Dans le district de Hânceşti, il y a plusieurs villages avec une population ukrainienne majoritaire, y compris Krasnoarmeïscoe. Le village se trouve à environ 80 km de la capitale moldave. La première mention documentaire de ce village date de l’an 1490, la localité ayant été fondée par des Ukrainiens. Aujourd’hui, les Ukrainiens représentent 66% de la population du village. Comment perçoivent-ils la situation à la frontière russo-ukrainienne ?
« J’aimerais que mes enfants mènent une vie digne en Moldavie »
Anna Marciuc, habitante du village, sait qu’elle a des origines ukrainiennes, mais elle n’a plus de famille, ni d’amis en Ukraine. Elle dit que la Moldavie est son pays : « Nous n’avons personne en Ukraine - ni amis, ni famille. Je me souviens que notre grand-père disait qu’il venait de Tchernovtsy ». Anna reconnaît qu’elle ne suit pas la situation politique dans le pays voisin et elle n’imagine pas comment ce conflit pourrait nous influencer. Tout ce qu’elle souhaite pour la Moldavie, aussi que pour le pays voisin, c’est la paix et une meilleure vie pour les enfants. « Ma patrie c’est la Moldavie, bien sûr. Je suis née et j’habite ici. Mes enfants aussi. C’est notre patrie ».

Le mari d’Anna, Ivan Marciuc, considère, lui-aussi, que la Moldavie est sa patrie : « Oui, mes ancêtres venaient d’Ukraine, mais ma patrie c’est la Moldavie. J’aimerais que mes enfants mènent une vie digne en Moldavie ».
« C’est regrettable que deux peuples slaves qui partagent la même foi chrétienne-orthodoxe fassent la guerre »
L’église du Saint Démètre a été rénovée dans les années 1992-1994, avec un support fort de la part de la communauté ukrainienne, et a maintenant un visible coloris ukrainien. Selon le prêtre Gheorghe, les Ukrainiens sont des chrétiens de bonne foi, très réceptifs et s’impliquent activement chaque fois qu’on demande leur aide. « Ils sont très bienveillants. Ils s’entraident. Ils ont beaucoup de qualités chrétiennes. J’apprécie leur réceptivité. Quand j’annoncé une action communautaire, ils sont tellement nombreux à s’y associer ! »

Puisque pas tous les Ukrainiens parlent roumain, le prêtre prononce certaines prières en russe, une langue que tous les villageois comprennent, et fait parfois des messes en russe. Quant à l’actuelle situation en Ukraine, le prêtre considère qu’« il est regrettable que deux peuples slaves qui partagent la même foi chrétienne-orthodoxe, fassent la guerre ».
« Les politiciens ne s’entendent pas et cela a des conséquences sur les gens innocents »
La directrice de l’école, Nadejda Bostan-Chirinciuc, dit qu’une partie de son âme se trouve en Ukraine d’où proviennent les racines de son père. Avec la famille, elle allait régulièrement en Ukraine, au moins une fois par an. « Mon père est né en Ukraine, à Tchernivtsi. Notre âme, nos proches, notre maison est là, à Tchernivtsi. Au moins une fois par an, nous nous y rendons ». Elle dit qu’elle ne touche pas des sujets politiques quand elle parle à ses parents d’Ukraine, mais la situation tendue dans ce pays complique leur communication.
Svetlana Ranețkaia est la directrice de la troupe ethno-folklorique ukrainienne « Ukrainka », la seule troupe ukrainienne du district. Elle a des parents en Ukraine qu’elle visitait souvent avant la pandémie : « Mon père et ma mère sont des Ukrainiens. C’est le grand-père de mon père qui s’est installé en Moldavie le premier et ma mère est venue ici quand elle a épousé mon père. J’ai des parents de deuxième degré en Ukraine. On se voyait souvent avant la pandémie, maintenant, on ne communique qu’en ligne ».

En ce qui concerne la situation politique en Ukraine, Svetlana dit que les politiciens ne s’entendent pas et, par conséquent, ce sont les gens simples, innocents qui souffrent. Elle croit que le conflit d’Ukraine pourrait avoir une influence négative sur la situation en Moldavie. Elle est attachée à la Moldavie, parce qu’elle est née et vit ici, mais elle est aussi préoccupée de la situation en Ukraine, la patrie de ses ancêtres.
Vladimir Stachoc a 64 ans. Il est né en Moldavie de parents ukrainiens. Sa fille vit en Ukraine. « J’habite Krasnoarmeïskoe. J’y suis né, après que mes parents y soient venus d’Ukraine. Je parle ukrainien. J’ai des parents dans la région de Tchernivtsi que je visite périodiquement. Ma fille vit dans la région d’Ivano-Frankivsk. Elle nous rend souvent des visites. Mes tantes sont venues en Moldavie pour mon mariage. Nous gardons toujours notre relation, maintenant, il est vrai, surtout par téléphone et Internet ».

Vladimir ne parle pas avec ses parents de la situation politique en Ukraine, mais il « a mal au cœur pour l’Ukraine », car, comme la Moldavie, c’est sa patrie.
Que pensent les jeunes Ukrainiens de Krasnoarmeïskoe ?
Daria Șova a 15 ans et elle est membre de la troupe « Ukrainka » : « Je ne suis pas de près la situation politique en Ukraine, mais je crois qu’elle n’est pas favorable pour les gens simples. Avec la famille, nous allions souvent en vacances en Ukraine. J’aimerais y vivre ».

Loredana Știrbeț a 18 ans, membre de la troupe « Ukrainka », elle-aussi : « Nous avons des parents en Ukraine, mais nous n’avons pas de relations étroites avec eux. Nous communiquons surtout en ligne ». A cause de la situation compliquée en Ukraine, Loredana s’inquiète pour ses parents. « C’est difficile. Les gens souffrent sans être coupables de quoi que ce soit. Nous ne pouvons pas rester indifférents, même si nous sommes ici ».
Quel est l’impact du conflit russo-ukrainien sur les représentants de l’ethnie russe et de celle ukrainienne de Moldavie ?
Elena Buracova, directrice du Centre Intellectuel Russe de Moldavie : « Notre organisation est surtout préoccupée du domaine de l’éducation, créant des possibilités pour les jeunes de Moldavie de faire leurs études en Russie. Ni avant le conflit d’Ukraine, ni après, nous n’avons pas eu de problèmes de communication avec les représentants de la communauté ukrainienne. D’autre part, quand nous avons quelque chose à faire ensemble, on ne se préoccupe pas de l’ethnie. Pour moi, c’est l’intelligence de la personne qui compte, pas sa nationalité".
Dmitri Lecartev, Président de l’Association des jeunes ukrainiens « Zlagoda » : "Au niveau officiel, il n’y a pas de conflits entre les groupes ethniques russe et ukrainien de Moldavie. Mais au niveau social, dans les relations quotidiennes, il y en a et personne ne peut les renier. En général, ceux qui s’informent des médias russes ont un message plus agressif que les Ukrainiens, un message pareil à celui des sources respectives. Je pense que c’est une situation triste, même dangereuse. En tant qu’Ukrainien qui vit ici, il ne fait pas craindre de l’admettre".
D’après un article d’Alina Zlatov, publié sur https://www.zdg.md/reporter-special/reportaje/video-ucrainenii-din-r-moldova-intre-doua-patrii/
Le 17 mai 2021