“Nous n’avons pas d’argent même pour la nourriture, sans parler de portes et de fenêtres. Même les voleurs s’enfuient à cause de la pauvreté…”, dit Valentina Ciobanu, une jeune femme de 30 ans.
Il y a plus de 4 ans que le village de Schinoasa, district de Calarasi, n’est mentionné dans les documents officiels. Pendant la dernière réorganisation administrative-territoriale, les fonctionnaires ont oublié d’enregistrer cette localité qui à plus de 200 habitants. Les villageois n’ont même pas essayé de démontrer qu’ils ne sont pas des “fantômes”, considérant que le village a été intentionnellement effacé de la carte.
Ayant appris qu’ils auraient des hôtes de Chisinau, des dizaines d’hommes et de femmes se bousculaient dans le centre du village. Tous voulaient faire connaître leur peine. Des larmes aux yeux, les villageois racontaient qu’ils sont confrontés à un manque chronique de conditions élémentaires de vie - pas de magasin, d’école, de centre médical… L’aqueduc, le gazoduc, c’est pour eux un luxe dont on peut seulement rêver.
Ils puisent de l’eau dans trois puits, car l’eau de la plupart de puits, peu nombreux, d’ailleurs, n’est pas potable, étant mélangée avec de la boue et du gravier. En fait, la mauvaise qualité de l’eau est la cause de toutes les maladies dont les villageois souffrent. La plupart d’enfants ont subi une opération d’appendice, et les adultes ont des douleurs aux reins.
Des cours dans la forêt
Valentina Ciobanu, son mari et leurs quatre enfants disposent de seulement deux petites pièces. Tous les membres de la famille dorment sur des lits de bois couverts de linge déchiré. La table et l’armoire sont improvisées de caisses de bois. “Le plus difficile, c’est en hiver. Nous bloquons les fenêtres et les portes avec des torchons, et nous chauffons la maison avec des branches sèches. Pourtant, on a froid. Heureusement, nous sommes nombreux et nous nous réchauffons un l’autre”, nous dit la femme en larmes.
Les enfants de Schinoasa portent leurs habits jusqu’à ce qu’ils deviennent des haillons. Ils mangent une fois ou maximum deux fois par jour. Ils vont à l’école seulement pendant quatre années. Certains ne vont point à l’école et ils ne savent même pas lire, ni compter. “Un professeur de l’école primaire du village voisin y vient pour enseigner à nos enfants. Quand il fait chaud, les cours se passent dans la forêt. Ceux qui veulent vraiment apprendre doivent aller à l’école de Tibirica. Mais la plupart n’ont pas d’argent pour acheter des livres et des cahiers”, nous dit Stanislav Apostoliuc.
Accablés par les dettes
Les habitants du village de Schinoasa n’ont pas des emplois permanents. Du printemps à l’automne, ils travaillent comme journaliers dans les villages voisins, en gagnant 50 lei par jour. Parce que les familles sont grandes - 6 à 7 membres, les enfants doivent travailler, eux-aussi. Antonita qui a 12 ans et sa soeur Valentina qui a 14 ans doivent biner toutes seules 10 ares de maïs. De petite taille, maigres et fatiguées, les filles “se perdent” parmi les mauvaises herbes. Leurs parents travaillent chez un fermier du village voisin et leurs frères cadets font le ménage et préparent les plats “traditionnels” - des pâtes ou des galettes de blé. Même quand on leur parle, les filles ne cessent pas de biner. Elle disent qu’elles doivent finir le travail jusqu’au soir parce que le lendemain matin elles sont engagées autre part. “Nous sommes fatiguées, mais quoi faire. Si nous ne travaillons pas maintenant, nous mourrons de faim en hiver. Maman et papa travaillent tout l’été, nous sommes leur unique support. A cause de la sécheresse, cette année-ci, le maïs se fane. Je crains que nous n’aurons pas de récolte”, dit Valentina.
Quelques habitants du village sont partis en Russie où ils travaillent dans le domaine de l’agriculture. Pour payer le prix du billet, ils empruntent de l’argent aux habitants du village voisin. “Nous sommes accablés par les dettes. A l’étranger, nous binons la betterave, les pommes de terre etc., et l’argent gagné nous suffit juste pour rendre les dettes et pour acheter un sac de farine et un autre de pâtes. L’année passée, j’ai subi un accident routier et j’ai eu une fracture à la colonne vertébrale. J’ai dû emprunter 16 mille lei pour l’opération. J’ai laissé comme garantie ma unique fortune - ma maison. Autrement, j’aurais pu rester paralysé, et j’ai encore trois enfants à élever. Dans quelques mois, je devrai rendre les dettes mais je ne sais pas d’où prendre de l’argent”, soupire Gheorghe Vornicu.
“Je n’ai jamais mangé de la viande”
Chaque famille possède environ 10 ares de terre où l’on cultive du maïs, des haricots, des pommes de terre. Vu le manque d’un système d’irrigation, ils ne peuvent pas cultiver des tomates ou des concombres. A cause de la pauvreté, les gens ne peuvent pas élever des animaux domestiques. Le pain est un “luxe” - seulement quelques personnes osent parcourir à pied deux kilomètres pour acheter du pain frais. D’habitude, ils cuisent des galettes. “Nous faisons de la soupe de grains de maïs, de haricots et de pommes de terre. Ma mère dit que la soupe est plus savoureuse si l’on y ajoute de la viande. Moi, je n’ai jamais mangé de la viande. J’ai entendu qu’il existe des bombons et de la glace mais je n’en ai jamais mangé”, dit Olguta, une fillette de 9 ans.
L’année passée, certains villageois ont dû manger de l’herbe. Ayant épuisé toutes les réserves, une vieille femme qui prenait soin de ses cinq petits-fils a préparé un plat d’herbes. “La pauvre, elle a ramassé de l’herbe dans la forêt, elle l’a fait bouillir et elle l’a mise sur la table. Un vieil a mangé de la terre pour apaiser sa faim. Il mangeait en pleurant. Quoique nous soyons pauvres, nous-aussi, nous ne sommes pas restés indifférents face à leur peine. Nous avons collecté des produits alimentaires pour eux. Personne ne sait de notre existence, même Voronine. Si personne ne nous entend, nous protesterons devant la mairie de Tibirica”, dit Maria Rotari.
Stanislav Apostoliuc croit que ce n’est pas par la faute des fonctionnaires que le village a “disparu” de la carte. “Nous sommes un village-problème et personne n’a besoin de nous. Nous nous sommes plaints plusieurs fois sans aucun résultat. Où est la justice ? L’état attend probablement que nous mourions de faim et de soif”, dit l’homme indigné.
Confusion communiste
Pendant la campagne électorale, les villageois ont pour la première fois vu un député en chair et en os. Ils disent que probablement c’était par hasard qu’un parlementaire communiste dont le nom ils ne se rappellent pas a passé par leur village, a écouté leurs plaintes, et les a invités à voter pour le Parti Communiste. Profitant de l’occasion, les villageois lui ont demande pourquoi il n’y avait pas de fonds prévus pour leur village. Il a répondu qu’une confusion avait été commise. L’argent destiné pour leur village a été gaspillé par les habitants du quartier Schinoasa de Chisinau. Dès lors, les villageois haïssent les citadins. Pendant une réunion du Conseil du district de Calarasi, lorsqu’on discutait au sujet de la Stratégie de développement et de soutien des ethnies, on a découvert que le village de Schinoasa n’était mentionné dans aucun document officiel, local ou national.
Le maire de Ibirica, Ion Iurcu, nous a dit que le 24 mai 2007, selon une décision du Conseil du district, le village de Schinoasa fut registré comme partie composante de la commune de Tibirica. “La mairie avait informé le Conseil du district de Calarasi qu’une erreur avait été commise pendant la dernière réorganisation administrative-territoriale mais le problème n’a pas été examiné. Maintenant, on doit pas à pas résoudre les problèmes des villageois de Schinoasa. Nous espérons que dans quelques mois les villageois auront de l’eau potable. Dans le village, il y a une école primaire qui fonctionne dans la cour d’un habitant…”, affirme Ion Iurcu.
Les villageois de Schinoasa espèrent que les autorités transformeront leurs paroles en actions, quoique peu nombreux sont ceux qui croient aux promesses.
Article par Irina Codrean, publié sur www.timpul.md, traduit par Valentina Ciobanica, élève en XI-ième de Cahul, membre JUNACT.