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Les gens et la vie dans un état non-reconnu (I)

Première partie

La chute de l’Union Soviétique a été, pour plusieurs anciennes républiques soviétiques, comme une explosion. Bien qu’on ait aspiré à l’indépendance, on s’est retrouvé avec des éclats d’obus et des conflits armés. En Moldavie, alors que certains luttaient pour faire renaître la langue et les traditions nationales, d’autres étaient (et restent encore) nostalgiques de l’empire soviétique et ancrés dans le passé. Ceux derniers ont été aux origines du conflit soldé par des décès qui a divisé le territoire du pays, après la création d’un « état » dans l’Etat, et qui reste une plaie ouverte depuis 27 ans déjà.

Conformément à la Constitution, le territoire situé sur la rive gauche du fleuve le Dniestr fait partie du territoire national de la Moldavie. En réalité, les autorités moldaves ne détiennent aucun contrôle sur la région en question (la république moldave transnistrienne - nom inventé pour désigner la région séparatiste) depuis le début des années ’90, la situation devenant encore plus compliquée après la proclamation de l’indépendance de la Moldavie, le 27 août 1991.

*** Quand on dit 2 mars 1992, on sous-entend Cocieri, le village où le conflit armé sur le Dniestr a éclaté. Mais les confrontations, y compris armées, avaient commencé plus tôt.

Iurie Coţofan est un des participants à la guerre de Transnistrie. Il garde toujours dans sa mémoire des souvenirs profonds de la douleur et du désastre lors duquel des gens innocents avaient été tués, dans leurs propres maisons. « Les dix premières années après le conflit, chaque nuit, j’hurlais à cause de cauchemars. Les enfants avaient peur. Voilà ce que la guerre m’a fait ».

Iurie conserve soigneusement son uniforme sur laquelle sont accrochés une dizaine d’ordres et médailles. « Chaque médaille a sa signification et sa valeur. Cependant, le plus important pour moi est l’Ordre Ştefan cel Mare que j’ai reçu 20 ans après le conflit armé. Je n’ai pas peur de mettre mon uniforme et marcher dans la rue. Beaucoup l’ont cachée dans le sac, mais pas moi  », dit l’ancien combattant.

Certains de ses voisins ont été ses adversaires pendant le conflit armé de 1992. « Chaque jour, je rencontre des gens qui ont lutté contre nous – ils sont mes voisins. On échange quelques mots. Dans la maison voisine habite un milicien. En ‘92, il m’a enfermé dans un sous-sol. Vis-à-vis de ma maison habitent deux garde-frontières - ils vérifient mes papiers quand je passe la soi-disant douane. On ne parle pas du passé, on communique comme si rien ne s’était passé. Le temps guérit. En fait, c’est ça la nature humaine - oublier ou faire semblant d’oublier », dit le combattant.

Il est né et a grandi dans le village de Corjova, actuellement contrôlé par les autorités séparatistes, cependant, on le considère comme un étranger. « Je suis citoyen de la Moldavie. C’est pourquoi, à Corjova, on me traite comme un étranger. On n’est personne pour eux si on n’a pas de passeport transnistrien. Tous les mois, leur milice vient ici et vérifie mon passeport. Comment vous sentirez-vous si, dans votre propre pays, dans votre village, on vous considérait étranger ?.. Je reste ici, même si je peux aller vivre dans un autre pays. Je reste, car c’est ici que vit ma mère, c’est ici que se trouve le cimetière où reposent des gens chers pour moi, c’est ici ma terre, bien que les séparatistes nous l’aient volée  ».

Depuis le 7 juillet 2014, Iurie Coţofan a eu l’interdiction de quitter Corjova. « Ils n’étaient pas contents que je rencontrais mes camarades d’armes. Cela les énerve que je dis directement ce que je pense d’eux et de leurs lois absurdes. J’ai fait des saisines après de plusieurs institutions – chaque fois, on me disait qu’aucune interdiction n’avait été enregistrée, cependant, pendant presque trois ans, on ne me laissait pas passer l’ainsi dite frontière, raison pour laquelle je me suis vu contraint à fermer mon atelier de fabrication de meubles. Comment gérer une affaire sans quitter le village pendant 3 ans ? ». En mars 2017, cette interdiction a été levée.

A Cocieri, Iurie Coţofan a un entrepôt et quelques serres. En plus, à une profondeur d’environ 4 mètres, dans un sous-sol peint à la chaux, il a une champignonnière. « Cette cave, je l’ai construite il y a 15 ans pour conserver des fruits et des légumes, puis je l’ai abandonnée, car je m’occupais d’autres choses – traitement des métaux, production des meubles, travaux d’assainissement, livraisons, etc. J’ai fait un peu de tout, en fonction de la demande. Depuis mars dernier, j’ai commencé à cultiver des champignons. Je les vends là où il y a de la demande. J’ai déjà des clients qui m’appellent et me font des commandes. Je construis aussi une mini-fabrique pour le séchage et la conservation des champignons… Il faut faire quelque chose pour vivre  », dit Iurie, tout en soulignant que c’est difficile de trouver un emploi en Transnistrie. En plus, c’est difficile de trouver des partenaires commerciaux : « J’ai cherché des partenaires, mais on ne veut pas investir ici. J’ai voulu prendre des emprunts, mais cela a été très difficile. Finalement, cette année-ci, on m’a donné un emprunt de 100 000 Lei, après avoir mis en gage tout ce que je possède. Mes propriétés sont estimées à plusieurs millions de lei, mais personne ne veut le prendre en gage, car elles se trouvent dans une zone de conflit ».

Pour le fait d’avoir lutté pour l’indépendance du pays, Iurie Coţofan reçoit 100 Lei par mois de la part de l’Etat. Cet argent suffit pour acheter environ 700 g de saucisson, soit 1,3 kg de viande ou 7 litres de carburant…

Lire la deuxième partie

Le 10 août 2018

D’après un article publié sur https://www.zdg.md/editia-print/social/oamenii-si-viata-dintre-hotarele-unui-stat-nerecunoscut

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