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Des enfants qui n’appartiennent à personne

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Dans un ménage sur trois du village de Ciniseuti, au district de Rezina, il y a au moins une personne qui travaille à l’étranger, ayant laissé ses enfants au soin des grands-parents. Après plusieurs années d’absence, certains enfants ne se rappellent plus comment sont leurs parents.

Les effets de l’exode peuvent être constatés dès qu’on franchit le territoire de ce village. Les maisons des personnes qui travaillent à l’étranger sont rénovées en style européen, « ornées » avec des antennes paraboliques. Paradoxalement : dans la même rue on trouve aussi des maisons abandonnées, aux portes fermées par des chaînes et aux fenêtres clouées, signe que les maîtres n’ont pas encore réussi à amasser l’argent suffisant en Russie, Italie ou Portugal.

A un coin de rue, un garçon de 14 ans tire à grand-peine un seau d’eau. Sa grand-mère est malade et ne peut pas porter des seaux pleins, et son petit-fils l’aide comme il peut. De plus, Serge vit aux soins de sa grand-mère depuis 7 ans. Dans la bicoque de la vieille femme, le garçon nous montre la chambre où il habite avec son frère cadet. Dans ces dix mètres carrés on a seulement 2 lits et une table. Dans la chambre voisine, sur une chaise était assise la maîtresse de la maison - Manea Suleac.

« J’ai 5 petits-fils qui sont restés sans mère ni père. Trois sont à l’internat, les plus petits sont restés chez moi. Il y a 7 ans que ma fille est partie au travail en Russie et, depuis ce moment-là, on n’a aucune nouvelle d’elle. Elle est partie, ma petite, dans le monde, car elle n’avait pas d’homme, pas de travail, et 5 enfants l’attendaient à la maison. Je prie Dieu qu’elle me donne un signe de vie et qu’elle revienne à la maison », dit, en pleurant, la vieille femme.

Quand la mère de Serge est partie du village, le garçon avait 7 ans. Il ne l’a plus revue. Aujourd’hui il se rappelle vaguement comment est celle qui lui a donné la vie. « Elle est maigre, aux cheveux blonds et aux yeux bleus comme les miens. Même si je ne me rappelle pas clairement, si je la revoyais, je la reconnaîtrais. C’est ma mère, et non n’importe quelle femme. Le plus important maintenant, c’est qu’elle revienne… », dit Serge, en me montrant une petite photo de sa mère. Les enfants ont aménagé une chambre qui reste toujours en ordre, pour que leur mère ait un lieu où vivre.

La vieille grand’mère de 80 ans veille sur les enfants comme sur la prunelle de ses yeux. Même si elle n’a qu’une pitoyable retraite, elle leur achète des vêtements et des fournitures scolaires. Parfois, elle les choie avec des bonbons. Le plus difficile, c’est pendant l’hiver, mais la vieille est attentive à apporter de la forêt des brindilles pour chauffer la bicoque.

« Parfois les voisins aussi m’aident avec un morceau de pain. Quoi faire ? Je suis pauvre…je prie Dieu de m’accorder plus de temps pour aider mes petits-fils. Si leur mère revenait, je pourrais mourir tranquille. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec elle….j’espère que tout va bien et qu’elle pense aux enfants », dit Manea Suleac, au moment où l’on prend congé.

Bibelots d’Italie

Dans une rue étroite, trois soeurs, âgées respectivement de 10, 12 et 14 ans, revenaient de l’école. Les filles portaient des habits coûteux et des chaussures chères, achetés dans des magasins européens, la plus grande avait un portable à la main. Les filles disent que tout cela leur a été acheté par leurs parents, qui depuis plusieurs années travaillent en Italie. Aujourd’hui, comme pour beaucoup d’autres enfants du village, la grand-mère est devenue et mère et père.

« Nous soupirons après nos parents, mais nous comprenons pourquoi ils nous ont laissées avec notre grand-mère. Quand ils sont partis en Italie nous étions petites. Ma soeur cadette, Laura, avait 3 ans quand ils sont partis. Elle les a vus seulement sur des photos. Maman et papa ne nous font pas de reproches, ils nous envoient des bonbons, habits et poupées. Mais nous voulons qu’ils reviennent », dit Mariana Patic, la fille de 14 ans.

A la porte, la grand-mère les attend et les invite à manger. Elle leur a préparé une soupe au poulet et une mamaliga, leurs plats préférés. Les parents partis à l’étranger lui envoient l’argent suffisant pour qu’elle leur mette sur la table des plats « de choix ». La grand’mère s’est établie dans la maison de sa fille, en quittant sa pauvre maisonnette. Dans la nouvelle maison, elle a appris comment utiliser l’aspirateur, l’appareil à café, et aussi la machine à laver.

Il y eut un temps où on lavait à la main. Maintenant, on a appris à utiliser cette « merveille » et on ne peut pas y renoncer. On la manipule simplement. Regarde : on met du détergent, on met les vêtements, on la met en marche et on se repose. J’ai plus de temps libre et parfois je lis des contes aux filles », dit la vieille en me montrant la machine.

La vieille me dit que les parents des filles sont partis à l’étranger il y a 7 ans. Sa fille s’est engagée comme femme de ménage en Italie, son gendre - comme ouvrier en bâtiment … La retraitée ne sait pas quand ils vont revenir, mais elle est sûre que ce sera dans 7 ans encore. Pourquoi ? Ils n’ont pas encore réparé le logement et n’ont pas encore amassé l’argent suffisant pour assurer l’avenir de leurs filles.

Dans le village, une grand’mère sur trois s’occupe de ses petits-enfants. Souvent, les vieilles se réunissent pour échanger des nouvelles d’Italie. En même temps, elles se conseillent mutuellement pour savoir comment utiliser l’électroménager. Grâce aux enfants de l’étranger, les retraitées ont découvert qu’il existe des machines à laver, des aspirateurs et même…des bidets.

Le maire de Ciniseuti dit que sur 1200 ménages, pratiquement une famille sur trois est affectée par le phénomène de l’exode, les enfants étant laissés aux soins de leurs grands-parents. Deux grand-mères du village, qui s’occupent de leurs petits-fils, vivent plus difficilement, car leurs parents partis à l’étranger n’ont pas donné de signe de vie depuis plusieurs années. N’ayant aucune source de revenu, les retraitées ont été obligées de confier leurs petits-fils à l’Ecole d’Internat Auxiliaire.

Article par Irina Codrean, publié sur www.timpul.md, traduit par Rodica Rosca, élève en 11-ième au Lycée Théorique Ioan Voda de Cahul, membre Junact. Relecture - Michèle Chartier.

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