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Le français et le roumain confondus au Tadjikistan

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Cette histoire m’a été racontée il y a une dizaine d’années par un écrivain tadjik. L’histoire m’a parue très éloquente en ce qui concerne l’ingéniosité dont nos compatriotes peuvent faire preuve dans des conditions extrêmes.

Après la Seconde Guerre Mondiale, un Moldave qui voulait s’échapper aux déportations s’est caché dans une région où … certains de ses compatriotes étaient déportés. Il a trouvé son refuge dans les montagnes, à l’autre bout de l’Union Soviétique, non loin de la frontière avec l’Afghanistan, dans un village de la région du Haut-Badakhchan (Gorno-Badakhshan) , au Tadjikistan, dans une école perdue dans le Pamir où il a enseigné « le français » pendant presque cinq décennies. Le hameau se trouvait entre deux gouffres – peu de gens y venaient et peu de gens d’y partaient.

En fait, rien de particulier jusqu’ici ! On connaît d’autres cas similaires – des Estoniens ou Arméniens se sont cachés dans des villages moldaves. Mais l’inventivité de notre héros fut sans égal.

… En pleine période de restructuration soviétique, un Tadjik (ou une Tadjik ?…) de ce hameau-là a souhaité continuer ses études et, afin de se faire inscrire à l’institution convoitée, il fallait passer un examen d’admission au français. Mais, à la stupéfaction des membres de la commission d’examen, personne n’a compris un mot prononcé par le candidat qui, à son côté, fut très surpris que ceux-là ne le comprennent pas, car l’ancien élève du hameau susdit était le meilleur dans son école à cette discipline.

La commission a immédiatement informé le Ministère de l’Education du Tadjikistan de ce cas et une inspection a été envoyée dans le hameau pour élucider comment se faisait-il que le français enseigné dans ce hameau-là était incompréhensible pour les spécialistes.

Sur place, les inspecteurs découvrirent avec stupeur que, pendant plus de quarante ans, au lieu du français, le Moldave avait enseigné à plusieurs générations de Tadjiks … le roumain. Et le vieux professeur a sans hésitation reconnu qu’il ne parlait pas d’autres langues !

Finalement, la commission a accepté ses arguments que le roumain est aussi une langue étrangère qui a, comme le français, des racines latines, qu’on le parle dans plusieurs pays du monde, etc. En plus, le professeur était déjà assez vieux pour le punir et tout le hameau l’adorait ! On lui a donc permis de continuer à enseigner, jusqu’à ce qu’un vrai professeur de français viendrait dans le hameau, mais à une condition – de ne plus appeler la langue qu’il enseignait « le français », mais d’utiliser son vrai nom – « le roumain ».

Par conséquent, cette école est devenue l’unique au Tadjikistan et, probablement dans toute l’Asie Centrale, où le roumain figurait à la rubrique « langue étrangère » des registres scolaires. Et plusieurs mères et pères se demandaient peut-être à quoi pourrait cette langue servir à leurs filles et fils ?!

D’autre part, vu qu’après la chute de l’URSS une guerre fratricide avait commencé dans cette ancienne république soviétique, les autorités ont vraisemblablement oublié l’histoire du « professeur » moldave de français et le ministère de Douchanbé n’a pas délégué un autre professeur de français dans le hameau situé dans le Pamir. Et comme notre compatriote était un bon et exigent professeur et qu’il ne maitrisait bien ni le tadjik, ni le russe, il communiquait avec ses élèves et avec leurs parents dans « son français », de façon que tout le hameau parlait deux langues – le tadjik et le roumain !

Et lorsqu’ils ont appris que le ministère avait quand même décidé de leur envoyer un autre professeur, les villageois ont expédie une lettre de protestation à Douchanbé. Ils demandaient qu’on laisse leur professeur travailler, car ils ne voulaient pas « d’autre langue française ». Ils motivaient qu’ils maitrisaient suffisamment bien la langue qu’il leur avait enseignée pour pouvoir aider leurs enfants à faire leurs devoirs. Or, ils n’auraient pas pu le faire, si les élèves commençaient à apprendre une autre langue.

… Quelque part, dans le Pamir, les plus hautes montagnes d’Asie, dans un petit hameau perdu parmi les rochers, on parle roumain.

Histoire racontée par Nicolae Dabija*, publiée sur http://www.cotidianul.ro/intr-o-localitate-din-muntii-pamir-se-vorbeste-limba-romana-121766/

Traduite pour www.moldavie.fr

*Nicolae Dabija est un écrivain moldave, historien de la littérature, membre correspondant de l’Académie des Sciences de Moldavie et membre d’honneur de l’Académie Roumaine.

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