Article par Gilles Ribardière
Le texte ci-dessous constitue la base de l’intervention de Gilles Ribardière lors de la rencontre au Palais du Luxembourg le 26 octobre 2010. Les interventions de Madame la Sénatrice Josette Durrieu et de Monsieur l’Ambassadeur Oleg Serebrian n’étaient pas rédigées. Elles ont été enregistrées et feront l’objet de la transcription ultérieure des points essentiels.
Les « Moldaviens ».
Tenter d’analyser le processus démocratique dans un pays qui a peu de tradition en la matière n’est pas chose facile. En effet l’observateur qui évolue dans un environnement ayant une longue tradition démocratique peut avoir tendance à plaquer sa réalité vécue sur ce qu’il est conduit à observer. Aussi s’agissant de ce que je vais décrire ici, je m’efforcerai de m’en tenir aux faits, et au lieu « d’interpréter », de rester interrogatif. J’ai eu la chance de me trouver à des moments clés de l’histoire toute récente de la République de Moldavie, mais seulement à Chisinau : Mars 2009, Juin 2009, Septembre 2009, Septembre 2010.
A chaque fois j’ai pu percevoir une atmosphère différente, perceptible dans les propos de mes divers interlocuteurs.
Mars 2009, quelques semaines avant le scrutin contesté d’avril, marquait ma première visite. Mon impression fut assez proche de celle que j’avais ressentie trois ans auparavant en arrivant à Minsk, mais avec une différence tout de même fondamentale : un grand nombre de panneaux de communication des partis politiques en campagne, avec un discours assez récurrent relatif à la lutte contre la corruption.
En juin, le climat était tendu. Avril avait connu les événements que l’on sait, l’Alliance pour l’Intégration Européenne tentait de former un bloc en vue de contenir l’influence du Parti des Communistes. Les membres de cette Alliance tenaient des propos très durs à l’encontre de leur adversaire. Par ailleurs, notamment parmi les jeunes rencontrés, il y avait une parole libérée, mais souvent empreinte d’un total pessimisme. D’où à coup sûr en juillet une « divine » surprise quant au résultat qui certes maintenait un PCRM au premier rang des forces politiques, mais donnait au Parlement une majorité en faveur des 4 partis de l’Alliance pour l’Intégration Européenne, majorité, on le sait, insuffisante pour pouvoir désigner un nouveau Président de la République.
En juin 2009, donc, je constatai une atmosphère plutôt lourde, alors qu’en septembre 2009 j’eus une impression totalement opposée. Malgré le blocage institutionnel, j’avais des interlocuteurs moins fatalistes, même si certains d’entre eux s’organisaient pour immigrer en particulier au Canada. Le pluralisme se développait à travers la presse écrite et surtout la télévision.
Cet optimisme, je l’ai retrouvé un an plus tard, encore plus spectaculaire….mais avant le référendum….et je dois dire avoir été frappé par l’excès d’optimisme de TOUS mes interlocuteurs, optimisme qui d’une certaine manière n’a pas été totalement entamé le lendemain du résultat : j’ai pu observer parmi mes interlocuteurs favorables au vote positif, d’une part, un diagnostique réaliste quant aux raisons de l’échec, d’autre part, une pugnacité raisonnée pour la suite. Quelques-uns cependant déclaraient que si le PCRM reprenait la majorité lors des législatives de novembre, ils partiraient à l’étranger……
Les atmosphères différentes que j’ai pu ressentir ne sont pas seulement le résultat d’impressions que je peux tirer de conversations avec divers interlocuteurs, même si ils ont été assez nombreux – plus de 40 – appartenant à diverses générations (de 18 à 65 ans) et diverses sensibilités ( y compris PCRM). Il y a aussi des indices concrets. J’en retiens deux : une modification dans le comportement de l’électorat, et un excès de confiance.
Modification dans le comportement de l’électorat
Lorsqu’en juin 2009 je rencontrais le Président du PDM, Monsieur Diakov, son parti n’était pas représenté au Parlement. Au scrutin d’avril il n’avait obtenu que 2,97 % des voix ; il aura 12,54% quatre mois plus tard !
Il est évident que l’équation personnelle de Marian Lupu – qui venait de quitter le PCRM pour le PDM – a joué en faveur de ce parti. Mais ce mouvement peut être interprété comme l’indice d’une volonté d’un électorat qui s’était au préalable dispersé vers de petites entités et qui a vu dans l’arrivée de Marian Lupu à la tête du PDM une occasion d’un vote utile, à l’instar du vote réparti entre PCRM, PL, PLDM et AMN. Pour ces partis, les mouvements de voix entre avril et juillet ont varié en + ou – dans une fourchette raisonnable (1,5 à 4,5%, tandis qu’avec le PDM on obtient un gain de 9,5%).
Manifestement une frange importante des citoyens, qui en avril se prononce sans réelle conviction par rapport à l’idée que le pays peut effectivement se transformer, modifie son point de vue en rejoignant une personnalité considérée comme apte à conduire le changement, avec d’autres forces politiques qui pour deux d’entre elles se renforcent (plus particulièrement le PLDM [+4,14%] de Vlad Filat, lequel du reste va se révéler, semble-t-il, un rude concurrent pour monsieur Lupu.
Autre indice de la réalité du ressenti que j’ai pu avoir quant à l’atmosphère à Chisinau en septembre dernier : l’excès d’optimisme de nombreux interlocuteurs favorables au vote positif au référendum.
- Ainsi faut-il s’interroger sur la fiabilité du sondage dont se réclamaient mes interlocuteurs, selon lequel 60% de la population participeraient au scrutin, assurant sa validité….Or on n’a pas atteint 30% (29,67%).
- Il faut aussi s’interroger sur l’absence de campagne, en tout cas les jours précédant le vote. J’avais demandé à un parti important de suivre un ou deux meetings à Chisinau ou en dehors. Un accord de principe m’avait été donné, pour ensuite m’informer qu’aucun meeting n’était prévu ! On est bien loin de nos habitudes de meetings « point d’orgue » de nos campagnes électorales l’avant-veille d’un scrutin.
- Il faut s’interroger sur l’impasse de certains partis sur le référendum en tant que tel, utilisant celui-ci comme pré-scrutin présidentiel….de quoi semble-t-il créer le trouble dans une partie non négligeable de l’électorat. N’est-ce pas une faille qu’a su parfaitement utiliser le PCRM !
- Enfin, il faut s’interroger sur une quasi-absence des militants sur les lieux de passage de la capitale.
A l’excès de confiance des partis de l’Alliance répondait l’optimisme de leaders du PCRM qui reposait sur une présence très active sur le terrain, ce que l’un d’eux m’explicita très clairement. Sans pour autant croire avec certitude que le plancher de 33% d’électeurs ne serait pas atteint, il en faisait une hypothèse tout à fait réaliste…..qui se vérifia. Et j’avoue que je ne marquais pas d’étonnement à ses propos, m’étant posé très rapidement les quatre interrogations exposées à l’instant.
Certes la jeune république n’a pas une tradition de la pratique du référendum, ce qui peut partiellement expliquer le résultat. Mais son engagement sur la voie escarpée de la démocratie est-elle accompagnée de suffisamment de pédagogie ?
Le citoyen va-t-il voir son apprentissage en vue de comprendre les arcanes de la démocratie être facilité par la multiplication du choix qui risque de lui être offert lors du scrutin du 28 novembre : 21 partis ont demandé leur enregistrement à la Commission Electorale Centrale (15 étaient déjà enregistrés le 22 octobre).
Le 8 novembre 2010