Publicité Invitation en Moldavie

Soixante-seize ans depuis la première vague des déportations

0 vote

Aujourd’hui, le 13 juin, on célèbre les 76 ans de la première déportation des Moldaves en Sibérie. La plus sinistre opération d’arrestation et de déportation a eu lieu la nuit du 12 au 13 juin 1941, quand ont été « levés » de leurs maisons 32.423 habitants de la Bessarabie (Moldavie), de la Bucovine du Nord et du territoire Herta. Dans ce territoire, 6.250 personnes ont été arrêtées et 26.173 - déportées. Au total, dans la première année d’occupation soviétique en Bessarabie, on a fait souffrir - par arrestation et déportation - 13.470 familles, en tout 22.648 personnes, la plupart des femmes et des enfants.

A Gratiesti, vit encore un ancien déporté Grigore Caraman est le seul ancien déporté de la commune de Gratiesti resté en vie. Malgré le fait qu’il ait 80 ans, le vieil homme est très actif : la plupart du temps, il s’occupe du jardinage, mais dans les moments libres, il raconte à ses petits-fils et arrière petits-fils la vie terrifiante dans les territoires étrangers. La famille Caraman fut l’une des trois familles de la commune arrêtées et déportées en Sibérie et au Kazakhstan, le 13 juin.

La première déportation en masse de Roumains Moldaves a été comme un orage pour la famille de l’ancien maire de Gratiesti, Gavril Caraman. Tonton Grigore, le fils du maire, avait à ce moment-là 14 ans. « Le matin du 13 juin, papa a préparé les chevaux et il est parti avec maman à la ville. Moi, avec mon frère et avec mes deux soeurs, nous sommes restés à la maison. La population du village était agitée et s’est réunie dans la maison d’une famille qui devait être « levée » - celle des Frunza. Les parents, avec les 6 enfants, ont été embarqués dans trois charrettes et amenés à la gare ferroviaire du Chisinau.

Chez nous, sont venus deux militaires armés. Ils ont cherché mes parents dans la ville et ils les ont ramenés à la maison. On regardait sans comprendre ce qui se passait. Au début, les militaires ont fait une perquisition. Ils cherchaient avec impatience des documents. Sans explication, ils nous ont dit de prendre nos affaires et de monter dans la charrette. Les parents ont réussi à prendre vite quelques vêtements et deux sacs de farine », raconte Grigore Caraman.

Le calvaire de la famille de l’ancien maire de Gratiesti

La maison et tous les alentours ont été dévastés. « Nos pleurs et nos hurlements n’impressionnaient personne. On nous a amenés à la gare de Chisinau, de la même façon que d‘autres milliers de Moldaves. Je voyais des dizaines des charrettes apportant des familles effrayées. Les militaires soviétiques étaient tellement bien préparés pour cette opération, que je n’ai même pas remarqué comment ils nous ont séparés de papa.

Quand ils nous ont embarqués dans le wagon pour les animaux, nous étions seulement avec maman. Dans le wagon, nous étions 65 habitants des communes de Nemteni, Lapusna, et Puhoi… Il y avait une atmosphère de panique, les femmes disaient qu’on allait être emmenés en Sibérie. Personne ne savait quels « crimes » on avait commis, mais on était accusé d’être « contre l’Etat soviétique ». J’ai su plus tard le motif de notre arrestation : papa avait été maire chez les Roumains », nous raconte le vieil homme.

La famille séparée est passée par le calvaire des déportations pendant 17 ans. Gavril Caraman, « le coupable » de la famille, était un homme plein de dignité. Il n’a jamais reconnu la puissance soviétique, il était fier que, étant membre du Parti National - Populaire, il ait été élu, d’une façon démocratique, à la fonction de maire de la commune.

Après trois ans de régime sévère de détention sibérienne, Gavril Caraman a été libéré, mais sous la surveillance de militaires soviétiques. Il a dirigé une ferme dans une localité du Kazakhstan, où il n’a pas pu rester longtemps, parce que des jaloux l’ont « dénoncé » aux autorités pour « activité antisoviétique ».

Gavril Caraman s’est trouvé avec encore 10 ans de prison. Dans les actes judiciaires, il est mentionné ceci : l’inculpé, en 1941, a été riche, il a profité du travail étranger. Il a été détenu par le NKVD en qualité « d’élément antisoviétique extrêmement dangereux ». Ils l’ont inculpé encore d’agitation antisoviétique, de discrédit des associations populaires et du fait d’être adepte du système bourgeois roumain. L’ancien maire a passé toutes les étapes de la peur et il est mort dans sa commune natale, à l’âge de plus de 90 ans.

Les victimes invoquent encore leurs droits

On dit que les historiens ne font pas honnêtement leur devoir. Bien que dans les années 90 on ait publié davantage d’ œuvres documentaires sur les déportations en masse des villages moldaves, y compris les listes de ceux qui ont étés déportés, tonton Grigore est révolté que la famille Caraman ne figure pas quelque part. Il dit qu’il pourrait faire un procès à de tels auteurs, mais il n’a pas d’argent.

Le vieil homme n’est pas content non plus de la loi sur les indemnités matérielles pour les victimes des déportations.

« Les gens sont obligés de perdre leur temps dans les mairies et ne sont pas indemnisés comme il faut. Si l’Etat veut vraiment nous réhabiliter, il doit le faire sur la réserve de l’Etat et non pas à partir des budgets locaux, comme le prévoyait la loi. Le mécanisme légal de compensation est irréaliste, parce que les budgets locaux sont trop petits » considère Grigore Caraman.

Les anciens déportés supplient qu’on leur accorde leurs droits, tout en restant toujours des parias. Seul un procès qui condamnerait les crimes du communisme pourrait les réhabiliter vraiment. La République de Moldavie n’a pas encore condamné officiellement le communisme. On mentionne qu’en 2006, selon le Rapport de la Commission présidentielle, coordonnée par le prof. Vladimir Tismaneanu, le président Traian Basescu a condamné le régime communiste de Roumanie, en le qualifiant de pouvoir illégitime et criminel. Une partie importante du Rapport a été consacrée aux répressions de Bessarabie et de Bucovine du Nord, juste après l’annexion de ces territoires par l’URSS, en 1940.

Article publié dans le journal « Timpul », traduit par Irina Todos. Relecture - Michèle Chartier.

Revenir en haut
Soutenir par un don