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A Chisinau, francophonie rime avec gourmandise

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Avec l’aimable autorisation des « Nouvelles de Roumanie ».

Dans la capitale moldave, Ina, docteur en sciences, a troqué sa blouse blanche contre la tenue de pâtissière.

En passant devant « Délice d’ange », dans le centre chic de Chisinau, le visiteur francophone se retourne sur ses pas.

Non, il ne rêve pas… l’enseigne est bien en français, précisant toujours dans notre langue qu’il s’agit d’une pâtisserie-boulangerie-chocolaterie-glacerie française. D’ailleurs, il suffit d’entrer dans l’établissement, arrangé avec beaucoup de goût et d’élégance, lumineux, convivial, original, et qui fait également salon de thé et cafétéria, pour se convaincre de son origine : croissants au beurre, pains aux raisins, petits pains au chocolat, côtoient Saint-Honoré, forêts noires et une myriade d’autres délices que l’on voit habituellement dans les vitrines des meilleures pâtisseries de l’Hexagone.

Le salé est tout autant appétissant avec une déclinaison impressionnante de quiches, lorraines, provençales, moldaves… Le fumet du café noir, l’arôme du thé, ajoutent au raffinement du lieu qui a ouvert ses portes en septembre 2003 et attire désormais toute la nouvelle bourgeoisie de la capitale moldave, mais aussi les nombreux Francophones que compte la petite république et qui se permettent de temps en temps une folie -un euro le petit gâteau, soit la moitié du salaire quotidien d’un professeur d’université en fin de carrière - pour venir humer un peu du parfum du bon goût de la France.

Signe qui ne trompe pas quant à la qualité des produits présentés : les Français, et surtout les Italiens, établis à Chisinau, sont les plus assidus à fréquenter l’endroit, n’en revenant pas de pouvoir prendre leur café-crème chaque matin dans un pays souvent considéré comme le bout du monde.

La spécialiste des lasers se retrouve devant les fourneaux

Non, ce miracle n’est pas dû à la nostalgie d’un quelconque pâtissier breton expatrié… mais à la gourmandise d’une authentique Moldave de 36 ans qui, voici trois ans encore, ne savait pas faire la cuisine, et désespérait de ne pas retrouver dans son pays ces délices qu’elle avait découverts lors d’un séjour à Paris.

Rien ne destinait pourtant Ina Vieru à la carrière d’artisan pâtissier-chocolatier. Docteur en physique de l’université de Chisinau, spécialiste des lasers, la jeune et jolie femme, vive et souriante, avait vite compris que la Moldavie n’offrait guère d’avenir dans ce domaine. Plutôt que prendre le chemin de l’exil, elle décida avec son mari, Calin, fils du grand poète moldave Grigore Vieru, de se lancer dans les affaires, avec l’aide de sa famille, ouvrant un restaurant de style européen-français de luxe, le « Panipit », voisin immédiat de « Délice d’ange », puis un établissement de style anglais, le « Robin Pub », tout aussi sélect.

L’idée de la « pâtisserie française », comme beaucoup de Moldaves l’appellent, est venue ultérieurement, comme une cerise sur le gâteau. Ina en raffolait, la trouvant légère, inventive, mariant fruits, chocolat. Son pari fou fut de vouloir faire partager son goût, devenu passion, à ses compatriotes, habitués à une pâtisserie lourde privilégiant génoises et crèmes au beurre.

Les « pâtissières moldaves » de Strasbourg

Avant de se lancer, la jeune femme fit un tour d’Europe, retenant également le meilleur du savoir-faire italien et viennois, rapportant quantité de livres de cuisine et de recettes.

Pendant un an, dans sa cuisine, elle expérimenta ses gâteaux et autres croissants sur sa famille, s’entêtant, partant du simple postulat « si les Français le font… pourquoi pas moi ? ». Un défi évident, mais redoutable à mettre en œuvre. Finalement, elle ne garda que ses réalisations les plus achevées. Consciente que la production artisanale était une autre paire de manches que la pâtisserie faite à la maison, devant impérativement conjuguer quantité, qualité et régularité, elle décida de partir en France avec trois de ses employées, avant de se lancer dans le grand bain.

Pendant trois semaines, en 2003, la pâtisserie Riss de Strasbourg accueillit l’équipe pour une formation qui s’avéra décisive dans tous les domaines, aussi bien de la production, du matériel, des compétences, de l’hygiène, de la présentation.

Les « pâtissières moldaves » devinrent vite célèbres dans la capitale alsacienne, regardées avec beaucoup de sympathie, de tendresse même… et d’étonnement : en France, la pâtisserie est considérée comme un métier d’homme, du fait de sa pénibilité due aux horaires, à la charge de travail, aux poids des matières à soulever et à transporter. C’est même un chauffeur de taxi strasbourgeois qui proposera le nom, finalement retenu, du futur établissement, « Délice d’ange ».

Mieux qu’en France… des gâteaux toujours frais

De retour à Chisinau, Ina Vieru pensa un moment importer directement de France par camion frigorifique la viennoiserie-pâtisserie. Le coût de revient l’en dissuada vite. Elle décida donc de se jeter à l’eau en fabriquant elle-même ses produits, ne perdant pas de vue que les clés de la réussite résidaient dans la qualité, un précepte loin d’être suivi en Moldavie. Elle fit donc venir de Strasbourg du matériel hautement professionnel, dont un four.

Les premiers essais avec des produits moldaves se révélèrent médiocres. Chocolat, pâtes d’amande, beurre, fruits, furent donc acheminés de France afin d’assurer une qualité qui ne se limite pas à une pâle imitation, comme c’est souvent le cas. Mieux même… Alors que beaucoup de pâtissiers français ont opté pour la congélation des bases, que ce soit les génoises ou les fonds salés et sucrés, ajoutant simplement crèmes ou fruits frais à la demande - ce qui permet d’importantes économies de personnel et de gestion - « Délice d’ange » a opté pour le frais intégral.

La pâtisserie propose des produits directement sortis de ses fourneaux, dès 9 heures le matin, jusqu’à 23 heures, sept jours sur sept. Ina Vieru s’est entourée d’une équipe d’une trentaine de personnes, dont huit serveurs, quatre barmen, et quinze pâtissières. « Délice d’ange » est toujours à la recherche de recettes nouvelles, lesquelles provoquent la curiosité à Chisinau. Régulièrement un artisan pâtissier venu de France vient apporter son expérience, l’espace d’une quinzaine. Aujourd’hui, une usine moldave répondant au cahier des charges spécifique, le beurre est fait sur place. Il en est de même pour les fruits et leurs conserves, de très bonne qualité et beaucoup moins chers.

L’établissement ne désemplit pas, s’est créé une clientèle fidèle, en perpétuelle croissance. Les grands hôtels prennent l’habitude d’y commander leur viennoiserie pour le petit-déjeuner et la pâtisserie pour leur table.

Après un essai, Ina a laissé de côté l’ambition de faire de la boulangerie française. Les Moldaves sont attachés à leur pain, qu’ils trouvent meilleur, plus consistant, et ne sont pas habitués à aller l’acheter en dehors des dépôts où on le trouve ordinairement. Par contre, se fiant à son instinct « gourmand », elle s’apprête à développer son activité chocolaterie, convaincue que ses compatriotes craqueront en découvrant les raffinements importés de France, cerises, amandes, oranges, liqueurs, inconnus ici.

Le bon goût concurrent de Mac Donald

Jamais à court d’idée, Ina a même entrepris de concurrencer les quatre Mac Donald présents dans la capitale moldave.

Une tâche ambitieuse quand on se souvient que l’installation du géant de la « mal-bouffe » à Moscou avait provoqué plus de queue que pour la visite du mausolée de Lénine ! Du vendredi au dimanche, deux animatrices s’occupent des enfants des clients, leur faisant faire dessins, peintures, moules en plâtres - œuvres récompensées par de délicieux gâteaux - pendant que leurs parents peuvent se livrer sans retenue à l’un des sept péchés capitaux… la gourmandise.

Devant cette réussite, les projets ne manquent pas. Dans quelques mois, un établissement de la même qualité verra le jour à Iasi, capitale de l’éternelle grande Moldavie. Des Moldaves exporteront ainsi leur savoir-faire, sur un fond de culture française, chez la grande sœur roumaine. Du jamais vu !

Mais le compliment qui est allé le plus droit au cœur de Ina et de ses collaborateurs est venu d’un touriste français de passage, auquel elle demandait, avec une certaine inquiétude, son sentiment sur ses croissants. Dans un lapsus révélateur, plutôt que le traditionnel « ca la mama acasa » (« comme maman à la maison »), témoignage du plus grand contentement, celui-ci répondit « ca la Franta acasa ».

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