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Conférence du Professeur Tinguely, 17 novembre 2006

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Aux limites du relativisme culturel : la pensée occidentale face à l’immolation des veuves en Inde (XVIIe-XVIIIe siècles)

Présentation

Frédéric Tinguely enseigne la littérature des XVIe et XVIIe siècles au Département de Langue et de Littérature françaises modernes de l’Université de Genève. Il est l’auteur d’études sur Léry, Rabelais, Montaigne, Galilée, Cyrano, etc. Ses domaines de recherche ouvrent sur la littérature géographique de la Renaissance et de l’âge classique (Amérique, Empire ottoman), les représentations de l’espace dans le discours humaniste (de Pétrarque à Montaigne), le libertinage et la science au XVIIe siècle, etc. Depuis quelques années, le professeur Tinguely se penche sur le relativisme et la littérature au seuil de la modernité (1550-1650), ainsi que sur la littérature et l’interculturalité, axe thématique identifiable, d’ailleurs, dans tous ses écrits plus ou moins récents.

Le professeur F. Tinguely organise chaque année, à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève, des manifestations subventionnées par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, ayant comme générique « Libertinage et science au XVIIe siècle ». Cette année-ci, les 28-29 septembre, il animera le colloque international « La Renaissance décentrée » qui se tiendra à l’UniGe. F. Tinguely est membre du groupe de recherche : Littérature et savoirs de la Renaissance à nos jours et co-responsable du DEA « Littérature et Culture » à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève. Il est, également, Responsable des Relations Internationales pour la Faculté des lettres de l’UniGe. Dans la période : 2000-2006, F. Tinguely a dirigé les enseignements suivants : Littérature française moderne (Tradition romane : séminaire sur un problème commun aux littératures française et latine ; Tradition romane : La poésie romaine de Du Bellay ; Aspects du burlesque ; Tradition classique : Orientalismes ; Tradition romane : Montaigne et les Anciens ; Sorel : "Histoire comique de Francion"), littérature comparée (On a marché sur la Lune (Kepler, Godwin, Cyrano), littérature et culture ( De Pétrarque à Descartes Roman et libre pensée au XVIIe s. : Théophile de Viau, Sorel, Tristan L’Hermite), Littérature française XVIe - XVIIIe siècles (Littérature et culture juridique à la Renaissance ).

Ce professeur a organisé des rencontres de l’IHR avec le Centre d’Enseignement et de Recherche en Philosophie et en Histoire des Idées de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, des Journées d’Etude - Faculté des lettres (Genève) - IHR (Genève) - CERPHI (Ecole Normale Supérieure, Lyon) au sujet du Libertinisme et de la Science.

Frédéric Tinguely est également auteur du livre L’Ecriture du Levant à la Renaissance. Enquête sur les voyageurs français dans l’Empire de Soliman le Magnifique. Genève : Droz, 2000. Dans cet essai captivant, écrit dans un style dense, l’auteur s’intéresse aux stratégies de l’imitatio et de la dissimulatio pour caractériser le discours sur l’Orient pendant la Renaissance française et dessiner les contours de l’Imago Turci tracée dès cette époque par la conscience occidentale. Le corpus est constitué des relations de voyage de sept auteurs (Belon, Gassot, Gilles, Chesneau, Thevet, Nicolay, Postel) qui ont visité le Levant entre 1547 et 1553, dans le contexte précis de la célèbre ambassade de Gabriel d’Aramon auprès de Soliman le Magnifique.

Le livre est divisé en deux parties traitant de problématiques différentes ; d’une part, la question de l’imitatio (réécriture des modèles traditionnels) ; de l’autre, celle de la mimesis (représentation directe d’une réalité extratextuelle). L’idée de l’auteur serait que « plus l’écriture du Levant s’affranchit de la tradition littéraire, plus elle est confrontée directement à l’altérité orientale ». Le second problème posé dans l’ouvrage serait la rencontre de la France du milieu du XVIe siècle avec le monde du « Grand Turc ». L’auteur déchiffre toutes les modalités de construction du regard (principe de l’autopsie), ainsi que les analogies impliquant, simultanément, idéologie de l’exclusion et idéologie d’assimilation. (« Divisée dans sa foi, l’humanité semble soudain se réconcilier autour de certains rites, de quelques gestes pieux à valeur universelle, de grandes fêtes religieuses venant rythmer la vie du croyant au même titre que le cycle cosmique des saisons et des jours »). Cette seconde stratégie (l’analogie), à côté de la méthode de l’autopsie (« Au contact de la varietas mundi, l’autopsie se fragmente et devient plurielle »), dans la conception de l’auteur, constitue un « instrument anthropologique aux mécanismes complexes et aux potentialités extrêmement variées ». La relation à l’Autre dans l’écriture du Levant à la Renaissance se retrouve, selon F. Tinguely, à divers niveaux d’analyse des faits décrits : connaissance, jugement de valeur, prémices d’une action. Empruntant ces trois axes en partie autonomes à Tz. Todorov (La Conquête de l’Amérique), l’auteur se rapporte aux comportements individuels par rapport à l’Altérité, cette stratégie d’analyse invitant à « dresser une carte sommaire des relations entre civilisations ou cultures différentes à une époque donnée. »

Ainsi, le rapport de l’écriture du Levant à l’Ailleurs est-il étudié, dans L’Ecriture du Levant à la Renaissance, par le biais d’un ensemble de stratégies intertextuelles- en tant qu’images anthropologiques dans la représentation du monde turc. Il en résulte l’image d’un peuple inspirant de la sympathie et de la fascination (voire admiration) d’une part et de l’appréhension inquiète d’autre part, la dernière découlant de la représentation du détestable ennemi de la religion du Roi Très-Chrétien dans la conscience occidentale. Dans le même contexte, l’auteur montre, dans son étude La peur du Turc (XVIe-XVIIIe siècles) (Travaux de Littérature, 17 (2004), pp. 289-305), l ‘évolution de la peur du « Turc » qui va dans le sens d’une atténuation. Inspirés par le dialogisme intrinsèque des deux écrits, on se demanderait où serait-on aujourd’hui s’il fallait définir, redéfinir ou représenter à nouveau l’Imago Turci. Certainement, il nous faudra une certaine distance pour pouvoir juger d’une manière plus objective les faits.

Une chose est certaine : l’auteur ne conçoit pas la quête des singularités levantines dans un esprit de système ; au contraire, il oppose à la ratio les plaisirs de l’admiratio, en tant qu’ « ouverture à des sollicitations aléatoires, se traduisant par un complexe enchevêtrement de données irréductible à nos schémas de pensée. » Donc, ce qui est conçu comme phénomène ou état opposé se succédant régulièrement, s’intègre dans une succession répétée dans l’espace et dans le temps, faisant réapparaître, tour à tour, les éléments d’une série. Comme le mentionne l’auteur : « le voyageur rapporte un magma d’informations de tous genres, un matériau qui demeure en grande partie à l’état brut et s’offre à des traitements, à des parcours de lecture différents selon les intérêts de chacun ». Liberté de décodage, liberté impliquant hasard des rencontres et coups de cœur ! Ne jamais établir de hiérarchies, ne jamais poser de préférences…c’est là les atouts de l’admiratio !

D’autres études de Frédéric Tinguely : « D’un prologue l’autre : vers l’inconscience consciente d’Alcofrybas Rabelais » (Etudes Rabelaisiennes, XXIX, 1993) ; « Jean de Léry et les vestiges de la pensée analogique » (Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, LVII, 1995, réédité dans le collectif D’Encre de Brésil. Jean de Léry, écrivain. Orléans : Paradigme, 1999) ; « Janus en Terre sainte : la figure du pèlerin curieux à la Renaissance » (Revue des Sciences Humaines, n°245, 1997) ; « L’œil de verre : la rhétorique de l’autopsie dans le Sidereus Nuncius » (Archives Internationales d’Histoire des Sciences, n° 54 (juin 2005), pp. 83-95) ; « L’alter sensus des turqueries de Panurge » (Etudes Rabelaisiennes, XLI, 2003) ; « Montaigne et les curiosités de l’Eglise romaine »( Romanic Review, 94 (Janvier-Mars 2003), pp. 59-72), « Polémique et polyphonie dans le discours humaniste » (Modern Language Notes, 120, 1 (January 2005, supplément, pp. 15-27), renferment des réflexions sur les analogies voyage / lecture, voyage/espace & connaissance, sur l’observation de l’Altérité par diverses formes de réflexion (regard sur soi et regard sur l’autre -réflexions sur soi & réflexions sur l’autre par le biais du miroir tendu par cet autre). On cite de Montaigne et le cercle anthropologique : réflexions sur l’adaptation culturelle dans le Journal de voyage (Montaigne Studies, vol. XV (2003), pp.21-30) : « Plus fondamentalement, la lecture et la pérégrination telles que Montaigne les pratique et les préconise ont ceci en commun qu’elles ne s’orientent jamais vers le savoir pour lui-même, vers la seule accumulation des connaissances. Parce qu’il vaut mieux une teste bien faicte que bien pleine, la fréquentation des livres ne sera profitable que dans la perspective d’une formation du jugement, d’un progrès dans la voie de la vertu et de la sagesse. Le voyage à l’étranger s’effectuera dans le même esprit, non pour en rapporter seulement, à la mode de nostre noblesse Françoise, combien de pas a Santa Rotonda [le Panthéon], ou la richesse des calessons de la Signora bvia, ou, comme d’autres, combien le visage de Neron, de quelque vieille ruyne de là, est plus long ou plus large que celuy de quelque pareille medaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d’autruy (Journal de voyage de Michel de Montaigne, éd. François Rigolot, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.).

Ainsi, F. Tinguely recourt-il à la métaphore du frottement cérébral, vue par le prisme d’une ouverture anthropologique d’investigation, pour insister sur le fait que « l’expérience de l’altérité travaille les consciences de part et d’autre de la frontière identitaire, dans un mouvement de maturation réciproque qui n’est pas le résultat d’un échange de matière, mais bien d’une communication de formes ». L’auteur reprend la notion de cercle herméneutique « chère aux théoriciens de l’interprétation », pour proposer le concept de cercle anthropologique afin de définir et matérialiser le « mouvement par lequel une conscience qui observe l’altérité culturelle se trouve en retour modifiée par elle. »

Enfin, les études de F. Tinguely sur le libertinage au XVIIe siècle : « D’un usage pervers de l’analogie : libertins et protestants dans la Doctrine curieuse du Père Garasse » (Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, 8 (2004), pp. 31-46), « Un libertin dans la lune ? De la distraction scientifique chez Cyrano de Bergerac » (Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, 9 (2005), pp. 73-84.), interrogent les relations que les libertins entretiennent avec la science de leur temps. L’enquête se poursuit moyennant des approches croisées : selon les sensibilités et les méthodes, l’accent est ici mis tantôt sur les contenus de pensée, tantôt sur les stratégies discursives qui les prennent en charge. Le rapport des libertins à la science se caractérise le plus souvent par une série de déplacements orientés et pleinement maîtrisés : un tel traitement permet de révéler le potentiel de subversion d’une théorie scientifique, d’en tirer les conséquences philosophiques les plus radicales, de replier aussi le discours scientifique sur lui-même en le soumettant à un questionnement épistémologique. Outre son activité universitaire, F. Tinguely a rédigé des critiques pour les œuvres des auteurs latino-américains (Carlos Fuentes, Luis Sepúlveda), ainsi que sur les écrits des Européens découvrant les secrets et les énigmes du monde latino-américain (Jean-Michel Wissmer).

Information présentée pour le site www.usm.md par Oxana Căpăţînă, enseignante supérieure, Département de Philologie Française „Grigore Cincilei”.

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