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Bucarest 2006, Chisinau 2012 ? Une stratégie francophone pour la Moldavie.

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Le Sommet de la Francophonie de Bucarest de septembre 2006 consacre un pays dont les origines latines et des affinités historiques expliquent très largement son attachement profond à la communauté francophone. Cette relation particulière, qui s’étale sur plusieurs siècles, n’est pas seulement un héritage du passé, mais elle a reflété et reflète plutôt une volonté d’ouverture au monde et de modernité. Et, de fait, la Roumanie a su faire fructifier cet héritage et en faire un atout pour son avenir, comme en témoigne le projet du président Basescu de fonder une université francophone à Bucarest pour « diffuser cette culture dans les Balkans et la région de la mer Noire » .

Florent Parmentier, avec la permission du site www.eurojournal.org

Le Sommet de la Francophonie de Bucarest de septembre 2006 consacre un pays dont les origines latines et des affinités historiques expliquent très largement son attachement profond à la communauté francophone. Cette relation particulière, qui s’étale sur plusieurs siècles, n’est pas seulement un héritage du passé, mais elle a reflété et reflète plutôt une volonté d’ouverture au monde et de modernité. Et, de fait, la Roumanie a su faire fructifier cet héritage et en faire un atout pour son avenir, comme en témoigne le projet du président Basescu de fonder une université francophone à Bucarest pour « diffuser cette culture dans les Balkans et la région de la mer Noire » .

La Moldavie, qui partage l’attachement profond de sa voisine pour la langue française pour les mêmes raisons, n’en tire pour l’instant pas le même bénéfice. Bucarest est sur le point de rentrer dans l’UE, a pu profiter de nombreux investissements des pays francophones, dispose de beaucoup de contacts avec ces pays (y compris en Afrique et au Maghreb) et a su obtenir la consécration avec l’accueil du Sommet (comptant 63 Etats et gouvernements). Partant de ce constat, on peut souhaiter que la francophonie soit davantage mise au service du développement de long terme de la Moldavie.

Chisinau a officiellement fait en 2005 une demande pour l’obtention du Sommet de 2012. Certes, le succès en la matière n’est pas aisé ; la Roumanie a dû patiemment attendre son tour, et n’a pu obtenir l’organisation qu’après plusieurs candidatures. Mais, en l’occurrence, pour difficile qu’elle soit, la bataille n’est pas encore perdue. Le choix de la ville retenue devrait s’opérer en 2008 : le Sommet aura lieu au Canada cette même année, puis probablement en Afrique en 2010. Cela laisserait toutes ses chances à une ville européenne de l’emporter.

Ainsi, Chisinau a besoin d’une véritable « stratégie francophone » qui aille dans le sens du développement démocratique, diplomatique et économique du pays, donnant une image positive de la Moldavie et fortifiant sa dimension européenne. En effet, cette stratégie concerne non seulement la candidature au projet « Chisinau 2012 », mais doit également s’inscrire dans le processus plus général de rapprochement avec l’UE.

L’objectif des « dix propositions » est de stimuler le débat et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Actions au niveau général

1. Mettre en valeur le multiculturalisme de la Moldavie.

La Moldavie a une société multiculturelle, puisqu’elle regroupe des roumanophones, des russophones et des turcophones (les Gagaouzes). Si le Sommet a déjà invité des arabophones, des lusophones (portugais) et des hispanophones (espagnol), elle a en revanche peu ou pas de coopérations concrètes avec ces deux aires linguistiques.

Ainsi, Chisinau dispose ici d’une extraordinaire carte à jouer en occupant le rôle de « pont culturel ». Elle peut d’autant mieux le faire qu’elle compte un nombre remarquable de bilingues, voire de multilingues, répondant bien à la philosophie générale du mouvement francophone qui a mis l’accent sur la « diversité culturelle ». La Moldavie peut donc être fière de son patrimoine culturel, et doit le mettre en avant auprès de la communauté francophone.

2. Mieux lier les « 3 niveaux » de la Francophonie.

On peut distinguer 3 niveaux à la francophonie : les institutions (l’OIF et ses opérateurs), la société civile (collectivités locales, entreprises, presse…) et les militants (associations, professeurs et étudiants).

Historiquement, c’est grâce au poids de la société civile au cours des années 1960 et à la force du militantisme que les Etats francophones se sont rassemblés pour former une communauté. C’est ainsi que les institutions se sont développées à partir de 1970 (création de l’ACCT), avant de s’approfondir (avec la création des Sommets en 1986) et de s’élargir, notamment aux pays d’Europe Centrale et Orientale (Roumanie et Bulgarie, puis Moldavie parmi les premiers pays).

La désignation du pays pour l’organisation du Sommet dépend aujourd’hui de la diplomatie interétatique. Il est très probable qu’à l’avenir on associe davantage la société civile et le militantisme à ce choix : en effet, il ne peut y avoir de mouvement francophone fort sans une adhésion populaire plus grande. En bref, il s’agit d’anticiper ces évolutions futures en associant le maximum de personnes pour faire de « Chisinau 2012 » un événement populaire.

Actions au niveau du gouvernement

3. La démocratisation et les droits de l’Homme entrent en ligne de compte dès maintenant.

Poursuivre la démocratisation de la Moldavie est une nécessité pour l’accueil du Sommet de la francophonie. Certes, tous les Etats membres ne sont pas des démocraties avancées, mais la communauté francophone a fait de la démocratisation et des Droits de l’Homme l’une de ses quatre orientations décennales 2004-2014 .

A ce titre, la démocratisation est non seulement nécessaire pour l’intégration européenne, mais également pour le statut d’organisateur du Sommet. Le fait que la décision pour 2012 intervienne dès 2008 incite à faire des années 2006 à 2008 des « réformes utiles », que ce soit en matière de liberté de la presse, d’amélioration de la gouvernance, de consolidation de l’Etat de droit, de développement de la société civile…

4. Se rapprocher des institutions francophones et chercher de nouveaux partenaires diplomatiques pour emporter la décision.

Emporter l’organisation du Sommet ne doit rien au hasard. Pour 2010, le Sommet a enregistré les candidatures de la République Démocratiques du Congo, de Madagascar, du Tchad, du Canada / New Brunswick et du Cambodge. Pour prétendre l’emporter, la Moldavie ne peut compter sur son pouvoir économique ; l’organisation d’un tel Sommet a évidemment des coûts, mais peut également avoir des retombées concrètes. Chisinau doit donc orienter plus particulièrement ses efforts vers deux directions : les institutions francophones et la recherche de partenaires.

Du côté des institutions francophones, il faut utiliser au maximum les possibilités offertes : les coopérations techniques bien sûr, mais aussi les instruments de gestion des conflits, l’éducation, l’environnement… Il faut affirmer sa présence afin de justifier son appartenance au mouvement, qui était essentiellement franco-canado-africain au départ avant de se « mondialiser ».

Du côté des partenaires, la Moldavie peut compter sur la Roumanie, qui a obtenu l’organisation du Sommet. Elle doit viser également les pays francophones de l’UE (Belgique, France, Luxembourg) ainsi que la Suisse. Il faut également voir plus loin : Afrique, Amérique du Nord, Asie. Pour cela, les contacts accumulés par la Roumanie seront utiles, mais sans doute pas suffisants. La Moldavie souffre ici du manque de visibilité de son appartenance francophone, et doit y remédier.

5. Créer un poste de secrétaire d’Etat à la francophonie et donner une plus grande visibilité au français sur les sites officiels.

La Roumanie dispose, avec le professeur Cristian Preda, d’un secrétaire d’Etat pour la Francophonie. En outre, il a été nommé représentant personnel du président roumain sur ce sujet. Un tel poste permet de dégager une visibilité institutionnelle en Moldavie et dans les relations avec l’extérieur, ainsi que de coordonner des dossiers qui peuvent se trouver dispersés.

Par ailleurs, il existe un autre moyen assez simple de rendre plus visible la francophonie moldave. Contrairement au site du Ministère des affaires étrangères roumain, le site internet de son équivalent moldave n’est pas traduit en français. Il en est de même pour le site du président. En la matière, les institutions représentant l’Etat doivent montrer l’exemple.

Actions au niveau de la société civile

6. Associer les collectivités locales : la coopération décentralisée.

Le renforcement des collectivités locales est fondamental pour la consolidation de la démocratie. Celles-ci sont encore faibles financièrement et balbutiantes politiquement, mais elles ont clairement leur rôle à jouer pour le développement du pays, en tant que « vecteur d’européanisation ». La coopération décentralisée englobe toutes les relations d’amitié, de jumelage et de partenariat entre les collectivités locales de différents pays ; plus généralement, elle inclut différentes formes d’assistance et d’échanges entre structures publiques locales afin d’établir des contacts privilégiés.

Dans ce domaine, la Moldavie est très en retard sur la Roumanie, qui a développé de nombreux liens par le bas avec la France et les pays francophones : on ne compte par exemple que moins d’une dizaine coopérations décentralisées franco-moldaves, contre plus d’un demi-millier de franco-roumaines. Proportionnellement à sa population, la Moldavie devrait compter de 60 à 70 coopérations décentralisées : il y a là un dossier prioritaire à mi-chemin entre les domaines diplomatique, économique, culturel et humain.

7. Associer les milieux économiques et culturels francophones.

Une stratégie francophone intégrée ne doit pas se contenter des aspects diplomatiques de la question, mais également intégrer des aspects économiques et culturels.

La Francophonie sera d’autant plus forte qu’elle saura s’appuyer sur un pilier économique. Le mouvement francophone moldave aurait tout intérêt à solliciter les entreprises francophones implantées en Moldavie, afin qu’elle participe à cet effort collectif. Les grandes entreprises sont parfois réticentes à cette idée, mais elles ne doivent répondre à l’attente de leurs clients. Aux mouvements associatifs et au plus large public de relayer ce message. Certaines PME francophones implantées en Moldavie ont pu tirer partie d’une main d’œuvre francophone de qualité, dans des secteurs de pointe comme l’informatique ou les centres d’appels. Toutes ces entreprises peuvent être mobilisées pour le projet Chisinau 2012.

Pour autant, l’économique ne doit pas nécessairement faire oublier la culture. La question linguistique et culturelle était sous le régime soviétique le combat d’intellectuels qui souhaitaient affirmer leur liberté. De même, le rôle des intellectuels dans un pays en transition est essentiel, puisque la chute du système communiste implique de se forger de nouveaux repères. En un mot, les intellectuels et artistes francophones de Moldavie doivent agir comme des « faiseurs d’opinion », et se rassembler autour des valeurs de la francophonie et de l’UE.

8. Créer une « Chaire Senghor » à l’université.

L’éducation est un secteur fondamental pour entamer un dialogue au sein du monde francophone. Ainsi, il serait bon de faire de la francophonie un objet d’étude universitaire en liant économie, géopolitique, mondialisation et culture, afin d’intégrer la Moldavie dans ces dynamiques. Il existe déjà un réseau des « Chaires Senghor » à Beyrouth, Hanoï, Lyon, Montréal, Ouagadougou, Perpignan, Yaoundé.

La Chaire Senghor de Chisinau pourrait devenir un lieu de référence dans l’Europe du Sud-Est et l’Europe Orientale. Une spécialisation dans la « francophonie balkanique » ou dans la « francophonie méditerranéenne » serait par exemple des thèmes moteurs, mais pas uniques. Par ailleurs, la Chaire doit également être ouverte à la « société civile », aux experts, intellectuels, chefs d’entreprises, associations, et à tous les acteurs qui font vivre la francophonie en Moldavie.

Actions au niveau des « militants »

9. Associer les enseignants et les élèves à l’opération « Chisinau 2012 ».

L’un des points permettant de rapprocher les « 3 cercles » que nous avons évoqués consiste à associer les professeurs de français et les élèves à l’opération « Chisinau 2012 ». En effet, ce sont souvent les premiers concernés par le développement de la langue française, et ceux qui en éprouvent le plus d’intérêt. La jeunesse peut être un argument puissant en faveur du choix de « Chisinau 2012 ». Pour cela, il est nécessaire, à tous les niveaux, de développer des liens avec des francophones d’autres pays.

La Moldavie peut mettre en avant le nombre d’élèves et d’étudiants apprenant le français. Il faut cependant aller au-delà d’une approche purement numérique pour valoriser l’implication de nombreux acteurs travaillant au développement de la francophonie, ainsi que le sentiment de sympathie envers le mouvement ; en un mot, ce que Dominique Wolton appelle la « francosphère » .

10. Une francophonie moldave connectée.

« La Francophonie du troisième millénaire sera connectée ou ne sera pas », disait Boutros Boutros-Ghali, qui a occupé les postes de Secrétaire Général de l’ONU et de Secrétaire Général de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). De ce point de vue, on ne peut que regretter un manque de sites francophones venant de Moldavie, ainsi que le faible nombre de sites sur la Moldavie émanant d’autres pays francophones.

L’un des indicateurs de succès de la mobilisation pour l’obtention du Sommet de 2012 passera par une présence renforcée de la Moldavie francophone sur internet, puisque cette technologie permet de palier l’éclatement géographique de l’espace francophone.

Jeunesse, dialogue, solidarité : trois mots qui pourraient résumer l’engagement francophone de la Moldavie, et servir de devise au mouvement.

Valoriser la Moldavie au sein de la « francosphère ».

Le nombre de candidats à l’organisation du Sommet étant assez importants, il est nécessaire de proposer une contribution marquante pour le projet francophone, de démontrer sa volonté de participer à cet ensemble. Afin d’apporter le maximum de crédit à sa candidature, Chisinau doit proposer une conception moderne de la Francophonie, inventive, innovante, ouverte sur les autres aires linguistiques (russophones et turcophones), c’est-à-dire entrer dans la logique de la « francosphère ». C’est ainsi qu’elle se fera mieux connaître au sein du mouvement francophone international.

Par ailleurs, indirectement, l’éventuel Sommet de 2012 pourrait jouer un rôle dans le conflit en Transnistrie, et ce pour au moins trois raisons. Premièrement, la tenue d’un tel Sommet serait une victoire diplomatique de Chisinau face à Tiraspol. Alors que le pouvoir transnistrien se vante de la « supériorité » de son régime sur le moldave, le Sommet permettrait de rétablir un peu la confiance des Moldaves dans leur avenir et leur pays. Deuxièmement, la médiatisation entraînée par le Sommet permettrait de mieux faire connaître ce conflit auprès de la communauté internationale. Troisièmement, l’idée de faire du Sommet une ouverture d’un pays latin vers les « mondes russophones et turcophones » permettrait de mettre en lumière le caractère ouvert de Chisinau face à Tiraspol, qui prétend (à tort) mieux refléter les aspirations des minorités.

Les chances pour Chisinau d’organiser le Sommet existe, dès 2012, mais à condition de mobiliser le plus grand nombre possible de personnes autour de cet objectif. De participer pleinement à la francophonie du troisième millénaire. Le développement durable de la Moldavie et la consolidation de la communauté francophone sont des défis ambitieux et qui prendront du temps ; raison de plus pour commencer au plus vite.

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