegur, Petru Lucinschi .

En 1995 apparaît un autre journal à grand tirage qui tente d’adopter une ligne éditoriale plus neutre, Flux, adossé au premier grand groupe de presse autochtone. Les années 1990, voit aussi la naissance la première agence de presse locale indépendante, Basapress.

La proximité de la presse et des médias avec les principaux leaders politiques, les relations tendues entre des politiciens peu habitués à la critique et des journalistes souvent peu tempérés font parfois du paysage médiatique un lieu de conflits peu démocratiques. A la fin de l’année 1995, des journalistes d’opposition sont violemment agressés et le directeur-adjoint de la chaîne de télévision Catalan TV brièvement enlevé. Ces attaques contre la liberté d’expression, encore mal élucidée aujourd’hui, amèneront le Parlement à adopter une charte des activités médiatiques en octobre 1996. Une charte qui leur garantit théoriquement une meilleure protection et un droit à la libre-expression renforcé.

(1) « Le laboureur rouge »

(2) « Moldavie souveraine »

(3) Le Parti Agrarien de Moldavie

(4) Petru Lucinschi sera élu Président de la République en décembre 1996.

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