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Le gouverneur de Gagaouzie, province moldave, craint un « scénario ukrainien »

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Article d’Emile Costard (Le Monde Académie à Comrat)

Au sud de la Moldavie et à 200 kilomètres d’Odessa en Ukraine, la province autonome moldave de Gagaouzie craint d’être rattrapée par la tourmente ukrainienne. Alors que la Moldavie opère actuellement un rapprochement avec l’Union européenne, les 160 000 Gagaouzes, majoritairement turcophones et orthodoxes, ont affirmé à une écrasante majorité leur souhait d’intégrer l’Union douanière russe à l’issue d’un référendum organisé en février 2014. Au siège du gouvernement local à Comrat, la capitale gagaouze, Mihail Formuzal, gouverneur depuis 2006, s’en explique.

Mihail Formuzal, gouverneur de la province moldave de Gagaouzie depuis 2006. © Emile Costard

Depuis 1994, la Gagaouzie est reconnue par Chisinau comme région autonome. Pourquoi des velléités séparatistes resurgissent-elles vingt années après l’obtention de ce statut ?

A la dissolution de l’Union soviétique en 1990, la Gagaouzie a été l’un des premiers pays à déclarer son indépendance. La république de Gagaouzie a existé pendant quatre ans, même si personne ne la reconnaissait. Nous avions notre président, notre soviet suprême et même des forces armées. Le 23 décembre 1994, nous avons convaincu la Moldavie de nous octroyer un statut de province autonome. Mais ces vingt dernières années, le parlement moldave n’a cessé de revenir sur les acquis de 1994 en prétextant modifier la Constitution pour s’aligner sur l’Union européenne. Peu à peu, la Gagaouzie est redevenue une simple région moldave. Nous ne sommes pas représentés dans les instances du pouvoir central. Le gouvernement nous considère comme des Moldaves de second rang.

Carte ©Jules Costard

Est-ce pour ces raisons que vous avez organisé en février un référendum ?

Le 2 février 2014, nous avons posé deux questions au peuple gagaouze : « Etes-vous d’accord pour que la Gagaouzie rejoignent l’Union douanière russe » et « Etes-vous pour l’indépendance de la Gagaouzie si la Moldavie se réunifiait avec la Roumanie ? ». A plus de 98 %, les votants ont répondu « oui » à chacune de ces questions. Car le processus de rapprochement avec l’Union européenne a pris l’allure d’une intégration par la porte roumaine. A l’école, nos enfants doivent apprendre l’histoire de la Roumanie. Nous avons notre propre identité, notre propre culture. Pourquoi apprendre l’histoire d’un autre pays ? Évidemment, le pouvoir central de Chisinau nous considère comme des séparatistes et plusieurs actions en justice ont été lancées contre moi. Pourtant, les observateurs présents à ce scrutin n’ont pas relevé d’irrégularités et l’Europe ne nous a pas condamné.

Depuis le 28 avril, les citoyens moldaves peuvent circuler librement dans l’espace Schengen. N’êtes-vous pas tentés d’en profiter ?

Pourquoi avons-nous ouvert nos frontières aux Européens alors qu’ils ne nous laissaient pas circuler librement sur leur territoire ? L’Europe se moque de nous. [L’obligation de visa] a été levée, mais l’Europe nous impose encore des conditions financières pour pouvoir voyager dans l’espace Schengen. Quelles conditions vous impose-t-on lorsque vous souhaitez nous rendre visite ? Et puis, cette libéralisation intervient avec dix ans de retard. Tous les Moldaves qui souhaitaient travailler en Europe ont déjà des passeports roumains. Ici, il n’y pas eu d’euphorie car les Gagaouzes ne se sentent pas Européens. L’Europe ne crée que des problèmes à notre pays.

A 100 kilomètres au sud de Chisinau, l’entrée dans la province autonome de Gagaouzie. ©Emile Costard

Craignez-vous que le processus de rapprochement avec l’Europe engagé par Chisinau ne dégrade les relations que vous entretenez avec la Russie ?

Ce processus divise notre pays et nous pousse vers un scénario ukrainien. En Russie, nous pouvons circuler librement et près de la moitié de notre population active travaille là-bas. L’argent durement gagné par nos travailleurs émigrés est envoyé ici pour nourrir leur famille. La signature de l’accord avec l’UE risque de créer des complications pour se rendre en Russie et de nombreux Gagaouzes devront rentrer en Moldavie. Sans compter que notre économie dépend exclusivement des échanges commerciaux que nous entretenons avec les pays de l’Union douanière russe.

La Russie vous octroie déjà un statut privilégié. Ainsi, l’embargo imposé par Moscou sur le vin moldave ne vous concerne pas…

Les Européens ne comprennent pas notre situation. Nous sommes au centre de l’Europe, sur un petit territoire où vivent trois peuples : slaves, turcs et occidentaux. Nous construisons nos relations pour collaborer avec les trois parties. En Gagaouzie, il y a treize entreprises vinicoles. Si la Russie ne nous achetait pas notre production, qui le ferait ? L’Europe ? Nos vins sont réputés au sein de l’Union douanière russe. Si, demain, la signature de l’accord d’association avec l’Europe déclenche les foudres de la Russie et que Moscou décide de ne plus acheter nos vins, c’est tout notre secteur vinicole qui risque de mourir. Nous sommes pro-russes car nous parlons tous russe. Nous coopérons aussi beaucoup avec la Turquie car nous parlons turc. Si nous parlions français, la France aurait été une priorité pour nous. Les Gagaouzes sont très pragmatiques.

Source : http://mondeacinter.blog.lemonde.fr/2014/06/05/le-gouverneur-de-gagaouzie-province-moldave-tente-par-un-scenario-ukrainien/

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