Je le regardais tous les soirs, comme un feuilleton, avant de m’endormir. Je suivais ses lignes, comme dans un livre, jusqu’à ce que mes yeux se fermaient et je commençais à faire des rêves de cerfs dans des prairies avec des fleurs qui empruntaient les couleurs et les arômes de ma pièce devenue comme un royaume de conte de fées.
Le tapis au mur de la chambre à coucher a été pour notre génération la télé et le livre de contes de toutes nos années d’enfance. Tout cela, bien avant l’invention de Facebook, qui allait emprunter au merveilleux tapis traditionnel moldave l’expression « photo de couverture ».

Et pendant toutes ces années, contrairement à la télé, le tapis n’a jamais été en panne. Il n’a jamais hurlé à ceux qui le regardaient pour les appeler à voter d’une manière ou d’une autre. Il n’a pas montré l’horreur d’une guerre en plein déroulement. Il n’a non plus ironisé les pauvres avec des recommandations de manger trois fois par jour.
Le tapis est le témoin silencieux de notre passage à travers cette vie pendant laquelle nous apprenons à garder le fil rouge qui nous lie à ceux d’hier et à ceux de demain.
Pour la génération de nos grands-parents, le tapis était leur cahier de coloriage, et le tissage a été leur seul antidépresseur. C’était aussi le seul isolant thermique de la pièce qui avait également une fonction esthétique. Et souvent — leur seule source de revenus à un moment où tout changement de pouvoir signifiait un changement pour le pire.
Le tapis est un produit artisanal fait à une époque où tout était fait main. L’artisan y mettait de l’âme, de la patience, de l’habileté, etc. — une qualité essentielle pour chaque couleur.
Le chemin du tapis commençait dans une prairie - qui est comme un tapis aux fleurs – où broutait un troupeau de moutons qu’on élevait pour la laine et le lait. Au bout de ce chemin – un métier à tisser habilement manié par nos grands-mères pour rendre plus colorée notre vie, la vie des générations suivantes. Entre la prairie et le mur – le processus de transformation de la laine en fil qui a été si bien décrit par Ion Creangă dans ses « Souvenirs d’enfance ».
Et « șezătoarea », ces assises pendant lesquelles on tordait la laine, n’était-ce une sorte d’after party à la fin d’une journée de travail dans les champs et dans la cour ? Et le tissage, n’était-ce le collage d’un puzzle par des adultes qui ne sont plus près de leurs proches aujourd’hui, mais qui continuent de transmettre de la chaleur à leurs petits-enfants à travers les fleurs qui sont sur les tapis au mur ou sur le plancher ?
Et quelle merveilleuse invention à la portée des enfants et des adolescents est aujourd’hui Youtube, qui peut les fasciner par des vidéos sur le making-of du tapis traditionnel, vu que nous autres, nous sommes incapables d’exprimer en mots toutes les significations, les tourments et l’admiration que notre tapis traditionnel cache ! Le tapis qui est pour notre génération la meilleure photo couverture qui puisse exister.
Auteur : Igor Guzun
Traduit pour www.moldavie.fr
Le 31 mars 2022