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Des souvenirs de Tchernobyl : « Les arbres étaient rouges et les animaux pleuraient des larmes de sang »

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Le matin du 26 avril 1986, une erreur a provoqué l’explosion d’un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. La zone environnante a été contaminée par des radiations dépassant de centaines de fois celles provoquées par l’explosion d’une bombe atomique. Plus de 300 000 personnes ont été évacuées de la zone touchée.

Environ 3 500 Moldaves ont été recrutés pour participer à la liquidation des conséquences de la catastrophe. Beaucoup d’entre sont décédés, tandis que les autres ont de graves problèmes de santé.

Serghei Barbu, originaire du village de Cheltuitori, banlieue de Chisinau, est un des Moldaves qui a été à Tchernobyl dans les premiers mois après l’explosion. Il n’avait alors que 26 ans, il venait de se marier et sa femme était enceinte de leur premier enfant. Il dit que s’il avait eu le choix, il n’aurait pas accepté de partir. Serghei affirme qu’il n’a pas oublié une seconde du cauchemar qu’il a vécu au cours des deux mois passés dans un endroit sans vie.

« On va à Tchernobyl »

C’était début juin. En rentrant du travail le soir, Serghei a trouvé chez lui une citation le convoquant « pour une formation », tout en le sommant de préparer ses objets de première nécessité. « Dans le village, nous avions tous peur. Nous savions ce qui s’était passé en Ukraine et nous avions peur qu’on nous recrute. Le lendemain, tôt le matin, on est venu me chercher. On m’a mis dans une voiture sans que personne me dise un mot », se souvient Serghei.

Après l’explosion, le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl a été recouvert d’un sarcophage en béton.

Serghei a été la seule personne recrutée de son village. «  Je ne savais pas où nous allions. Ce n’est que quand on est arrivé dans la région d’Odessa que j’ai réalisé que la situation était grave. Là-bas, on a fait une sélection parmi nous et ceux qui avaient des problèmes de santé ont été renvoyés chez eux. Quant aux autres, on nous a rasé la tête et on nous a donné des vêtements militaires. « On va à Tchernobyl ! », a crié quelqu’un… et on nous a embarqués dans des camions  », raconte Serghei attristé.

« La fin du monde »

Le 7 juin 1986, le groupe de Moldaves est arrivé dans le village de Starye Sokoly, en Ukraine, à 30 km du réacteur qui avait explosé. Sergei dit que les premières images qu’il a vues se sont imprimées dans sa mémoire pour le reste de sa vie. «  Les villages étaient vides, les maisons fermées à clé et scellées. Aucun être humain dans un rayon de dizaines de kilomètres. Les arbres étaient rouges et les animaux pleuraient des larmes de sang. J’avais l’impression que c’était la fin du monde. Les premiers jours, j’ai vu quelques chiens pratiquement sans fourrure. Puis, ils ont disparu, eux-aussi. Soit on les a tués, soit ils sont morts…  ».

« Attention ! Radiation ! »

Serghei, aux côtés des autres Moldaves, vivait dans des tentes qu’ils ont dû installer dans le champ et c’est toujours là qu’ils se faisaient à manger. Ils avaient assez de produits, car les réserves étaient remplies pratiquement tous les jours.

La technique et les vêtements infectés étaient enterrés

Selon Serghei Barbu, le détachement dont il faisait partie était composé d’environ 300 personnes. Des détachements pareils, il y en avait plusieurs centaines. Ils étaient déployés à environ 30 km du site de l’explosion. Leur mission était de localiser la source de radiation le plus près possible du réacteur, ainsi que de désinfecter les zones d’accès. « J’ai travaillé tout près du réacteur pendant cinq jours. On faisait de la désinfection. On nous donnait des vêtements censés nous protéger contre les radiations, mais personne ne sait s’ils nous protégeaient vraiment. Nous travaillions pendant deux heures au maximum, puis il fallait enlever tous les vêtements et il y avait une équipe responsable de les enterrer dans un endroit spécial, une sorte de cimetière des choses affectées par les radiations. Après, on prenait la douche pendant plusieurs minutes pour nous débarrasser de tout le mal », se souvient-il.

La salle d’opérations d’un ancien hôpital. Tchernobyl, 2014.

Serghei raconte que la même procédure était appliquée à la technique. Après avoir circulé près du foyer, les camions étaient lavés, mais si le niveau des radiations sur leur surface restait élevé, alors ils finissaient dans la fosse.

Certains membres de l’équipe avec lesquels Serghei a travaillé côte à côte sont décédés. « Ils ont passé plus de temps près du foyer, certains sont tombés malades et sont morts sur place, d’autres - à l’hôpital. Je pensais toujours à ma maison et je pense que c’est ce qui m’a aidé à résister dans ces conditions-là  », dit Serghei.

Le retour

Après deux mois et quelques jours passés dans une zone sans vie, Serghei est rentré en Moldavie. « Quand je suis arrivé chez moi, il me semblait que je venais de l’espace. La nature était vivante, les animaux – comme des animaux et il y avait beaucoup de monde partout. J’étais très heureux d’avoir retrouvé ma femme. En 1987, est né notre enfant », se souvient Serghei souriant.

Une ancienne salle de sports. Tchernobyl, 2014

Après la catastrophe, deux autres enfants sont nés dans la famille des Barbu, un fils et une fille. Serghei dit qu’ils ont des problèmes de santé et il croit que c’est à cause de la radiation qu’ils « ont hérité » de leur père. Jusqu’à l’âge de 18 ans, ils ont bénéficié de certaines facilités de la part de l’État, puis – rien. « On promet beaucoup de choses, mais, en réalité, on ne fait rien pour nous », dit Serghei, tout déçu.

La santé perdue à Tchernobyl

Serghei dit que sa santé a commencé à dégrader après son retour de Tchernobyl. Il se plaint de maux de tête et de douleurs osseuses. «  Je suis allé voir le médecin aujourd’hui. Il m’a prescrit des vitamines et m’a dit que c’est gratuit pour « les liquidateurs » de Tchernobyl. Mais, quand je suis allé à la pharmacie, ils m’ont dit que les stocks destinés à ceux comme moi se sont épuisés et que je dois payer…. Ces vitamines, ils ne coûtent pas chers et ils n’ont pas voulu me les donner gratuitement, n’en parlons pas des médicaments plus chers… ».

Masques à gaz. Tchernobyl, 2014.

D’après un article de Dorin Galben publié sur https://www.timpul.md/articol/exclusiv---amintiri-de-la-cernobil-copacii-erau-roii-iar-animalele-lacrimau-cu-sange-71830.html

Photos : Daniel Dalton

Le 26 avril 2020

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