Publicité Votre publicité ici !

Le 8 mars : l’évolution de la connotation d’une journée

Au début du XXe siècle, le 8 mars les femmes sortaient dans la rue pour réclamer le droit de vote et le droit au travail décent. Entre-temps, la connotation de cette journée a radicalement changé, étant aujourd’hui considérée comme la fête des « êtres les plus doux », des mères et des grands-mères.

D’une mobilisation militante aux bouquets de fleurs

Les premiers mouvements en faveur des droits des femmes apparaissent à la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elles réclamaient de meilleures conditions de travail, des salaires égaux à ceux des hommes et le droit de vote. En 1910, Clara Zetkin et Rosa Luxemburg proposent d’instituer une journée pour célébrer la lutte des femmes pour la liberté. Le 8 mars 1917, les ouvrières d’une usine de Petrograd se sont mises en grève, exigeant des droits et de meilleures conditions de travail. Le 8 mars est officiellement célébrée en Union Soviétique à partir de l’an 1921.

« Au XXe siècle, les femmes sont devenues l’un des éléments clés du mouvement d’émancipation  », explique Vasile Ernu, journaliste et écrivain de Moldavie, tout en mettant en évidence le fait que l’État soviétique a été l’un des premiers pays à accorder des droits aux femmes : en 1920, ce fut le premier pays à légaliser l’avortement et en 1922 - à criminaliser le viol conjugal. L’accent était toutefois mis sur le droit des femmes au travail.

« Le progrès fait lors de l’entre-deux-guerres commence à s’estomper avec l’arrivée au pouvoir de Staline, en 1924, qui met en place une politique dictatoriale très conservatrice, raconte l’écrivain. Les femmes aux premiers rangs du parti deviennent rares et on revient à la criminalisation de l’homosexualité et aux principes familiaux conservateurs, qui donnent un rôle traditionnel aux femmes  ».

Carte postale soviétique du 8 mars

Après l’annexion de la Bessarabie à l’URSS, le 8 mars arrive sur le territoire de notre pays. Outre les coutumes apportées ici par le nouveau régime, les pertes massives dans la Seconde Guerre mondiale ont considérablement modifié le rapport des forces. Puisqu’un grand nombre d’hommes étaient décédés à la guerre, un phénomène paradoxal s’est produit : d’un côté, les femmes commencent à faire des métiers « d’hommes » - on voit des femmes sur les tracteurs, dans les usines, un processus d’émancipation presque forcé se mettant en place. D’autre part, l’origine conservatrice du régime détourne cette fête. Une grande importance est accordée au rôle de mère, de sauveuse, de femme qui se sacrifie.

Carte postale datant de 1966, l’année quand le 8 mars devient un jour férié. Au dos, c’est écrit en russe : « Chère Nina Petrovna ! Nous vous félicitons à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars ! Nous vous souhaitons une santé de fer et du succès au travail. Le collectif des hommes ».

D’une fête censée célébrer les droits des femmes, le 8 mars est repoussé dans l’espace privé et dépolitisé. Cela devient progressivement une fête au cours de laquelle les enfants célèbrent leurs mères, les élèves - leurs enseignantes, les maris - leurs épouses et au cours de laquelle on oublie les droits et les inégalités dans la vie des femmes.

Pourquoi un tel changement était-il nécessaire pour le régime ? Vasile Ernu explique que Staline voulait la dépolitisation des citoyens pour avoir une population docile qui ne sort pas avec des slogans sur les droits des femmes, mais qui reste à la maison et fait la fête avec des fleurs et du champagne. D’autre côté, les gens avaient besoin d’un retour à l’intimité, considère l’écrivain : « Dans un État sans fêtes religieuses, des jours de repos et de divertissement étaient nécessaires. C’est ainsi que des fêtes comme le 8 mars se sont consolidées dans notre tradition ».

Le processus de transformation culmine en 1966, lorsque le 8 mars devient un jour férié en URSS. « Quand l’Etat impose un jour libre, il pousse automatiquement vers un certain comportement : des tables dressées, des festins, des félicitations et des cadeaux. C’est comme ça qu’on a changé la connotation des journées du 8 mars et du 1er mai », affirme le journaliste.

Carte postale datant de 1966, l’année quand le 8 mars devient un jour férié. Au dos, c’est écrit en russe : « Chère Nina Petrovna ! Nous vous félicitons à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars ! Nous vous souhaitons une santé de fer et du succès au travail. Le collectif des hommes ».

Le 8 mars et le mărțișor

Après l’effondrement de l’URSS, la tradition de fêter le 8 mars, toujours férié, est restée en Moldavie. Dans notre pays, le 8 mars, fête soviétique, est également associée au printemps et à la tradition locale du mărțișor, propre à l’espace roumain.

En même temps, l’accent très fort sur la relation homme/femme, élément conservateur, a été préservé. « L’homme offre de l’attention, le bouquet traditionnel de fleurs et une bouteille de champagne, et la femme prépare un repas pour le remercie de son effort », raconte Vasile Ernu. A son avis, ces gestes des hommes sont plutôt « une fausse forme d’égalité ». « Nous achetons un bouquet de fleurs et nous croyons avoir fait notre devoir. C’est un geste qui dévalorise plutôt  », constate-t-il, tout en admettant le besoin de gestes symboliques, juste qu’offrir des fleurs et de l’attention peut être risqué dans un contexte où les femmes sont confrontées à de nombreux défis qui doivent être surmontés.

Outre le mărțișor, le 8 mars est proche du 23 février, jour de l’armée soviétique. En Moldavie, il y a encore des gens qui, comme autrefois, célèbrent le 23 février la « journée de l’homme ». Ces deux fêtes très proches dans le calendrier créent « une division archaïque entre l’homme militaire et la femme fragile », considère l’écrivain.

Outre la relation ancestrale femme/homme, la tradition met un accent particulier sur le culte de la mère. Ainsi, le 8 mars est devenu une fête qui célèbre spécifiquement la femme-mère, certains la voyant comme la « fête des mères ». En le faisant, « nous ne pensons pas au fait que nos mères ont très peu de droits, ni aux questions d’égalité. On pense plutôt au rôle archaïque de la mère qui sauve et qui donne la vie  », dit Vasile Ernu. « Le discours sur la tendresse des femmes et les bouquets de fleurs persistent toujours parce que c’est pratique et cela convient aux hommes, considère-t-il, mais le 8 mars pourrait être une bonne occasion d’aborder la question des droits des femmes, une journée où nous, les hommes, serions solidaires des femmes pour dénoncer certaines injustices qui les concernent ».

D’autre part, la nouvelle génération remet le débat sur la Journée de la femme dans un contexte politique. « Il est très important de revenir au discours principal sur cette fête, à sa connotation initiale - la lutte pour l’émancipation, pour les droits et l’égalité des chances », conclut Vasile Ernu.

D’après un article de Patricia Mihăilă publié sur https://www.moldova.org/8-martie-de-la-lupta-pentru-drepturi-la-lalele/

Le 8 mars 2024

Revenir en haut
Soutenir par un don