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La guerre soviétique en Afghanistan vue à travers les yeux d’une Moldave : des pilotes qui faisaient des coltunași et des bonbons qui ont sauvé des vies

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Elle est partie pour l’Afghanistan comme cuisinière quand elle n’avait que 20 ans et, le long de deux ans, les explosions et les coups de feu ont été son « réveil ». Parascovia Chiperi se rappelle les histoires d’horreur qu’elle n’a pas eu le droit de raconter pendant de longues années.

Etant élève en neuvième à l’école de Băcioi, Parascovia Chiperi a commencé à fréquenter des cours de cuisine à Chisinau. Issue d’une famille nombreuse avec huit enfants, Parascovia, l’aînée, a dû porter sur leurs épaules le fardeau des difficultés, aux côtés de ses parents, se voyant contrainte à assumer des responsabilités d’adulte à un très jeune âge.

Parascovia Chiperi (Photo de sa collection personnelle)

Un an après la fin de ses études secondaires, la jeune fille a commencé à travailler dans le domaine de la cuisine. Tout au début, ses responsabilités étaient minimes, car l’expérience lui manquait et le plus souvent on lui demandait de pétrir de la pâte ou éplucher des pommes de terre, mais progressivement elle a avancé et a acquis beaucoup de compétences, grâce à quoi elle a pu se dédier pleinement à la gastronomie.

Comment une femme est-elle devenue membre d’une équipe d’aviation militaire en Afghanistan ?

Parascovia était chef dans un restaurant de Chișinău, mais, n’étant pas contente de son salaire, elle voulait changer d’emploi. Un jour, on lui a proposé d’être un chef en Afghanistan, un pays en guerre. Avant d’y aller, elle a subi des contrôles très rigoureux, y compris un examen médical, la vérification des parents, des frères et des sœurs, et même des voisins. Toutefois, ses parents ne savaient même pas que leur fille avait accepté d’aller en Afghanistan - elle les a annoncés la veille de son départ. « Je me souviens toujours de l’expression du visage de ma mère. J’étais venue avec mon fiancé qui était policier et ma mère lui a dit : «  Enferme-là quelque part pour qu’elle ne puisse pas partir ! » Mais il n’y avait pas de chemin de retour, car j’avais déjà signé le contrat et il ne me restait qu’à respecter ses clauses. C’est ainsi que je suis partie à la guerre !  », dit Parascovia qui garde encore le courage d’autrefois. Même si elle était très jeune, elle réalisait ce qui l’attendait.

Le travail de cuisinière en Afghanistan

Pour elle, le travail de cuisinière en Afghanistan a été une véritable école militaire, dont les règles elle respecte aujourd’hui encore. Parascovia était le chef d’une petite équipe de quatre cuisinières et elle veillait à ce que tout soit parfait. Elle se réveillait tous les matins à cinq heures, comme elle le fait toujours, d’ailleurs. Elle ne peut pas s’expliquer l’audace dont elle a fait preuve à ce très jeune âge-là. « Je dois reconnaître que j’étais presqu’une enfant et à cet âge-là rien ne m’effrayait. Maintenant, si on m’y envoyait, je n’irais certainement pas !  »

Parascovia Chiperi (à gauche) et son équipe de cuisinières en Afghanistan. (Photo de sa collection personnelle)

Elle faisait à manger pour 400 pilotes, au moins c’est ce qu’on lui disait, bien qu’elle n’ait jamais su leur nombre exact. Or, il était interdit que ce genre de détails soient connus. Les pilotes devaient être bien nourris. Le matin, au petit déjeuner, il y avait du lait condensé, des œufs et des saucissons secs, mais le déjeuner était le plus attendu, car c’était Parascovia qui préparait le repas le plus important de la journée. « Le borchtch et les diverses soupes avec beaucoup d’ingrédients étaient à l’ordre du jour. Les pilotes mangeaient la nuit aussi, parce qu’ils avaient des vols imprévisibles, à 2h00 ou à 3h00 du matin, par exemple ». Les serveurs s’occupaient non seulement des pilotes, mais aussi des membres de diverses délégations qui les visitaient. Chaque jour, un médecin vérifiait chaque portion. L’eau aussi était soumise au contrôle, vu la chaleur torride et les épidémies.

Des pilotes moldaves en Afghanistan, 1980 (Photo de la collection personnelle de Parascovia Chperi)

En dehors du travail dur, les pilotes et les soldats avaient aussi du temps libre. Ils se réunissaient tous ensemble et chantaient, racontaient des histoires et … faisaient des colțunași (sorte de raviolis-note du traducteur). Parascovia raconte qu’un jour, quand les pilotes se sont mis à faire, à ses côtés, des colțunași, elle avait l’impression d’être chez soi, à la campagne – on riait, on disait des blagues.

« Les coups de feu et les explosions – le réveil qui m’annonçait l’heure du lever »

La base militaire où se trouvaient les pilotes était bien gardée, des tranchées l’entouraient, mais le risque d’attaques existait toujours. «  Des bombes étaient lancées souvent. Un jour, un éclat d’obus est tombé dans notre baraque. Nous nous sommes tous cachés sous les lits et le bruis des tirs nous assourdissait. Heureusement, l’éclat d’obus est tombé dans le réservoir d’eau  ». Avec le temps, elle s’était habituée aux coups de feu. Le bruit des tirs et des explosions était l’’alarme qui l’éveillait le matin.

« Les photos des soldats décédés étaient accrochées aux murs »

Des équipages tout entiers de pilotes ou de soldats étaient enterrés chaque semaine. Ces jours-là, étant très accablés, les camarades d’armes ne pouvaient même pas manger. La nourriture restante servait pour des repas commémoratifs et les photographies des morts étaient accrochées aux murs. Les corps inanimés étaient placés dans des cercueils de fer qui étaient scellés hermétiquement et envoyés à leurs parents. Les avions sanitaires venaient récupérer les blessés. «  Ils flottaient dans le sang. J’évitais de le regarder, car j’avais mal au cœur  », se souvient avec horreur Parascovia.

Des lettres qui ont sauvé des vies

Les lettres étaient le seul moyen de garder des contacts avec les proches, car d’autres moyens de communication n’existaient pas. Les lettres envoyées et celle reçues étaient vérifiées, parce qu’on n’avait pas le droit de raconter la situation réelle. Elle devait donc dire que tout allait bien, mais … elle seule savait ce qui se passait dans son âme. Quand elle recevait des lettres, elle était la plus heureuse.

Parfois, les lignes écrites sur du papier jauni exprimaient des demandes singulières : des parents l’imploraient de demander aux généraux de ne pas envoyer leurs enfants sur le champ de bataille. « Malgré moi, faisant abstraction de tout, j’ai quelques fois transmis cette demande des parents. Il m’est même arrivé de mentir que c’était un enfant unique dans la famille… En fait, c’était une question de vie ou de mort … De cette façon, j’ai réussi à sauver des vies ».

Une poignée de bonbons qui a sauvé plusieurs pilotes

Très courageuse par sa nature, Parascovia a accepté la proposition d’un pilote de rejoindre l’équipe de sauvetage dans une mission censée récupérer des pilotes coincés dans la ville afghane de Kandahar. Quand ils sont arrivés, la femme a été totalement accablée par ce qu’elle a pu voir : des blessés partout, des corps dépouillés et très affaiblis par la famine et la soif, et des regards que les paroles ne peuvent pas décrire.

Parascovia s’est alors rappelée qu’il y avait une poignée de bonbons dans son sac. Cela lui a suffi pour donner deux bonbons à chaque blessé. Les mains tremblantes, ils ont pris ces bonbons-là comme quelque chose de particulièrement précieux…

Parascovia Chiperi dans sa cuisine. Photo : Sandu Tarlev

À ses 57 ans, Parascovia Chiperi n’a pas encore abandonné la gastronomie. Elle travaille toujours comme cuisinière et n’imagine pas faire autre chose. Elle fait la cuisine au restaurant, comme chez soi, mais cela ne la fatigue pas, surtout que les plats qu’elle prépare sont toujours appréciés.

D’après un article de Parascovia Spic, publié sur le portail http://moldnova.eu/ro/razboiul-sovietic-din-afganistan-vazut-prin-ochii-unei-moldovence-pilotii-care-lipeau-coltunasi-si-bomboanele-care-salvau-vieti-13809.html/

Le 12 janvier 2018

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