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Stanislav Pavlovschi : La protection des droits de l’homme ne peut pas se transformer en business

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Les deux dernières semaines, le gouvernement de la République de Moldavie a perdu 15 affaires à la CEDH, étant obligé de payer des sommes exorbitantes du budget de l’Etat afin de réparer les fautes commises par les instances judiciaires nationales. Le journal TIMPUL a essayé d’apprendre de Stanislav Pavlovschi, actuel juge à la CEDH de la part de la République de Moldavie, pourquoi notre gouvernement perd, d’une manière constante, les affaires à la CEDH.

  • M. Pavlovschi, pourquoi la République de Moldavie perd-elle à la CEDH affaire après affaire, et pourquoi les sommes devant être payées pour les préjudices matériaux sont-elles de plus en plus grandes ?
  • Si les choses continuent de la même façon, les sommes pour la récupération des préjudices moraux, fixées par la CEDH, à l’avenir pourraient être très grandes, même choquantes. Il y a beaucoup d’affaires expliquant d’une manière particulière le grand nombre de violations des droits de l’homme constatées par la CEDH. En effet, il y a beaucoup de violations de droits de l’homme dans notre pays. La non-reconnaissance et l’ignorance de la vérité ne contribueront pas à remédier cet état de choses. Au contraire, beaucoup de choses peuvent et doivent être changées. Le maintien de la situation existante n’est ni dans l’intérêt du Gouvernement de la République de Moldavie, ni dans l’intérêt des gens. La société civile joue un rôle important en République de Moldavie et a prouvé qu’elle ne tolérera pas les violations des droits de l’homme.

Une autre cause générant la croissance des requêtes à la CEDH est le manque de mécanismes efficients de protection des Droits de l’Homme dans le pays, qui permettraient aux citoyens de trouver une solution en République de Moldavie, en ce qui concerne leurs droits violés, et de ne pas attendre au cours des années la solution des problèmes par la CEDH. De plus, il est à mentionner que la Cour examine les requêtes avec prépondérance de l’ ordre chronologique. On examine actuellement les requêtes déposées depuis quelques années, la majorité étant des „cas - clones”, similaires à ceux examinés antérieurement.

  • Quel est le nombre réel des affaires perdues à la CEDH et des affaires étant en train d’être examinées par la CEDH ? Quelle place occupe la République de Moldavie à ce chapitre par rapport à d’autres pays européens ?
  • Selon les données HUDOC (système d’informations de la CEDH), le Gouvernement de la RM a perdu jusqu’à présent 91 affaires. Cette année, on a prononcé 46 arrêts, ce qui signifie plus que les années précédentes. Si nous opérons avec des chiffres absolus, je crois que la Russie est à la première place en ce qui concerne le nombre de requêtes déposées et le nombre de violations constatées. Si on fait un calcul par habitant, alors la République de Moldavie détient la première place. Actuellement, 1.743 requêtes déposées contre le Gouvernement moldave sont sur la liste d’examen de la CEDH. Cependant, il ne faut pas dramatiser la situation, car tout arrêt adopté par la CEDH signifie la réparation d’un droit violé, et même une personne reçoit une compensation adéquate pour les souffrances causées et le non respect d’un droit. C’est un effet absolument bénéfique donnant satisfaction non seulement aux pétitionnaires et à leurs avocats mais aussi aux collaborateurs de la Cour qui ont fait de leur mieux pour que la justice prédomine. J’espère que ces arrêts aideront le gouvernement moldave à identifier les lacunes existantes et à les écarter. A part cela, ces arrêts éduquent notre société du point de vue juridique et servent de repère pour ceux qui mettent en œuvre la loi en Moldavie. Certainement, il serait idéal que les violations des droits de l’homme n’aient pas eu lieu mais, tout de même, les violations ont eu lieu et le devoir moral de l’Etat est de les réparer.
  • Dans quelle mesure le gouvernement moldave exécute-t-il les décisions de la CEDH ? Existe-t-il des cas où la Moldavie ait refusé d’exécuter une décision de la CEDH ?
  • Je ne connais aucun cas de refus de réparation des préjudices matériels par le gouvernement moldave. Il est plus difficile d’exécuter les mesures à caractère législatif, car, on le sait très bien, les lois sont adoptées par les députés et nos législateurs ne comprennent pas souvent la nécessité des changements et des modifications des lois en base des arrêts de la CEDH. En ce cas, des problèmes apparaissent parfois.
  • Pour quelles raisons l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a-t-elle rejeté les trois candidatures à la fonction de juge de la part de la République de Moldavie ? Existe-t-il souvent des cas dans la pratique internationale quand les candidatures présentées par un Etat sont rejetées ? La Moldavie a-t-elle créé un précédent ?
  • Du point de vue officiel, les raisons du rejet de la liste n’ont pas été rendues publiques, du point de vue non officiel on peut parler de la non-conformité des candidats aux exigences de l’Assemblée Parlementaire. Je ne voudrais pas donner des détails en ce sens, car ce n’est pas éthique par rapport aux candidats rejetés. Je suis d’avis que la fonction de juge à la CEDH est une fonction spécifique et, en grande partie, technique. Elle exige beaucoup de connaissances et d’efforts. Ceux qui prétendent à cette fonction doivent savoir clairement quelles sont leurs obligations fonctionnelles. D’après moi, peu de personnes peuvent exercer cette fonction. Comparez combien de personnes ont participé au concours en Roumanie, pays qui est six fois plus grand que la Moldavie : environ 6-7 personnes, et combien de personnes ont participé de la part de la Moldavie : 13 personnes (!). Il me semble très bien que nous ayons tant de personnes courageuses, mais, parfois, ce courage se transforme en une sorte d’aventurisme, que l’Assemblée Parlementaire ne soutient pas.

En ce qui concerne la création d’un précédent, il est certain que des cas pareils ont eu lieu. Ce n’est pas nous qui découvrons l’Amérique. Il faut savoir que, de la même façon que la liste de Moldavie, on a rejeté pour différentes raisons les listes présentées par la Bulgarie, l’Azerbaïdjan, la Turquie et le San Marino.

  • Tout récemment, le gouvernement a annoncé pour la seconde fois un concours de sélection des juges pour la CEDH de la part de la République de Moldavie. Afin d’éviter un nouveau rejet des candidats, on a formulé des recommandations concrètes.
  • C’est la responsabilité du gouvernement et des personnes à qui on a confié cette mission. Pourtant, il est important de proposer des candidatures compétentes. La composition de la commission créée par le gouvernement fait apparaître des points d’interrogation. Des personnes qui ont eu la qualité de pétitionnaire à la CEDH et sur les affaires desquelles j’ai formulé des opinions opposées et dont je me suis retiré, font partie de cette commission. Il y a des personnes qui n’ont pas du tout de connaissances dans le domaine des Droits de l’homme, des personnes qui ont exprimé une opinion négative en ce qui concerne mon activité à la CEDH. Je voudrais que les candidats soient élus en fonction de leurs compétences professionnelles et non autrement.
  • On véhicule en Moldavie l’idée que la responsabilité pour les affaires perdues à la CEDH doit revenir aux juges des instances nationales, y compris la réparation du préjudice matériel. Existe-t-elle une pratique similaire dans les pays de l’Europe ?
  • Je suis sceptique quand il s’agit de ce problème. Notre législation stipule la responsabilité des juges pour l’adoption des décisions illégales. La mise en œuvre d’un tel mécanisme, selon moi, pourrait être considéré comme un attentat contre l’indépendance du pouvoir judiciaire. Je ne voudrais pas donner de détails sur ce problème, mais la mise en œuvre d’une telle loi pourrait générer de nouvelles requêtes à la CEDH.
  • Quel est le degré d’indépendance des juges moldaves à la CEDH ? Dans quelle mesure les autorités moldaves ont-elles une influence sur votre activité à la CEDH ?
  • Je suis absolument indépendant. A l’entrée en fonction, j’ai prêté le serment et j’exerce mes obligations en stricte conformité avec celui-ci. Un juge qui ne peut pas travailler indépendamment n’a pas le droit moral de pratiquer ce métier. Au cours de mon activité, personne n’a essayé de m’influencer et je n’ai jamais permis de croire aux gens que cela est possible. D’autre part, j’ai entendu dire que certaines personnes ne sont pas contentes de mon activité judiciaire : en ce cas, je ne peux rien faire. Je ne suis pas une demoiselle de 18 ans pour que tout le monde m’aime. Je suis un juriste avec une expérience de 27 ans, qui essaie faire son devoir avec honnêteté et décence. Si une personne n’est pas contente de cela, c’est son problème à elle. Ce qui est très important dans l’activité d’un juge de la CEDH, c’est de chercher et trouver un équilibre équitable et raisonnable entre les intérêts généraux de la société et les intérêts particuliers de chaque pétitionnaire. Je crois que ce serait une grande faute si nous permettions de transformer les idées nobles de la protection des droits de l’homme en un business profitable.

  Nous vous remercions !

Interview par Irina Codrean, publiée sur www.timpul.md, traduite par Lidia Tomozei. Relecture -Michèle Chartier.

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