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Eleonora Cercavschi : « Des Cosaques armés entraient dans les écoles et terrorisaient les enfants. Ils ont tiré sur chaque lettre de l’alphabet latin. »

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Eleonora Cercavschi est la directrice du lycée « „Ştefan cel Mare şi Sfânt » de Grigoriopol (ville située en Transnistrie, région séparatiste de l’est de la Moldavie). Les élèves de cette école, depuis près de 20 ans, passent chaque jour la douane de la Transnistrie pour aller aux cours à Doroțcaia, où ils peuvent apprendre dans leur langue maternelle, en roumain. Eleonora Cercavschi a toujours défendu le droit de ses élèves d’apprendre en langue roumaine et elle est admirée pour la force intellectuelle avec laquelle elle a encouragé ses collègues à ne pas céder pendant les moments difficiles. Elle considère que c’est en vertu des circonstances qu’elle est devenue une combattante, parce qu’elle tient beaucoup à la vérité et à la dignité.

Eleonora Cercavschi : J’associe la journée du 2 mars à un sentiment de joie, mais aussi à la tristesse – c’est le 2 mars que la Moldavie a adhéré à l’ONU, mais c’est aussi le jour quand les forces qui s’opposaient au développement de notre pays et à son aspiration d’intégration européenne ont déclenché la guerre et c’est triste, car cela a fait beaucoup de morts. Nous, les témoins de ces événements-là, nous sommes obligés de respecter la mémoire des gens qui ont sacrifié leur vie pour que notre pays prospère.

Ceux qui se disaient nos « frères aînés » étaient contre le développement de notre langue et de notre pays. Ce qui est surtout regrettable c’est qu’on ait attaqué les enfants. Je ne sais pas si ce péché peut être pardonné… L’enfant est un être innocent.

Radio Free Europe : Comment a été affecté le processus éducatif ?

Eleonora Cercavschi : Ce qui s’est produit en Transnistrie en 1992 est une horreur. Les premières institutions à souffrir ont été les écoles. Des Cosaques armés sont entrés dans les écoles, ont terrorisé des enfants et ont même ouvert le feu dans l’école de Grigoriopol. Ils ont tiré sur chaque lettre de l’alphabet latin devant les enfants et les enseignants. Dans une école de Bender, ils ont mis le feu aux manuels en langue roumaine, des enseignants ont été arrêtés ou menacés. Après cela, les autres institutions ont cédé…

Radio Free Europe : Avez-vous surmonté ces problèmes ?

Eleonora Cercavschi : Ils se sont un peu atténués, mais ils n’ont pas disparu. Depuis l’an 2002, environ 200 enfants de Grigoriopol font la navette pour aller à l’école. Depuis trois ans, des enfants des villages de Butor et Tașlîc les ont rejoints – ils parcourent 50 kilomètres par jour pour aller à une école où l’enseignement est dispensé en langue roumaine, en utilisant les lettres latines. C’est une preuve qu’il existe en Transnistrie une volonté d’apprendre cette langue. D’autre part, on sème la peur parmi les gens, il n’y pas d’accès à la presse libre, les employés sont obligés de parler russe dans toutes les institutions, comme à l’époque soviétique. Quand on voit devant la milice transnistrienne le drapeau de la Transnistrie et celui de la Russie, alors de quoi parle-t-on ? Il faut que tout le monde reconnaisse que ce territoire est occupé par la Russie.

Radio Free Europe : Vous communiquez avec beaucoup de gens qui habitent sur la rive gauche du Dniestr ? Pensez-vous qu’il y ait une différence entre la position des autorités et la façon dont les citoyens simples voient les choses ?

Eleonora Cercavschi : Il y a une différence, mais le nombre de personnes qui pensent différemment diminue de plus en plus. La population est très pauvre. Ils ont simplement fait les gens croire qu’ils vivent mieux, que les produits sont moins chers, que les pensions de retraite et les salaires sont plus élevés. En fait, ce n’est pas vrai, les pensions sont plus basses qu’en Moldavie. La seule chose vraie c’est qu’on paye moins pour le gaz en Transnistrie, mais nous savons que c’est quelque chose d’artificiel et que cela ne peut pas durer longtemps.

Radio Free Europe : Est-ce que la population s’identifie à la Russie ou à la Moldavie ?

Eleonora Cercavschi : C’est très difficile de répondre à cette question. La plupart des habitants de la Transnistrie ont un passeport moldave. Donc, il doit y avoir une raison pour laquelle ils souhaitent avoir la nationalité moldave. Mais, compte tenu de ce que la presse et les autorités font, je ne pense pas qu’il ait des solutions pacifiques pour attirer les gens. Que Dieu nous préserve d’une autre guerre !

Radio Free Europe : D’où vient cette perception que seule la Russie leur veut du bien ?

Eleonora Cercavschi : Chaque jour, on reçoit des informations comme ça. Il n’y a pas de sources alternatives d’information.

Radio Free Europe : Mais ils peuvent confronter les informations à la réalité dans laquelle ils vivent.

Eleonora Cercavschi : On ne peut pas… Je donne souvent aux élèves l’exemple de Tarzan : il était un être humain, mais il ne pouvait pas parler. Pourquoi ? Parce qu’il avait été élevé par des loups ! Là encore : qui éduque ? Nous expliquons la situation aux gens, ils essaient de comprendre, mais, vu le manque d’information, le cerveau s’atrophie… En fait, les gens veulent autre chose. Si la rive droite du Dniestr leur offrait cette autre chose, alors ils l’accepteraient. J’ai en vue des conditions plus attractives de vie.

Radio Free Europe : A quel point la réunification des deux rives du Dniestr vous semble-t-elle réaliste ?

Eleonora Cercavschi : Je ne vois pas d’autre option. Tôt ou tard, cela se produira. Nous ne savons pas combien d’années vont s’écouler, tout dépend de la rive droite, mais aussi de la rive gauche, parce que nous savons quelles forces existent en Transnistrie, y compris l’armée. La colère du peuple, si elle éclate, on ne pourra pas l’arrêter. Les autorités doivent être honnêtes. N’importe quel pays devrait être dirigé par un leader digne, un exemple pour la nation, mais quand un chef d’état dit des mensonges… Quand un parti socialiste, au lieu de soutenir les pauvres, a les plus riches leaders… Un jour viendra quand les gens vont tout comprendre.

Radio Free Europe : Croyez-vous que la Transnistrie devrait bénéficier d’un statut spécial ?

Eleonora Cercavschi : Pourquoi un statut spécial ? Est-ce qu’il y a une certaine nation en Transnistrie qui n’ait pas d’autre pays sur la Terre ? Il y a des Russes et les Russes ont leur pays, n’est-ce pas ? La même chose concernant les Ukrainiens. Je ne vois pas pourquoi ils devraient avoir ce statut spécial.

Radio Free Europe : Vous, les enseignants des écoles en langue roumaine situées sur la rive gauche du Dniestr, vous êtes considérés comme des personnes avec une grande dignité. D’autre part, avoir chaque jour à traverser une douane dans son propre pays, n’est-ce pas une humiliation ?

Eleonora Cercavschi : Oui, nous sommes humiliés tous les jours, mais ma plus grande réussite c’est de faire l’ennemi s’incliner devant moi. Or, en me voyant passer par les rues de Grigoriopol, beaucoup d’entre ceux ont lutté contre nous en 1992 me saluent et je sais qu’ils et me respectent. Certains m’ont même dit : « Vous êtes bravo ! Nous aurions dû vous suivre. Nous avons combattu et qu’est-ce que nous avons obtenu ? Nous sommes très pauvres, mais quelqu’un a pris le pouvoir, s’est fait une république et tire des profits ». Beaucoup pensent comme ça.

Radio Free Europe : Etes-vous plutôt pessimiste ou optimiste concernant la situation en Transnistrie ?

Eleonora Cercavschi : Optimiste, bien sûr ! Je vois un bel avenir, y compris pour la Moldavie, car les gens comprendront un jour que cette situation ne peut plus être tolérée.

Radio Free Europe : Est-ce que la réunification des deux rives du Dniestr écarterait ou rapprocherait la Moldavie de l’UE ?

Eleonora Cercavschi : Cela va la rapprocher, sans doute ! Cela ferait le conflit disparaître, mais que veut l’Union européenne ? Elle veut un pays unifié, sans conflits.

D’après une interview recueillie par Valentina Ursu publiée sur https://moldova.europalibera.org/a/eleonora-cercavschi-cazaci-%c3%aenarma%c8%9bi-au-intrat-%c3%aen-%c8%99coli-au-terorizat-copiii-au-%c3%aempu%c8%99cat-%c3%aen-%c8%99coala-din-grigoriopol-/30460434.html

Le 2 mars 2020

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