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Interview avec Florent Parmentier, auteur de « Moldavie. Les atouts de la francophonie »

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Florent Parmentier

Florent Parmentier, déjà auteur en 2003 de « La Moldavie, à la croisée des chemins » (malheureusement épuisé), poursuit son investigation de ce qui fut la Bessarabie. Le nouveau titre, « la Moldavie. Les atouts de la francophonie », publié aux éditions Non Lieu (Paris, 2010), nous fait découvrir combien ce pays, méconnu et en pleine mutation, est proche de nous, ne serait-ce qu’à travers une diffusion exceptionnelle de la langue française.

L’auteur a bien voulu répondre à nos questions, ce qui nous invite à lire avec attention son ouvrage, qui est une mine d’informations, et à mieux comprendre les raisons de l’aspiration de la petite république à entrer dans l’Union Européenne.

Quels sont les objectifs de votre livre ?

Cet essai a une double origine. Il s’inscrit à la fois dans le cadre d’une activité associative avec « Les Moldaviens », qui agit en faveur de l’amitié franco-moldave, et en même temps dans une recherche universitaire plus large sur la région, commencée il y a près de dix ans.

Ce parcours et cette expérience ont suscité plusieurs interrogations qui sont au cœur de cet ouvrage : comment contribuer au développement des relations entre les deux pays, et plus largement de la Moldavie et du monde francophone ? A quoi se rattache l’attachement des Moldaves à la francophonie ? Qu’est-ce que la Moldavie peut nous dire plus largement sur le mouvement francophone aujourd’hui ?

L’ouvrage entend contribuer modestement à ces débats, en ouvrant de nouvelles pistes.

Tout au long de votre ouvrage, vous démontrez à quel point la Moldavie est partie prenante de la francophonie. Quelle est la part de l’apprentissage du français dans les établissements scolaires ?

A la rentrée 2010, le français demeure la première langue étrangère enseignée en Moldavie dans les écoles, les collèges et les lycées. D’après le Bureau National de la Statistique, le total des apprenants du français en Moldavie s’établit à 376.027 élèves en Langue Vivante 1 (52,07 % des effectifs) et à 26.190 en Langue Vivante 2 (6,96 %). Le nombre d’apprenants progresse même dans la capitale Chisinau ou à Balti (deuxième ville du pays), et demeure très fort dans les villes petites et moyennes.

Ce taux en fait le pays le plus francophone en Europe Orientale, devant la Roumanie et la Bulgarie. C’est une situation exceptionnelle qui reste peu connue dans l’espace francophone.

L’appartenance à la francophonie peut-elle être un facteur de facilitation de l’intégration européenne ? Si oui, comment ?

Il n’existe bien sûr aucun critère linguistique pour entrer dans l’Union Européenne. Tout au plus, les institutions européennes sont concernées par le droit des minorités, rouage essentiel pour une démocratie consolidée.

En revanche, il faut bien prendre en compte le fait que la langue peut servir de vecteur de rapprochement. C’était le cas pour la Roumanie et la Bulgarie dans leur processus d’adhésion. Le partage linguistique permet le développement de contacts privilégiés au niveau des sociétés, des politiques et favorise également un rapprochement économique.

Plusieurs autres facteurs politiques entrent en ligne de compte, notamment le fait que les trois capitales des institutions européennes – Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg – sont francophones, qu’une partie significative des documents de travail est rédigée en français ou encore que la France tient une place importante dans le processus de prise de décision au niveau européen.

Plus localement, à Chisinau, la nouvelle « Maison des savoirs » a également pour vocation d’être un centre d’information privilégié sur l’Europe, aux côtés de l’Alliance française, par exemple.

On observe en ce moment un engouement de la part des adultes pour l’apprentissage, ou le perfectionnement, du français…mais avec derrière, le projet d’immigrer au Québec. Que vous inspire cette situation ?

Les raisons d’apprendre le français sont multiples, y compris migratoires. L’immigration canadienne favorise les candidats francophones, afin de respecter des équilibres internes fragiles, tant culturels que politiques. La présence moldave connaît un essor de ce fait, puisque les autorités canadiennes voient d’un bon œil la diversification des origines des immigrants.

Pour la Moldavie, cela implique évidemment la perte d’une main d’œuvre souvent qualifiée, ce qui affaiblit le potentiel économique du pays. Ce sont également des nouveaux contacts qui se forgent entre les sociétés canadiennes et moldaves, ce qui peut introduire également un certain nombre d’effets positifs. Difficile en outre d’empêcher les migrants de partir, à moins de leur offrir plus de perspectives d’avenir en Moldavie même…

Vous décrivez diverses actions de coopération décentralisée entre collectivités locales françaises et moldaves. Estimez-vous que leur nombre est satisfaisant ou faudrait-il les développer, et dans quels domaines plus particulièrement ?

Les coopérations décentralisées sont un bon indicateur de la vitalité des relations entre deux pays. Cela a constitué un puissant facteur de rapprochement entre la France et l’Allemagne, complétant les rencontres au sommet entre chefs d’Etat. La Roumanie figure également en très bonne place depuis la chute du mur.

Au-delà du nombre de jumelages, il faut également voir leur intensité : un jumelage de papier n’a guère d’utilité ! Certains jumelages entre petites entités font un travail concret et visible, tandis que la contribution d’autres semble moins importante.

Grenoble est jumelée avec la capitale, Chisinau. Vous semblez regretter que ce jumelage soit en fait en sommeil. Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre cette grande cité à relancer le jumelage ?

Ce jumelage a été décidé au milieu des années 1970, à une toute autre époque dans le cadre des relations interétatiques franco-soviétiques. Il n’y avait pas de communauté moldave implantée localement à Grenoble, ce qui constitue souvent un moteur dans l’activité d’un jumelage.

Le jumelage Grenoble – Chisinau doit donc user d’autres ressorts. En premier lieu, il faut qu’il y ait une réelle volonté à Chisinau de progresser sur ce dossier. Cela passe par des échanges réguliers d’informations, des propositions, un comité pour suivre le jumelage, etc.

Ensuite, il faut s’appuyer sur des acteurs grenoblois susceptibles d’être intéressés au développement des relations : professeurs, étudiants, chefs d’entreprises, etc. La dimension universitaire des échanges est à ne pas négliger. En effet, la France est le quatrième pays de destination des étudiants moldaves, derrière la Roumanie, la Russie et l’Ukraine. Il est donc dans l’intérêt de Grenoble, grande ville universitaire, d’attirer le plus d’étudiants moldaves possible.

Il existe un certain nombre de pistes à développer pour stimuler les échanges entre les deux villes, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. C’est grâce à un travail plus sérieux que la mairie de Chisinau peut espérer déclencher l’intérêt de ses interlocuteurs…

Pouvez-vous en quelques phrases donner les raisons d’espérer dans l’avenir de la Moldavie ?

Les sujets d’inquiétudes sont nombreux pour la Moldavie : pauvreté, corruption, déséquilibres économiques, séparatisme transnistrien, réformes administratives, dégradation des infrastructures, fuite des cerveaux, etc. Plus qu’un problème en particulier, c’est la conjonction de ceux-ci qui ne manque pas d’inquiéter. Cependant, il convient également de remettre toutes ces difficultés en perspective. La crise économique de 2008 – 2009 n’épargne pas la Moldavie, mais son système financier est plutôt sain. Dans les faits, la crise économique qui a suivi l’indépendance avait beaucoup plus de force.

Le développement rapide (avant la crise) de l’Europe Centrale et Orientale offre de nouvelles perspectives à terme pour la Moldavie, qui accueillera de nouvelles activités économiques. On peut imaginer un déplacement des activités de sous-traitance d’Europe Centrale, dans le domaine des services, voire même de l’industrie (par exemple dans la région de Balti). L’émigration moldave a pour l’heure des effets contrastés, mais elle pourrait devenir à l’avenir une ressource pour la modernisation du pays.

Des investissements sont nécessaires pour transformer un outil productif vieilli, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. A l’avenir, les Européens et les pays post-soviétiques ne seront pas les seuls investisseurs. Ainsi, les acteurs économiques chinois ont fait le pari de la Moldavie, avec une proposition de prêt de l’ordre d’un milliard de dollars (pour un PIB de 8 milliards environ) en 2009. Cela va favoriser le développement des infrastructures dans ce pays, même s’il reste à voir comment le tissu économique va réagir à cet afflux massif d’argent.

Pensez-vous que la diffusion de votre livre permettra de mieux faire connaître la Moldavie et ses aspirations ?

C’est un espoir, mais ce n’est qu’un élément d’un ensemble plus large. Le portail francophone de la Moldavie (www.moldavie.fr) a un rôle évident dans la diffusion de l’information, tout comme l’association « les Moldaviens », et bien d’autres acteurs.

Ce livre est le fruit d’une expérience particulière, mais il entend également proposer une vision des relations entre le monde francophone et la Moldavie. C’est donc une contribution modeste, mais je l’espère néanmoins réelle, pour un pays qui n’en mérite pas moins.

Propos recueillis par Gilles Ribardière.

P.S. Le livre est déjà disponible pour vente en ligne sur http://www.amazon.fr et http://livre.fnac.com, ainsi que dans les librairies françaises.

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