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Retour en République de Moldavie : septembre 2009

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Article par Gilles Ribardière,

Docteur en Science Politique

Lors d’un séjour en juin dernier, régnait dans le milieu politique l’effervescence due à de nouvelles élections occasionnées par l’impossibilité pour le Parlement de désigner le Président de la République, malgré la forte majorité dont bénéficiait le Parti des Communistes de la République de Moldavie (PCRM).

Il manquait une voix, une seule petite voix, que l’opposition se garda bien d’ajouter à celles acquises au candidat du parti majoritaire.

J’avais alors souligné que le pays faisait preuve d’un réel respect des règles démocratiques qu’il s’était données.

Mais la plupart de mes interlocuteurs vivaient comme un traumatisme les violences de l’après scrutin d’avril et envisageaient un avenir bien sombre pour la Moldavie. Je ressentais une crispation largement partagée.

Est-ce ma propre satisfaction du résultat assez inattendu du scrutin du 29 juillet qui a déformé mon ressenti de l’atmosphère que j’ai découverte ce mois de septembre à Chisinau, toujours est-il que mes interlocuteurs – parfois les mêmes que ceux de juin – manifestaient une certaine sérénité, une plus grande confiance dans le futur.

Mais tous, cependant, restent convaincus que la tâche à venir est immense et particulièrement délicate : la situation économique, sociale, écologique, n’est pas bonne ; la nouvelle majorité n’est pas tout à fait homogène ; 8 voix manquent pour désigner un Président de la République issu de la nouvelle majorité ; les relations avec le puissant voisin russe peuvent être rugueuses, et celles avec l’Union Européenne, ardues…..

Une mauvaise situation économique, sociale et écologique

Ce que je peux rapporter ici peut paraître outrageusement négatif, car les interlocuteurs susceptibles d’atténuer la noirceur du tableau n’ont pu être rencontrés. En effet, malgré d’incessantes démarches, le PCRM, qui jusqu’à présent détenait tous les leviers de pouvoir, ne m’a pas ouvert ses portes. C’est regrettable, car il aurait pu sans doute corriger des propos très sévères que j’ai entendus par ailleurs sur la situation dans le pays.

Ainsi, toutes les personnes interviewées ont-elles insisté sur le fait que la Moldavie était le pays d’Europe le plus pauvre, et si un de mes interlocuteurs, monsieur Leonid Bujor, devenu depuis Ministre de l’Education Nationale, me rappelait que l’objectif principal de son parti – Alliance « Notre Moldavie » (AMN) - était l’intégration européenne, il estimait que la priorité était bien de « sauver la Moldavie de la pauvreté » !

Un parcours à travers le pays, même rapide, confirme malheureusement cet état : la terre, pourtant réputée fertile, semble bien être cultivée avec des rendements particulièrement faibles ; dans les villages, les conditions de vie sont difficiles, avec des infrastructures impossibles à entretenir correctement, faute de moyens, des habitations à la limite de l’insalubrité, entourées d’un jardin fournissant avec peine l’essentiel de l’alimentation d’une famille.

Enfin, la part considérable d’expatriés constitue bien la marque d’un pays qui ne peut offrir à ses habitants les moyens suffisants d’existence. Le Canada ne s’y trompe pas, lui qui fait de la Moldavie, depuis de nombreuses années, un site privilégié de recrutement des compétences !

La vie au quotidien pour la majorité de la population est dure. J’ai pu connaître la structure du budget mensuel d’une salariée occupant un poste de responsabilité. Son salaire est au dessus de la moyenne observée à Chisinau : 2800 lei (moyenne : 2550 lei). La moitié est consacrée au logement (loyer, eau, électricité, téléphone, chauffage). Les 1400 lei restant permettent de couvrir les frais de téléphone mobile et internet (300 lei) ainsi que la nourriture. Or, je me suis rendu dans un super-marché et ai effectué des achats pour deux jours ; coût : 71 lei, ce qui donnerait à ce rythme une dépense mensuelle d’environ 1000 lei ! Comment alors faire face à des dépenses complémentaires indispensables comme vêtements, livres, médicaments…..

Toutefois le sort de cette personne est plus enviable que celui du directeur du centre culturel de Sîngerei, chef-lieu d’un district de 90 000 habitants. Ce dernier, dont le dévouement est exemplaire perçoit par mois……500 lei, qu’il complète en louant son talent de chanteur à l’occasion de fêtes familiales, telles que mariages.

Ces deux exemples ne donnent évidemment pas l’image exhaustive de la vie quotidienne des Moldaves, mais ils permettent de s’interroger sur ce qu’elle peut être, et incitent à mieux la connaître à travers des données statistiques qui peut-être manquent à l’heure actuelle.

Les équilibres écologiques semblent eux-aussi bien mal en point. C’est ce qui ressort de l’entretien avec le secrétaire général du Parti Ecologiste de Moldavie, « L’Alliance Verte », Andrei Dumbraveanu . L’audience de ce parti est modeste (0,41% des voix aux dernières élections), mais il diffuse des analyses qui peuvent être pertinentes et retenir l’attention de partis représentés au Parlement, sans parler de la présence de la sensibilité écologiste dans des assemblées locales. En fait, Andrei Dumbraveanu a dessiné un paysage comparable à celui observé dans la plupart des territoires autrefois sous l’emprise soviétique :

- absence de politique des cours d’eau

  • inquiétude quant à la fourniture d’eau potable
  • destruction des forêts
  • parc automobile vieillissant et très polluant
  • absence de chemins de fer électrique
  • dans la capitale :
  • problème de la qualité des transports en commun

• pas de pistes cyclables (malgré le marquage en cours de réalisation)

• pas de tri des déchets ménagers

• pas d’usine d’incinération.

Si je m’en tiens aux transports en commun, leur utilisation se révèle parfois périlleuse compte tenu de la vétusté des véhicules en circulation. Il en est ainsi notamment pour les trolleys, bondés la plupart du temps.

Quant aux microbus, très pratiques au demeurant, il faut compter sur la « virtuosité » brutale des conducteurs, capables par ailleurs, en même temps, de tenir le volant, encaisser, rendre la monnaie et téléphoner avec leur portable …..Reconnaissons néanmoins la remarquable fréquence de ces transports, dont les tarifs vont doubler ces jours-ci, ce qui suscite la réaction virulente du PCRM !

Quelle majorité pour gouverner ?

Pour faire face à ces défis, la nouvelle majorité devra être solidaire dans ses actions, ce qui n’exclue pas des options différentes sur certains points.

Elle s’est regroupée sous le label « Alliance pour l’Intégration Européenne » (AIE), ce qui constitue en soit une déclaration de principe claire et sans ambiguïté.

Mais on peut percevoir sur quelques questions des clivages ; ainsi certains partis mettront-ils moins l’accent sur la dimension sociale de la politique à conduire. Ce serait le cas du Parti Libéral-Démocrate de Moldavie (PLDM) arrivé second dans le scrutin de juillet.

Plus généralement on peut percevoir une ligne de partage entre, d’un côté, les partis aux orientations libérales - le PLDM, le Parti Libéral (PL), l’Alliance « Notre Moldavie », et de l’autre côté - le Parti Démocrate (PDM) d’une orientation nettement centre-gauche, et jugé par certains trop proche du PCRM.

Il n’empêche, le

gouvernement conduit par Vlad Filat

, président du PLDM, s’est formé durant mon séjour et a été officiellement présenté le vendredi 25 septembre. On connaît dans nos Etats de l’Ouest des coalitions parfois plus problématiques et qui ont duré. Alors pourquoi pas en Moldavie où il s’agit dans l’immédiat de relever des défis mobilisateurs …

Reste une certaine incertitude quant à l’attitude du PCRM. Tenté parfois de bloquer le système, au moins en parole, il semble jouer in fine le jeu. En témoigne sa participation, en application de la constitution, à la présidence de 4 commissions du parlement, et pas les moindres, comme la commission de droits de l’homme….ce qui est un gage de bonne volonté de la part de la majorité, mais aussi une preuve d’astuce !

Enfin, s’agissant des conditions nécessaires pour que soit désigné normalement comme Président de la République le candidat soutenu par l’ »Alliance pour l’Intégration Européenne », la majorité de mes interlocuteurs estiment qu’elles seront remplies.

Quelle politique étrangère ?

Un thème peut susciter des désaccords au sein de la majorité : l’OTAN. Parmi les 4 partis de l’ »Alliance pour l’Intégration Européenne », le Parti Démocrate marque sa différence en ne souhaitant pas s’engager dans un processus d’adhésion. Il entend ménager la susceptibilité du grand voisin Russe. Dans les discours de son président, Marian Lupu, on ne perçoit pas un blocage systématique, mais plutôt une attitude prudente, attentiste. Son poids devrait être déterminant sur ce point, lui qui vise la Présidence de la République. Faut-il penser que l’abandon par les Etats-Unis du bouclier anti-missiles modifie les données du problème, la Russie ne voyant plus alors d’un trop mauvais œil un net virage de la Moldavie vers l’Ouest ? En tout cas, le Premier Ministre russe, Vladimir Poutine, vient de féliciter son homologue Moldave, Vlad Filat…..Histoire aussi sans doute de rappeler à l’intéressé que la Russie doit être inscrite dans son agenda !

En revanche il n’y aura aucun risque de voix discordantes pour traiter avec l’Union Européenne. Ce n’est pas pour rien que les 4 se sont regroupées en tant que l’ « Alliance pour l’Intégration Européenne ». Bruxelles semble bien disposé à travailler efficacement avec le nouveau gouvernement, et contribuer par des financements à améliorer le quotidien des Moldaves.

Mais de nombreuses années s’écouleront encore avant que l’économie ne soit plus tributaire d’aides extérieures ainsi que de l’envoi à leur famille par les expatriés de gains durement acquis.

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