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Nos Roumains du Caucase du Nord

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Article par Iaroslav MIRONENKO publié sur http://www.flux.md/articole/6178/

Traduction – Rodica Istrati.

Moldovanovca… C’est un des villages qui fait partie de la « constellation bessarabienne » du Caucase du Nord. Il s’agit plus exactement de la partie ouest de cette région, celle montagneuse. Eloignés un de l’autre, les villages roumains de cette région n’ont pas réussi à y former une enclave, vu la politique bien mise au point par la Russie tsariste, dont le gouvernement impérial agissait conformément au fameux principe confirmé par l’histoire : « Divide et impera ».

Depuis l’an 1975, j’ai commencé à conserver tout ce qui tient du folklore de cette région. Moldovanovca fut le premier village que j’ai visité. Depuis, une question m’obsédait : Pourquoi tous les paysans qui ont mis les fondements de ces villages provenaient de la zone du Codru ? Ce stratagème des autorités de Saint-Petersbourg, la capitale de cette période-là de l’empire tsariste, a eu à sa base les motifs suivants. Après la fin de la guerre russo-caucasienne, un traité de paix a été signé avec les peuples caucasiens - les Adyguéens et les Tcherkesses - au mois du mai 1865. Aux ordres du gouvernement tsariste, le territoire déserté suite à l’émigration en Turquie d’une bonne partie de ces ethnies a été peuplé par des soldats. Mais comme les soldats russes n’étaient pas habitués à cultiver la terre dans les conditions du relief montagneux, ils ont vite quitté ces territoires-là.

Une fois cette mesure échouée, le gouvernement tsariste s’est orienté vers la zone centrale de l’empire, la partie vallonnée de la Bessarabie, et notamment la région du Codru. D’ici tire en fait ses racines le transfert des paysans de Bessarabie dans le Caucase. A noter que la zone du Codru était la plus peuplée de Bessarabie avant cette migration massive organisée au milieu du XIX-ème siècle.

La décision du gouvernement tsariste a provoqué une tragédie pour chaque famille qui en fut affectée, bouleversant la fraternité séculaire entre le paysan moldave et la terre ancestrale, son appartenance à l’Eglise orthodoxe. Or, il n’était pas facile pour eux de s’éloigner des tombeaux de leurs ancêtres et de se mettre en route vers une contrée étrangère pour le simple motif qu’un jour la Bessarabie sembla étroite aux « libérateurs » qui s’y étaient installés.

C’est justement du sentiment de se sentir étranger que provient un genre unique du folklore roumain, inconnu encore par d’autres peuples européens. C’est une évidence et tout commentaire est inutile. Ce n’est pas en vain que les chansons et les complaintes évoquant la solitude et la nostalgie de la patrie occupent une place importante dans le folklore des villages roumains du Caucase.

En 1975, j’ai fait paraître un recueil autant volumineux que divers de folklore cueilli à Moldovanovca. Particulièrement précieuses se sont avérées les pièces imprimées suite à la visite que j’ai fait chez Vera Cuciuma et Pelaghia Pascari, les filles des feus frères Filimon et Pimon Pascari. Tous les deux, ils avaient été des musiciens : Filimon jouait à la flûte, Pimon – à la cornemuse. J’ai transmis leurs instruments musicaux (malheureusement, la cornemuse était déjà sans outre) au Musée National d’Ethnographie et d’Histoire Naturelle de Chisinau.

Dans la même année, étant en voyage en Moldavie, Vera et son neveu m’ont rendu visite. Ils voulaient visiter leur parents qui habitaient le village de Dănuţeni, mais, le responsable du bureau des passeports leur a interdit l’accès dans la zone frontalière (ce village est actuellement à la banlieue de la ville Ungheni) en leur disant en russe : “Rentrez chez vous et écrivez une lettre à vos parents de Dăncăuţi pour qu’ils vous envoient une invitation écrite, après faites des démarches pour obtenir le permis nécessaire”.

Plus tard, nous avons rencontré par hasard un groupe de touristes de Roumanie venus au Centre d’expositions de Chisinau. Vera, en entendant parler la langue qui lui était tellement chère, s’est approchée d’eux et s’est mise à discuter avec une jeune et très belle femme. Ensuite, elles sont sorties du pavillon et ont longtemps continué leur discussion. En se séparant, la femme roumaine a embrassée Vera et lui a dit : “Tu as notre sang”.

Et voilà que trois décennies après je pars de nouveau pour Moldovanovca pour transmettre à la bibliothèque du village des calendriers et une brochure signée par Iurie Roşca, intitulée “ Le livre du bon chrétien et du bon patriote”, ainsi que le livre bien illustré de Vasile Şoimaru intitulé “Les Roumains des environs de la Roumanie en images » et l’ouvrage “Folklore roumain de l’est du Nistru, de la zone du Boug et du nord du Caucase” de A. Hîncu et A. Graur, chercheurs de l’Académie des Sciences de Moldavie, écrit sous la direction et avec la participation de Nicolae Băieşu.

Il est important de parler de l’attention accordée aux Roumains qui habitent loin de leur pays. Les habitants du village de Moldovanovca ont manifesté un vif intérêt pour les livres reçus. A l’occasion de la remise de ce don, les femmes du village guidées par la bibliothécaire Valentina Gunea ont mis une table de fête traditionnelle avec des plats préparés selon les recettes des ancêtres de façon qu’on se sentait comme sur le territoire roumain.

Les habitants du village s’y sont réunis et ont commencé à raconter des histoires, en se souvenant aussi des virtuoses d’autrefois, Filimon et Pimon.

Avant de nous séparer, j’ai appris que Pelagheia Pascari était encore vivante et qu’elle allait fêter ses 90 ans. C’est avec beaucoup d’émotions que je me suis approché de sa maison. Je l’ai retrouvée auprès de sa fille Olga. Elle s’est souvenue de moi et nous nous sommes mis à causer.

En 1975, grâce à Vera Cuciuma, j’avais imprimé la mélodie de la dance populaire “Sîsîiacul”, mais malheureusement je ne me suis pas renseigné sur la chorégraphie de cette dance. Et voilà que maintenant Pelagheia peut m’en parler. "Laisse-moi réfléchir un peu », me dit-elle et puis se met à raconter : on dansait en ronde, les danseurs se tenant à la main, les bras pliés aux coudes. Quand il y avait une pause pendant la dance, on s’arrêtait et on exclamait « hop, hop, hop ! », puis on battait des mains et on recommençait la danse en ronde."

« Je me souviens que vous m’aviez fredonné la mélodie de la dance “Armeneasca”, vous vous en souvenez ? » l’ai-je demandée avec enthousiasme. « Oui, on la dansait en ronde aussi, à la seule différence que les danseurs se tenaient de l’auriculaire », m’a-t-elle expliqué. Il est difficile de croire mais Pelagheia s’est mise à chanter et a danser avec moi la dance “Ilenuța” qu’elle se rappelle aussi très bien.

Lorsque j’ai quitté Moldovanovca, j’éprouvais un tas de sentiments contradictoires : à partir d’une joie inexplicable jusqu’au désir de revenir dans ce village des Roumains caucasiens afin de leur montrer des photos ou tout simplement pour causer avec eux.

La diaspora n’est pas une notion abstraite. Son essence ce sont les gens et encore une fois les gens. Ceux qui vivent sur leur terre ne doivent pas oublier leurs compatriotes.

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