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Moldavie : retour sur une crise politique (I)

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Article de Vincent Henry

Diplômé de l’IRIS

Le 2/04/2012

Nicolae Timofti

Le 23 mars dernier, Nicolae Timofti est devenu officiellement Président de la République de Moldavie, une élection qui met fin à un imbroglio politique et parlementaire de près de trois ans. Un véritable soulagement dans ce pays divisé au carrefour de l’Union Européenne et de la Russie où une partie de la population revendique comme siennes la langue et la culture roumaine quand une autre, plus proche de la Russie, considère son identité ethnique et linguistique comme distincte de celle des Roumains. On retrouve cette ligne de fracture sur l’échiquier politique avec des partis de droite considérés comme plus pro-occidentaux que les partis de gauche. Une séparation dans laquelle il faut voir des sentiments d’appartenance à des groupes ethniques, linguistiques, sociaux ou générationnels plus que des orientations politiques.

Les origines de la crise

La crise politique qu’a traversée cette ex-république soviétique et qui a plus que jamais polarisé la population débute au début du mois d’avril 2009, au lendemain d’élections législatives dont les résultats officiels marquent la victoire du Parti des Communistes de la République de Moldavie (PCRM). Le PCRM de Vladimir Voronine, le Président de la République au pouvoir depuis 2001, obtient 49,48 % des voix, soit 60 des 101 sièges que compte le Parlement.

Cette victoire permet théoriquement aux députés communistes d’élire le Président du Parlement et de désigner un gouvernement. Au soir du 5 avril 2009, le Parti des Communistes confirme donc être la première force politique du pays, il lui manque toutefois un siège de député pour pouvoir élire seul le Président de la République, un seul et unique ralliement qui semble alors être une simple formalité dans un pays où les alliances politiques se font et se défont très facilement, le plus souvent au gré d’intérêts plus personnels qu’idéologiques. Les jours suivants allaient pourtant en décider tout autrement. L’annonce des résultats alimente les rumeurs de fraudes massives, des rumeurs récurrentes dans la majorité des pays de l’espace ex-soviétique, mais la frustration d’une partie de la jeunesse urbaine exaspérée par un pouvoir jugée corrompu et archaïque va cette fois-ci dépasser les chicaneries habituelles et bouleverser le jeu politique. Le 7 avril, des milliers de jeunes organisent la contestation en utilisant massivement les réseaux sociaux et descendent dans les rues de Chişinău pour demander de nouvelles élections.

Débordées et étonnamment peu réactives, les forces de l’ordre les laissent entrer dans les bâtiments du Parlement et de la Présidence qu’ils mettent à sac. Enthousiastes, les manifestants y hissent les couleurs de la Roumanie et de l’Union Européenne. La dite révolution « twitter » qui submerge la Moldavie fait alors immanquablement penser aux « révolutions de couleur » ukrainienne ou géorgienne. Le pouvoir, sans doute convaincu de sa légitimité, impose un rapide et brutal retour à l’ordre qui va stopper la contestation de la rue en dépit des vives critiques de l’Union Européenne et d’une très vive tension avec la Roumanie voisine qui soutient ouvertement le mouvement de protestation.

Ce bref « printemps moldave » a trois conséquences importantes : Il prouve l’émergence d’une société civile déterminée sur la scène politique, il relance l’intérêt de l’Union Européenne, laquelle se défiait du fantasque régime de Voronine, pour ce voisin quelque peu oublié et fédère une opposition qui voit là une chance à saisir pour renverser la situation à son avantage.

La naissance de l’Alliance pour l’Intégration Européenne

Au début du mois de mai, après un recomptage des votes contesté par l’opposition, les résultats de l’élection sont confirmés et Vladimir Voronine qui, après deux mandats consécutifs, ne pouvait pas prétendre à sa succession à la tête de l’Etat est élu Président du Parlement. La marche en avant du Parti des Communistes s’arrête pourtant le 20 mai. Zinaida Greceanii, ancienne Premier ministre et successeur désignée de Voronine, se présente à l’élection présidentielle. Forte des 60 voix détenues par les députés communistes, elle espère l’unique désistement lui permettant d’atteindre les 61 voix nécessaires. Le désistement tant attendu n’a pas lieu, l’opposition unie bloque son élection en boycottant le scrutin

Le 2 juin, le Parti des Communistes encaisse un autre coup - Marian Lupu, Premier ministre pressenti en cas de victoire de Greceanii, quitte le parti, déclarant avec fracas qu’il le jugeait non-démocratique et irréformable. Ex-président du Parlement et ancien ministre de l’Economie, Lupu, considéré par beaucoup comme l’incarnation de l’avenir du PCRM, adhère dans la foulée à un nouveau parti, le Parti Démocrate de Moldavie (PDM). Le lendemain, Zinaida Greceanii se présente à nouveau devant le Parlement ; sans surprise sa candidature est repoussée.

Voronine, Président de la République par défaut et Président d’un Parlement devenu incontrôlable, doit se résoudre à convoquer des élections législatives anticipées afin de rebattre les cartes du jeu politique et de voir réapparaître une majorité. De nouvelles élections sont donc convoquées le 29 juillet. A l’issue d’une campagne particulièrement âpre, le PCRM affaibli perd 12 sièges, mais reste le premier parti du pays. Le Parti Démocrate de Marian Lupu fait, lui, une entrée remarquée au Parlement avec 13 sièges. Au début du mois et après de longues négociations, le Parti Démocrate de Moldavie s’allie avec les principaux partis d’opposition, le Parti Libéral-Démocrate de Moldavie (PLDM), le Parti Libéral (PL) et l’Alliance « Notre Moldavie » (ANM) pour constituer une coalition gouvernementale - l’Alliance pour l’Intégration Européenne (AIE) ».

les quatre leaders de AIE-1

L’AIE se fixe comme objectif de surmonter la crise économique et sociale, d’assurer la croissance économique, de réincorporer la Transnistrie, d’intégrer l’Union Européenne et de promouvoir une politique étrangère équilibrée, cohérente et responsable. Elle désire ainsi passer un accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE et avoir une relation stratégique aussi bien avec la Russie que les États-Unis d’Amérique. Un programme ambitieux, mais des plus vagues.

Malgré leur alliance, les formations constitutives de l’AIE ne disposent que de 53 sièges au Parlement, huit de moins que le nombre requis pour pouvoir élire le Président. Les partis de l’Alliance se répartissent néanmoins les principales fonctions de l’Etat. Ainsi, un vétéran de la politique moldave, Mihai Ghimpu (PL), est élu Président du Parlement après de nombreuses péripéties dues à l’opposition acharnée du PCRM, Vlad Filat (PLDM) est nommé Premier ministre le 25 septembre. Marian Lupu (PDM) est lui désigné pour se présenter à la fonction de chef de l’Etat. Soudée dans une posture de blocage systématique, l’opposition communiste fait échouer par tous les moyens et à plusieurs reprises l’élection de Lupu à la présidence de la République.

Embourbement interne

Dans ce pays tiraillé depuis son indépendance entre un camp pro-roumain, favorable à un rapprochement fort, voire à une union avec la Roumanie dont une majeure partie de la population partage la langue et la culture, et un camp pro-russe qui joue sur la nostalgie de l’époque soviétique, se défie de la Roumanie et se pose en défenseur farouche d’une identité moldave distincte de celle de son voisin de l’ouest, la tension s’accentue dans cette période d’incertitude politique. Vétéran de la scène politique, le libéral Mihai Ghimpu devient Président par intérim, il est favorable à une union à terme avec la Roumanie et joue à l’extrême la carte d’un anticommunisme farouche. Pendant tout son mandat, il multiplie les attaques contre ses adversaires politiques. Il veut pêle-mêle faire condamner officiellement les crimes du régime communiste en Moldavie, interdire à toute organisation d’y faire référence ou de s’en revendiquer et propose la création d’un jour commémoratif de « l’occupation soviétique ». Son attitude et celle de son parti divise plus que jamais le pays.

Certains de ses alliés voient par ailleurs d’un mauvais œil ses initiatives qu’ils jugent contre-productives. Pour sortir de la crise politique et tenter de s’imposer, Mihai Ghimpu décide d’organiser un référendum pour changer la constitution et permettre l’élection du président au suffrage universel direct. Organisé le 5 septembre 2010, le référendum doit être invalidé en raison d’un taux de participation trop faible (environ 29% contre les 33% de participation requis), malgré une forte victoire du « oui » (87%). Cette invalidation constitue une victoire pour le Parti des Communistes qui avait appelé au boycott, elle montre également une profonde lassitude de la société face aux jeux byzantins de la classe politique. Constatant l’échec de la coalition au pouvoir, Mihai Ghimpu dissout le Parlement. Des élections législatives anticipées sont fixées au 28 novembre 2010, ce sont les troisièmes en moins d’un an et demi. Le PLDM, le PDM et le PL obtiennent ensemble 59 sièges, le PCRM - 42. Les résultats du Parti « Notre Moldavie » ne lui permettent pas de rentrer au Parlement.

Les négociations qui suivent le scrutin montrent la fragilité de l’Alliance. Le parti de Marian Lupu négocie d’abord avec le Parti des Communistes avant de le faire avec ses partenaires de l’AIE. Un accord est cependant finalement trouvé au sein de l’Alliance, un accord qui marque le déclin du Parti Libéral au sein de la coalition.

Vlad Filat est reconfirmé Premier ministre, Marian Lupu est élu Président du Parlement et occupe à son tour la fonction de chef de l’Etat par intérim. Le choix de Marian Lupu, qui ne partage ni le nationalisme pro-roumain, ni l’hostilité à la Russie de son prédécesseur, marque une recherche du compromis politique et une volonté d’apaiser les tensions sociales.

Succès à l’extérieur

Malgré la crise politique persistante et les différends qui opposent entre eux les principaux dirigeants de l’AIE, il est possible de dégager des lignes claires dans la politique menée par l’Alliance et son exécutif, dirigé par Vlad Filat. Les événements d’avril 2009 ont terni l’image de la République aux yeux de ses partenaires occidentaux et ont démontré que l’exaspération de la population atteignait un niveau difficilement supportable. Un effort particulier est donc consenti pour répondre aux attentes de la société civile et des partenaires occidentaux. Force est de constater que la Moldavie en l’espace de deux ans fait des progrès importants en matière de libertés publiques et de liberté d’expression, notamment dans les domaine des médias et du renforcement de la société civile.

Les dirigeants de l’Alliance, Vlad Filat en premier lieu, prennent leur bâton de pèlerin pour trouver dans toutes les capitales européennes un soutien à la démocratisation de la Moldavie. L’AIE est également parvenue à rétablir rapidement de bonnes relations avec la Roumanie qui lui a par ailleurs accordé une aide financière bilatérale non négligeable en avril 2011.

En mars 2011, le vice-président américain, Joe Bidden, se rend à Chişinău à l’invitation de Vlad Filat. Il explique sa satisfaction d’être le premier vice-président des États-Unis à venir en Moldavie car la Maison Blanche considère que l’évolution du pays constituait une « succes story » pour la démocratie dans la région.

Joe Biden et Vlad Filat

Le 6 mai 2011, une réunion du Conseil de coopération Union Européenne-Moldavie se tient à Bruxelles. A l’issue de cette réunion, Zsolt Németh, ministre délégué aux Affaires Étrangères de la Hongrie, pays qui préside alors le conseil de l’UE, déclare que la politique de voisinage de l’Union Européenne a besoin de remporter des succès, à l’image de l’accélération du partenariat avec la Moldavie. Il déclare également espérer que l’accord d’association entre l’Union Européenne et la Moldavie verrait le jour rapidement, que les conditions du libre-échange seraient bientôt mises en place et que la libéralisation du régime des visas pourrait également intervenir dans un avenir proche.

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