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Compte rendu de rencontres avec les leaders de l’opposition moldave

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Article par Gilles Ribardière

Docteur en Sciences Politiques

Juin 2009

On ne peut venir à Chisinau en ignorant l’état de déliquescence économique et sociale dans lequel se trouve le pays dont elle est la capitale. Il s’ensuit une misère qu’il faut savoir saisir, tout en posant un regard admiratif sur tous ceux qui dignement croient en l’avenir de la Moldavie et agissent à cet effet.

Si on ne sort pas du périmètre de l’hyper centre de la capitale, on aura l’image d’une ville séduisante au milieu de parcs ombragés, avec des avenues sans doute au bitume déficient, mais bordées de beaux arbres.

Maisons basses et immeubles alternent, dans un état parfois vétuste….Mais rien à voir avec ce que l’on trouve au fur et à mesure que l’on s’écarte de ce centre ; l’habitat se révèle alors le plus souvent dans un état de délabrement avancé, les immeubles offrant des façades dont des pans entiers de ciment se sont détachés.

Et pourtant on prétend que Chisinau est une vitrine séduisante comparée plus particulièrement aux villages d’où suinte la plus grande misère. Mais c’est un fait : ce pays, si proche de nous, qui a une frontière commune avec l’Union Européenne, est le plus pauvre d’Europe. En conséquence, près du quart de la population a dû se résoudre à partir afin de ne pas seulement « survivre », verbe que j’ai entendu de nombreuses fois !

C’est dans cette situation économique et sociale peu engageante que le pays fait face à une crise politique assez complexe à saisir, tant le jeu des partis peut être lié à des relations interpersonnelles, avec des transferts d’une organisation à l’autre qui sèment quelque peu le trouble.

Les quelques jours passés à Chisinau m’ont permis d’être le témoin direct d’événements qui font suite à l’épisode des élections du 5 avril 2009 dont les résultats furent contestés par l’opposition, avec des manifestations les 6 et 7 avril, cette dernière date ayant été marquée par de graves incidents – incendie du parlement et de la présidence – et une répression sévère qui paraît avoir traumatisé une part de la population.

A mon arrivée la situation était dans une impasse. La majorité qualifiée au parlement pour désigner le Président de la République n’avait pu être atteinte. On s’attendait donc, selon les termes de la constitution, que le Président actuel, Vladimir Voronin, signe un décret de dissolution du parlement, ce qui ouvrirait un délai de 45 jours avant un nouveau scrutin. Le texte fut signé le 15 juin.

C’est donc dans ce climat d’attente que j’ai pu rencontrer des leaders de deux partis d’opposition (Parti Démocrate et Parti Libéral). Il ne me fut pas possible de dialoguer avec un soutien du Parti Communiste avec lequel j’entretiens pourtant de bons rapports. Mais il semble que ce côté de l’échiquier répugne en ce moment à parler.

PARTI DEMOCRATE

Il n’est pas représenté au parlement sortant, car il n’a pas obtenu les 6% de voix requis pour obtenir des élus. Mais il le fut précédemment et connaît une importante implantation locale (environ 100 mairies).

C’est tout d’abord Oleg Serebrian, plutôt jeune (40 ans) avec lequel je me suis entretenu dans son bureau en présence de la photo de Robert Schuman, ce qui donne une claire indication de l’orientation de son engagement. Il est vice-président de son parti et, docteur en sciences politiques, assure des cours notamment à Nice et à Berlin.

Ainsi son discours a-t-il la rigueur universitaire, mais il n’oublie pas qu’il est engagé dans un combat politique. En préambule, il me donne la primeur d’une information : le président sortant du parlement, Marian Lupu, jusqu’ici membre du Parti Communiste, mais sur une orientation réformiste, démissionne de cette formation pour adhérer au Parti Démocratique dont il prendra la tête.

L’objectif est double : redonner à ce parti sa place, lancer l’intéressé dans la course à la présidence de la République. Marian Lupu est une personnalité estimée qui peut rassembler un front d’opposition face au candidat du Parti Communiste. (Toutefois certains se méfient de ce qui pourrait être une manœuvre du Parti Communiste pour faire maintenir son influence, Marian Lupu se révélant en fait faussement en rupture avec ses anciens camarades. Pour ma part, je n’y crois pas trop, sa rupture avec le Parti Communiste paraissant vraiment sincère et mûrie de longue date !…)

Après cette annonce, Oleg Serebrian me trace un paysage de la Moldavie qu’il estimera non pas pessimiste, mais réaliste. Selon lui, le clivage politique oscille entre deux minorités, d’un côté les pro-russes, de l’autre les rattachistes (favorables à un rattachement avec la Roumanie). Il y a donc place pour une démarche qui se focalise sur les questions sociales, sur les problèmes de la vie quotidienne.

Il estime que deux thèmes ne font plus recette : la récupération de la Transdniestrie et la corruption. La Transdniestrie n’intéresserait que 10% de la population, et selon lui son « indépendance » est un fait acquis, et il n’y a aucun intérêt à récupérer un territoire qui en matière économique ne fonctionne plus qu’à 20% de son potentiel.

Quant à la corruption, le parti qui en a fait son cheval de bataille n’a pas fait recette en voix, sans pour autant que cette pratique « d’état » soit admise. Mais il reconnaît que son pays traverse une période de faillite morale, constat fait du reste par tous mes interlocuteurs, qui rend ardue une construction positive de l’avenir.

Dumitru Diacov, président sortant du Parti Démocrate, a une longue expérience de la vie politique de la Moldavie, mais ses analyses sont bien dans le même esprit que celles de son jeune collègue. Il fait preuve d’un plus grand optimisme peut être, mettant beaucoup d’espoir dans l’arrivée, à sa place, du transfuge Marian Lupu.

Il expose avec réalisme la situation tragique de son pays, qu’il ressent particulièrement isolé sur la scène internationale. Ainsi déplore-t-il la tiédeur actuelle de l’Union Européenne, qui n’est pas prête à se fâcher avec la Russie, même si elle ne manifeste pas un grand intérêt pour la République de Moldavie d’après lui.

La Moldavie, estime-t-il, est victime à la fois de son organisation « à la soviétique » - le Maire de Chisinau me tiendra le même propos – , de sa structure démographique (21% de retraités) et de son économie.

Sur ce dernier point il rejoint totalement Oleg Serebrian qui d’une part soulignait que les sommes en provenance des Moldaves travaillant à l’étranger étaient deux fois supérieures au montant du budget de l’Etat, ce qui montrait bien le côté artificiel de l’économie du pays, et d’autre part décrivait la misère des villages dans lesquels sévit un chômage catastrophique.

Il dénonce aussi la mainmise du Parti Communiste à tous les niveaux de la société, à travers notamment les médias qu’il tient à 80%, empêchant tout pluralisme à la télévision publique (même dans l’avion, la seule presse à laquelle on a droit en roumain, « Moldova Suverana », est l’organe qui soutient le Parti Communiste !)

Malgré un contexte défavorable, Dumitru Diacov manifeste un bel optimisme. L’arrivée de Marian Lupu lui semble pouvoir ouvrir la voie à la désignation de celui-ci comme Président de la République les semaines à venir, et il me lance même une invitation à être le témoin de l’événement. A noter son vif sentiment francophile, qui lui fait encore plus regretter la tiédeur de l’Union Européenne et partant de la France dans la dénonciation des manquements au respect des règles de la démocratie par le pouvoir en place.

PARTI LIBERAL

Ce sont deux vice-présidents avec lesquels j’ai pu m’entretenir qui sont déjà totalement engagés dans la bataille législative à venir. A l’heure actuelle leur parti est une des principales forces d’opposition au parlement, avec en prime la Mairie de la capitale !

Corina Fusu est conseillère municipale. Epouse d’un metteur en scène important, qui a été co-auteur d’une pièce particulièrement forte, traduite en français, « Le septième Kafana » qui traite de la prostitution, elle émet les critiques les plus acerbes à l’égard du pouvoir actuel. Ainsi va-t-elle m’énumérer toutes les fraudes utilisées par le Parti Communiste :

  • listes électorales « gonflées » ;
  • votes multiples par une même personne, sachant que sur les cartes d’identité ne figure pas l’adresse ;
  • votes de personnes décédées.

Ensuite elle rend compte des événements qui ont suivi l’annonce des résultats des élections, insistant sur la provocation ourdie par le pouvoir en place ; ainsi considère-t-elle que l’assaut contre le parlement ne pouvait qu’être le fait de personnes connaissant parfaitement les lieux et non de jeunes qui spontanément auraient sans « guides » pénétré dans le bâtiment. Tout y a été méthodiquement cassé sans que la police n’intervienne (le parlement est à présent en reconstruction, ce qui détourne l’argent de l’Etat d’utilisations plus utiles à la société !). Le pire vint dans la nuit du 7 au 8 avril, avec des arrestations violentes et sans discernement.

Corina Fusu donne ensuite deux faits qui, selon elle, démontrent la nature « communiste » du régime : L’affaire du sapin de Noël : le Maire de Chisinau souhaitait placer un tel arbre à l’occasion du 25 décembre pour en faire un symbole d’ouverture vers l’Ouest ; le gouvernement en fit une affaire d’Etat et interdit le placement de cet arbre dans la place centrale de la ville. La Pâque Orthodoxe cette année coïncidait à quelques jours près avec l’anniversaire de la naissance de Lénine. Aussi le Président vint en matinée fleurir la statue du révolutionnaire, puis, pour faire bonne mesure, se rendit à l’église pour les cérémonies de Pâques ….

Pendant mon entretien avec Corina Fusu, alors que la procédure de convocation des électeurs n’était pas encore effective, le siège du parti où je me trouvais était en pleine effervescence ; des militants enthousiastes venaient chercher des tracts à distribuer à l’université, tous les bureaux étaient autant d’espaces de réunions improvisées, tandis qu’une salle accueillait une assemblée de nombreux militants où se définissait la stratégie pour les semaines à venir.

Enfin Corina Fusu me déclina les mesures qu’un gouvernement démocratique devrait prendre :

  • modifier les conditions d’utilisation de l’audio-visuel
  • modifier la loi électorale qui impose le plancher de 6% pour obtenir des élus
  • créer les conditions d’une véritable économie, sachant que la situation est déplorable (dette trois fois plus élevée que le budget de l’Etat)
  • réinstaurer la confiance pour attirer les investissements étrangers
  • établir des règles de fonctionnement de la justice conformes à la règle de la séparation des pouvoirs.

Dans son diagnostic, comme dans les solutions à apporter, elle rejoint Oleg Serebrian. Cela peut-il faciliter la formation d’un front cohérent face au Parti Communiste qui sinon peut profiter des divisions de ses adversaires ?

L’audience que m’a accordée Dorin Chirtoaca, le très jeune (30 ans) Maire de Chisinau fut la plus brève (15 minutes), mais la plus intense.

Cela tient à son charisme, à la force qui émane de sa personnalité. A coup sûr il est appelé à jouer un rôle majeur dans son pays, et même au-delà !

Cette impression de tension que j’ai ressentie était accentuée sans doute par la perspective de comparaître quelques instants plus tard devant la procurature, car il est accusé d’avoir œuvré contre la sécurité de l’Etat à la suite des élections d’avril….

Il prit le temps de me dénoncer les manœuvres d’un gouvernement qui ampute son budget de 50%. Il m’affirma que les services de police n’obéissent pas à ses ordres, qu’il a toutes les peines du monde à imposer son autorité sur les services municipaux dont les membres selon le modèle soviétique sont nommés par le gouvernement.

Il constate amèrement que son pays, bien que membre du Conseil de l’Europe, est loin de respecter les critères qu’exige cette institution en matière de justice, d’exercice de la démocratie.

Dorin Chirtoaca ne joue pas sur le clavier de la démagogie. Mais il porte les espoirs d’une jeunesse qui se retrouve en lui, ainsi que de nombreuses couches de la population ; sinon comment expliquer les 61% qu’il a obtenus aux élections municipales en 2007 ?

Sa popularité est incontestable ainsi que j’ai pu le constater à l’occasion d’une cérémonie à la mémoire du poète Mihai Eminescu. Une petite foule accueillit un ancien opposant rallié au Parti Communiste aux cris de « traitre », pour aussitôt ovationner le Maire à son arrivée.

A présent tous se mobilisent pour les élections. Le président Voronin a signé le décret de dissolution et les élections auront lieu le mercredi 29 juillet. Ce sera jour non-ouvrable.

La période des vacances selon certains permettra aux Moldaves travaillant à l’étranger mais venant à cette période rendre visite à leur famille de voter. Mais ceux qui seront encore dans leur pays d’accueil auront toutes les peines du monde à remplir leur devoir civique en milieu de semaine….C’est un fait que les votes des Moldaves partis à l’étranger seraient potentiellement plus favorables à l’opposition ; alors l’opposition s’inquiète.

Un optimiste pourtant - Oleg Serebrian - pense que les retraités et les fonctionnaires qui ne vont sans doute pas pouvoir être payés les semaines à venir, car les caisses sont vides, vont se retourner contre le pouvoir

Alors, le 29 juillet, les jeux sont-ils ouverts ?

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