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L’agriculture tronquée par la frontière transnistrienne

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Vera Semionova, agricultrice : « C’est simple. 9% de nos terres sont en Moldavie. 91% sont de l’autre côté de cette route. Depuis 1992, c’est la frontière. »

Un reportage de Sébastien Gobert, à la frontière de la Transnistrie

La Transnistrie est un petit territoire qui s’étire entre l’Ukraine et la Moldavie presque inconnu, mais qui dispose, depuis 1992, d’un président, d’un parlement, d’une monnaie et d’une armée. Vera Semionova est agricultrice dans le petit village de Dorotcaia, côté moldave.

Or, ses champs se trouvent en Transnistrie, de l’autre côté de la frontière très surveillée. Un découpage géographique qui complique donc la tâche quotidienne des paysans de part et d’autre de cette frontière.

L’été dernier, la récolte s’annonçait prometteuse pour Vera Semionova. Sa coopérative agricole avait enfin trouvé le moyen d’acheter un nouveau tracteur, pour commencer à remplacer un matériel vétuste. Les banques avaient accepté d’accorder un prêt, le modèle était choisi. Et puis rien.

Finalement, à quoi ça sert d’avoir un nouveau tracteur s’il ne peut pas passer le poste-frontière ?

La voiture qui nous emmène de son village moldave de Dorotcaia jusqu’à ses champs, quelques kilomètres plus loin, doit s’arrêter obligatoirement au poste des douanes transnistriennes. Si Vera souhaite y faire passer un gros tracteur pour ramener sa cargaison de ses terres à son village, il faut payer des taxes d’importation, plus des amendes éventuelles, plus des surprises, en fonction de l’humeur des douaniers.

Vera a retourné le problème dans tous les sens ; elle ne voit pas de solution :

« Vu que le passage est aléatoire, on a pensé vendre nos produits en Transnistrie. Mais les autorités ne nous donnent pas la certification pour le faire. Si elles le donnent, les impôts sont trop lourds, et ça ne vaut pas le coup. Et si on est certifiés ici, la Moldavie ne le reconnaît pas. Ca veut tout dire : ils veulent juste notre argent. Mais qu’on travaille la terre et qu’on produise quelque chose, ils s’en fichent. »

Sur une route défoncée, elle guide la voiture à travers des champs en friche et des fermes abandonnées. Avant, c’était un immense kolkhoze, une ferme collective soviétique, qui était l’une des meilleures de la région.

Dans les locaux en ruine de sa coopérative, quelques porcs, deux ou trois chèvres, un tracteur, véritable pièce d’antiquité, et André, qui travaille bénévolement : la coopérative n’a pas les moyens de le payer :

« On ne sait plus pourquoi on travaille. Ce n’est pas une vie. Quand c’était l’Union soviétique, la situation était bonne. Maintenant, c’est de pire en pire. Et on dépend de leur moindre saute d’humeur.

Et des sautes d’humeur, il y en a beaucoup. Si la situation est paisible depuis 20 ans, les tensions ressurgissent régulièrement entre la Moldavie et la région séparatiste. »

Grigore Polichinski est le président du canton où se situe le village de Dorotcaia. Il rappelle qu’entre 2003 et 2006, la Transnistrie a tout simplement empêché les agriculteurs moldaves d’aller cultiver leurs terres :

« Les pertes s’étaient chiffrées à quelques dizaines de millions de lei. Plusieurs fermes et champs ont été désertés, les systèmes d’irrigation étaient laissés à l’abandon et jamais remis en état. Pour un propriétaire, ça n’a aucun sens d’investir là-dedans, si on ne sait pas ce qui va se passer demain. »

Au moins aujourd’hui, Vera Semionova peut se rendre sur ses champs. Mais les permis d’exploitation ne sont valables qu’un an. Autour de Vera, tout semble figé et les perspectives sont bouchées, à l’image de ce conflit gelé aux confins de l’Europe.

Source : http://www.franceinter.fr/emission-ailleurs-lagriculture-tronquee-par-la-frontiere-transnistrienne

Le 27 octobre 2013

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