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Comment un Bucarestois a vu la ville de Chișinău, y arrivant pour la première fois

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Le journaliste Mitică Docan découvre une ville surprenante. « Il devient obligatoire pour moi de penduler entre les rives du Prut », avoue-t-il.

Je sens que j’ai un devoir. Chișinău a une sorte de modestie digne qu’on ne retrouve pas dans les grandes villes européennes, ce qui vous oblige sans mots à décrire votre expérience, à la transmettre. Rome, Londres ou Vienne trahissent de l’autosuffisance, elles vous disent d’une manière ou d’une autre que tout ce que vous vivez, vous devez le laisser là-bas, pour ceux qui viendront après vous. Ce sont comme des galaxies qui saisissent tout par leur gravité. Mais Chișinău est généreuse. Et il suffit de la vivre une fois pour l’emporter avec soi.

Lorsque j’ai été invité à me rendre à Chișinău pour la première fois pour un mariage, j’ai demandé si « je pouvais payer avec ma carte ». Réflexe stupide, supériorité gratuite. J’ai donc écrit ce texte non pas comme un guide touristique, mais plutôt comme une déclaration d’étonnement face à ce que j’ai trouvé.

En 5 jours, je sais que je ne l’ai pas vraiment connue, mais je suis convaincu que je dois parler d’elle. Sans vraiment ressentir ses tripes, juste un sentiment de familiarité.

Le Parc Central, comme un jardin de Florence

Tout d’abord, les détails physiques, la surface. Dès l’instant où l’on descend dans l’impeccable gare, où le carrelage blanc scintille, sans le bruit de Bucarest, jusqu’au centre où règne fermement Étienne le Grand, Chișinău est tout ce à quoi on ne s’attend pas.

Café dans le Parc Central de Chișinău

La ville semble légèrement mutilée par les Soviétiques, avec peu d’immeubles couverts de pierre, et elle garde des maisons anciennes, du siècle tsariste, la plupart bien entretenues et rénovées avec goût. Les rues sont ombragées par des arbres touffus et le Parc Central – nom fade pourtant – a des airs de jardin florentin. Tout au centre du parc, se trouve un café extraordinaire avec des vendeuses ordonnées et dévouées, mais avec de légères lacunes en termes de maîtrise de la langue roumaine… sinon, je ne sais pas pourquoi j’ai reçu, au lieu d’un cornet au chocolat, deux tasses de café au lait.

Absence de publicité qui vous attaque depuis le ciel

Centre-ville, les fils d’électricité sont souterrains et il n’a pas de publicité au-dessus du 1er étage. D’ailleurs, il n’y a pas de terme « rez-de-chaussée » en Moldavie, les bâtiments commencent directement au « 1er étage ». Tout est très apaisant pour les yeux, d’autant plus que la plupart des bâtiments varient entre des nuances de blanc, d’ambre et de gris, et que le ciel règne d’un bleu impérial en raison de la faible altitude de la ville.

Rue à Chișinău

Les restaurants vendent du bortsch rouge au jambon et à l’ail, de l’okroshka à la russe au yaourt froid, des côtes de porc à l’américain, des crêpes aux pruneaux et aux noix, quelque 256 sortes de limonade et de plăcinte. Le café est bon partout, pas cher, mais plus fort qu’en Roumanie. « Nous avons 7 McDonald’s », me dit un chauffeur local.

La Place de Mad Max

Le boulevard principal est inondé par des bureaux de change et des boutiques vendant de l’or et de l’argent. Cela ressemble, en quelque sorte, à une économie de Mad Max où toute la population échange des billets de banque juste pour pouvoir s’évader.

Le leu moldave est d’environ 4 fois plus faible que le nôtre, étant imprimé sur du papier orange, aussi fragile que les feuilles d’automne. Les prix sont bien plus élevés que l’on s’attend, on parle d’appartements à deux pièces allant de 70 000 à 100 000 euros ! Frontière du luxe…

A l’ombre du grand boulevard, se trouve le marché central et sa frénésie affolante. Des centaines d’étals encombrés, des produits étalés sur le trottoir par des femmes vendant des pommes, des carottes, des poulets fermiers, des ananas entiers, du raisin, etc. Et un gâchis indescriptible à leur départ.

Enfin, pour un pays orthodoxe, peu d’églises ! Une église grecque érigée dans le style Ypsilanti, près du Musée d’Art, et l’église roumaine, aux allures de conte de fées, où a eu lieu le mariage. Ses clochers aux écailles bleuâtres et l’intérieur où le Christ Pantocrator est peint avec beaucoup de talent, exprimant une douceur sévère, supervisent la structure de l’édifice qui lutte pour survivre.

Les musées

Centre-ville, les gens sont détendus, les jeunes s’habillent avec prétention et boivent une sorte d’eau-de-vie de griottes dans des clubs en plein air. Au-delà du centre, la gravité commence progressivement. Elle vous suit des yeux bleus de la vendeuse de la halle aux viandes, de la maigreur striée du monsieur choisissant des balais à motifs. Le sentiment est celui de la détermination envers sa propre personne, du désir du meilleur.

On parle obstinément le roumain, cette « langue d’État », comme la présente une femme distribuant des tracts de propagande socialiste sur le trottoir. Le roumain est, semble-t-il, une « langue d’État », séparée du russe, vraisemblablement la langue du peuple, sans être imposée par la loi. Les fictions ne prennent pas du tout en compte les frontières à l’Est.

C’est peut-être l’automne qui reflète le mieux l’image de Chișinău. Avec ses éclats multicolores, mais aussi ses vigoureuses taches vertes, elle trahit à la fois son âge et sa naïveté.

Au Musée d’Art, on voit encore accrochée au mur une toile représentant des ouvriers du CAP apprenant aux paysannes… à traire la vache. Certaines prennent même des notes !

Tableau au Musée d’Arts de Chișinău : "Schimb de experienta” ("Echange d’expérience") de Mihail Petric

Au Musée d’Histoire, une copie de l’épée d’Étienne le Grand me rappelle le désastre du Musée d’Histoire de Bucarest, qui attend de s’effondrer et que le président Iohannis avait promis de déclarer comme priorité identitaire dès la première semaine de son mandat.

Un mammouth solitaire qui patiente depuis 7 millions d’années peut être découvert au Musée d’Ethnographie, dans le bâtiment le plus curieux de Chișinău, une sorte de mosquée avec de grandes salles pleines de costumes folkloriques.

A chaque heure de la journée, on a la sensation d’un monde vivant, d’une agitation tranquille et contradictoire, loin du bruit de la Roumanie. Il n’y a pas de grands supermarchés centraux, toute boutique a une vitrine éclairée d’offres.

Le soir c’est la mélancolie. Une capitale assez peu éclairée. Des femmes aux cheveux tressés et des hommes bruyants dansent dans un club en plein air dans le Parc Central. Des messieurs âgés se promènent avec des jeunes femmes vêtues de longueurs austères, très bronzées et aux talons infinis.

Il y a une demande de beauté qui nous est propre, même si on voit aussi des T-shirts noirs, des sweats à capuche chez la nouvelle génération. Au-delà du centre de Chișinău, l’éclairage public est moins présent. En tant qu’étranger, on a l’impression que les ténèbres plutôt te découvrent, sans te faire absolument pas peur.

Le mariage pour lequel je suis venu

Le mariage a lieu au bord d’un lac, dans une forteresse dotée d’une grande paroi vitrée. Un ténor chante, puis les joyeuses Sœurs Osoianu, du tartare de saumon, des sărmale et des colțunași au fromage vanillé sont servis. L’interaction avec une Moldave rappelle la bataille de Verdun, elle est dure, avec de longs espoirs.

Les mariés ont une élégance naturelle et des robes vertes pullulent autour d’eux comme des derviches. Le prêtre roumain bénit la fête et tout suit un ordre reposant.

Comment les Moldaves font-ils la fête ? Avec beaucoup de bruit et avec de la boisson forte comme le kérosène. Mais avec un enthousiasme contagieux. Le gâteau est amené sous une allée d’étincelles. « Qu’il y ait de la beauté tout autour de moi ! » dit l’Indo-Américain. Et elle est là.

Pourquoi j’ai chanté cette chanson

Après 5 jours à Chișinău, je ne sais plus à qui encore envoyer des photos, à qui encore raconter ce que j’ai vu et ce que j’ai laissé là-bas. Une sorte de dédoublement. Il devient obligatoire de commencer à penduler entre les rives du Prut. Ce n’est que de cette façon que je retrouverais un sentiment de réunification gagné pour une bonne période du temps.

Source : https://www.libertatea.ro/stiri/5-zile-in-chisinau-ce-am-descoperit-intr-o-calatorie-curioasa-insa-lipsita-de-asteptari-4663242?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=tolo-page-post&fbclid=IwAR3r21fmUt5RHCF3h3Yr39chjLEcFo5ibRXwOIUe-3mXgqousC9vNkFzSy4

Traduit pour www.moldavie.fr

Le 30 septembre 2023

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