Article par Gilles Ribardière
Bender, Tighina, deux dénominations pour une même ville, située en République de Moldavie….ou plutôt non, située en Transnistrie, ce territoire autoproclamé indépendant….Mais sur une carte un peu schématique, on ne voit même pas où se situe exactement Bender/Tighina…En République de Moldavie/En Transnistrie ?….Et pourtant la ville existe bel et bien. Ne fut-elle pas le théâtre de l’essentiel des combats de la guerre de 1992 ?…
Et maintenant elle offre le cadre d’un livre mi roman/mi-témoignage : « Urkas ! » de Nicolaï Lilin. En quelle langue fut-il écrit ? Serait-ce en russe, puisque les russophones sont majoritaires à Bender, malgré une forte minorité roumanophone (situation assez exceptionnelle en Transnistrie) ? Eh bien non, c’est écrit par son auteur en italien, ce qui accentue l’aspect étonnant de ce « roman ». En fait Lilin est un russophone qui a rédigé ce livre dans la langue de Dante depuis son refuge en Italie.
Certes il est né dans cette ville que l’on situe difficilement, mais en revendiquant son « origine » sibérienne, et son attachement au clan des « Sibériens »….Du reste, le sous-titre de l’ouvrage dans sa traduction française est « Itinéraire d’un parfait bandit sibérien ».
On peut voir dans ce livre une métaphore de l’espace post-soviétique : des ethnies qui se côtoient sans se mêler, respectant leurs lois particulières, qui n’ont rien à voir avec les règles étatiques. Mais ce n’est pas une simple métaphore…on a là une description scrupuleuse de la réalité d’une société en mille morceaux, assez effrayante. Elle donne aussi un aperçu des représentations que l’on peut se faire de la Transnistrie, territoire de non droit ou du moins qui semble avoir élevé les trafics au rang de pratiques ordinaires.
Il y a aussi une description de l’univers carcéral tel qu’il était répandu à l’époque de l’Union Soviétique et qui semble perdurer dans ce territoire. La lecture des passages qui se déroulent en prison laisse pantois : la brutalité à l’état pur, qu’elle vienne des gardiens ou des condamnés, mineurs ou adultes !
A l’intérieur du clan des « Sibériens » règne une hiérarchie d’une grande complexité, fondée sur un code de l’honneur rigoureux, avec le souci scrupuleux de respecter les anciens et d’apporter une aide aux proches des victimes disparues (et elles sont nombreuses !).
Il y a un très fort sentiment d’appartenance qui s’affirme notamment par rapport aux autorités officielles que l’on sait passablement corrompues en Transnistrie et par rapport aux autres groupes contre lesquels le clan des Sibériens est en conflit armé quasi-permanent.
Nicolaï Lilin alterne des comptes-rendus sans concession de ces conflits avec des descriptions minutieuses de traditions qui fondent l’identité de ce groupe particulier.
On ressort bien songeur de la lecture de cet ouvrage, se demandant si cette réalité circonscrite à quartier est aussi celle de toute une cité même improbable comme Bender/Tighina, ou celle d’un territoire comme la Transnistrie, voire de la société postcommuniste dans son vaste territoire ?