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« Ce fut une guerre russo-moldave ». Journal de campagne

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Alexandru Şendrea

Quand la guerre sur le Nistru a éclaté, le journaliste Alexandru Şchendrea, chef de département à la rédaction de l’hebdomadaire „Vocea Poporului” („La voix du peuple”), avait 36 ans. Le soir du 30 mars 1992, vers 22h00, il a dû signer l’avis de mobilisation. Le courrier lui a dit qu’il devait l’accompagner au commissariat militaire de Chisinau. Le lendemain matin, il était au ministère de la défense où, après être équipé, a été désigné commandant de peloton.

Ils ont échangé la charrue contre l’arme

« Ce jour même, de nombreux autres réservistes ont aussi été mobilisés, se souvient Alexandru Şchendrea. Une partie d’entre eux, grâce aux protecteurs, ont été laissés rentrer chez eux. Ceux qui sont restés ont pris pendant une semaine des cours de tactique militaire donnés par un cosaque qui, malgré que depuis plus d’un mois déjà les policiers et les volontaires moldaves luttaient contres les soldats et les cosaques soutenus par des forces de la Fédération de Russie, nous apprenait à lutter contre les armées turques. Après l’instruction, nous avons été déployés dans la base militaire „Beriozka”, un ancien camp de repos pour les élèves situé dans une forêt aux alentours du village de Cruglic, district de Criuleni. Tous les réservistes de notre peloton étaient originaires du district de Floreşti. Ils avaient mon âge, la plupart d’entre eux ayant fait leur service militaire. Mais un grand nombre d’entre eux avaient fait leur service dans des unités de construction et n’avaient aucune idée de l’infanterie, ils ne pouvaient même pas tirer d’arme », se souvient l’ancien commandant de peloton.

Photo par Tudor Iovu

Pendant quelques jours, les réservistes du peloton de Alexandru Şchendrea ont creusé des tranchées afin d’apprendre à se mettre à l’abri. « Tous les soirs, ils devaient coudre des cols blancs à leurs tuniques, mais ils avaient tous les mains calleuses, et ils pouvaient à peine tenir l’aiguille. Pouvait-on alors s’attendre à ce qu’ils appuient correctement sur gâchette et qu’ils visent au but ?”, se demande Alexandru Şchendrea.

Chacun ressentait des frissons de peur

Le 13 mai 1992, le bataillon de garde de la base « Beriozka » a reçu l’ordre de se déplacer à Coşniţa. « Après avoir reçu la mission militaire, nous avons annoncé aux réservistes qu’à minuit nous devions nous diriger vers Coşniţa. Le trouble et l’indécision ont alors commencé à se faufiler autour de la caserne. Je pouvais lire dans les yeux de beaucoup d’entre eux le manque de désir de quitter la base. Certains faisaient semblant de ne pas trouver leurs bottes sous le lit. C’est pour la première fois que la peur a pénétré dans leurs cœurs », raconte Alexandru Şchendrea.

Photo par Tudor Iovu

Le bataillon dont faisait partie l’ancien chef de section à l’hebdomadaire « Vocea Poporului » a occupé des positions sur la deuxième ligne du front qui était assez loin de l’épicentre des actions militaires. « Souvent, des obus du type « Alazan » lancés par les séparatistes tombaient dans nos tranchées, tandis que le sifflement des balles ne cessaient ni jour, ni nuit. Dans ces conditions-là, nous étions sous la griffe de la peur ». Le jour le plus affreux fut le 19 mai quand les séparatistes ont reçu du renfort – des chars et des militaires de la 14-ième Armée Russe. Avant que les hostilités commencent, tous les commandants ont été convoqués par le commandement de notre bataillon afin de les avertir qu’il fallait être prêts à se battre. Selon les informations disponibles, les séparatistes préparaient une attaque vers 5 heures du matin, mais il fallait prendre le dessus et lancer l’attaque deux heures avant », se souvient Alexandru Şchendrea.

Les premières pertes humaines

L’ancien comandant dit que cette nuit-là un silence inhabituel régnait sur toute la ligne du front. Les réservistes avaient pris leurs positions et attendaient les ordres. La bataille a commencé à l’heure fixée et a duré jusqu’à 11 heures. Le calme installé quand les explosions et les tiraillements ont cessé était troublé par les gémissements des réservistes blessés sur le champ de bataille. « Devant la deuxième ligne du front, il y a avait une haute digue derrière laquelle nous mangions pendant les jours sans combats. Deux combattants - Petru Bordea et Sandu Zdrăguş - avaient creusé un fossé profond près de cette digue-là pour qu’ils soient mieux protégés contre les balles, mais pendant les combats une mine lancée par les gardiens a explosé près de leur fosse. Sandu a été blessé au pied, tandis que pour Petru le fosse s’est transformé en tombeau. Pendant ce combat-là, plusieurs combattants déployés sur le plateau Coşniţa ont succombé », fait savoir le commandant de peloton.

Photo par Tudor Iovu

Vers midi, une vague de panique a envahi le bataillon, se souvient Alexandru Şchendrea. Le commandant de campagne - Ştefan Albu -a commencé à inciter les combattants à quitter le champ de bataille. « J’étais son adjoint et je devais me soumettre, mais je n’ai pas pu le faire. J’ai réuni tous les réservistes de notre campagne et je leur ai dit que j’allais rester, mais ceux qui voulaient partir, n’avaient qu’à le faire », raconte l’ancien commandant.

« Notre bataillon, plus le détachement de lanceurs de mines déployé derrière nous, comptaient 450 réservistes. Seulement 47 en ont gardé leurs positions dont la plupart – 17 combattants, faisait part de mon peloton », dit Alexandru Şchendrea. Plus tard, il a pu apprendre que cette nuit-là ni le commandant du plateau, ni celui du bataillon n’étaient sur place. « J’ai fait la liste de ceux qui n’ont pas quitté leurs positions. Je la garde aujourd’hui encore. Après le départ des déserteurs, nous avons repris nos positions de combat. Nous avons distribué toutes les munitions, y compris les réserves. C’était pour la première fois que les combattants furent armés de grenades anti-personnel du type F1. Ils ont accepté de s’en munir, malgré qu’ils savaient que ces grenades étaient vieilles et rouillées et risquaient d’exploser sans contrôle. Nous gardions une distance de 50 mètres un de l’autre. Mais nous avons eu de la chance – la nuit suivante fut calme », raconte l’ancien combattant avec des larmes aux yeux.

Des informations ne parvenaient que de la part des séparatistes

Alexandru Şchendrea dit que l’unique source d’information sur ce qui se passait sur le front était un petit appareil de radio qui ne captait que le poste russe « Mayak ». « Ce matin-là, nous nous sommes réunis comme d’habitude autour de l’appareil pour écouter les nouvelles. J’ai mémorisé pour toute ma vie la première information diffusée : « Hier soir, indignés par les actions des autorités moldaves, 300 policiers du détachement à destination spéciale ont abandonné le champ de bataille », annonçait le présentateur. Cette information-là était politisée et, surtout, dénaturée, cependant, elle n’était pas erronée. Environ 300 combattants avaient vraiment abandonné leurs positions, mais ce n’étaient pas des policiers, d’autant moins des membres de la brigade à destination spéciale. Les déserteurs étaient des réservistes », dit le commandant de peloton.

Alexandru Şchendrea cachait à ses parents le fait qu’il était au front. « Seulement mon frère Anton peut savoir que je suis à Coşniţa. Ni nos parents, ni ma sœur Iulia ne doit le savoir », écrivait-il à son épouse le 15 mai 1992. « Ma mère n’aurait pas fermé un œil pendant la nuit, si elle savait où j’étais », explique Alexandru, en essuyant ses larmes.

« Je fus blessé à la veille de mon anniversaire »

A la veille de son jour de naissance, le 26 mai 1992, le plutonierul Alexandru Şchendrea a été blessé « Nous étions sur la première ligne du front, se souvient-il. Vers le soir, un major accompagné de deux gars en uniformes militaires est venu dans nos tranchées. Je suppose que ces jeunes-là étaient parmi les premiers soldats de l’Armée Nationale. Le major m’a demandé en russe de lui prêter la station de radio, me disant qu’il y avait une entente avec les séparatistes d’établir des liens téléphoniques par fil afin d’éviter les feux d’armes à l’hasard. Nous avons longtemps parlé : lui – en russe, moi - en roumain. Ce fait m’avait mis en garde. En plus, je savais qu’à ce temps-là, la participation des troupes de l’Armée Nationale à la guerre n’était pas encore officialisée. J’ai décidé enfin de lui prêter la station à condition qu’il me laisse l’accompagner. Il était probablement environ dix heures du soir quand une explosion étourdissante m’a fait sauter en l’air. J’ai ressenti une sensation de chaud dans la partie droite de l’abdomen. J’ai palpé et j’ai compris que tout était à sa place. J’ai mis ma main sur le visage, puis je l’ai retirée toute en sang », se souvient le commandant de peloton.

Le lendemain, Alexandru Şchendrea était à l’hôpital nr. 3 de Chişinău. Il allait entrer dans le cabinet de l’oculiste quand la Radio Nationale annonçait qu’à la veille, pendant qu’on établissait la liaison téléphonique par fil avec les séparatistes, l’explosion d’une mine avait causé la mort de trois combattants moldaves. « Comment trois ? me suis-je dit en sursautant, raconte le sergent. J’ai tout de suite appelé à la radio pour demander qui avait fourni cette information-là. On m’a répondu qu’une agence de presse l’avait diffusée. A la fin du compte, j’ai appris que l’information avait été écrite par le service de presse d’un ministère de force et que personne n’était en fait mort suite à cette explosion-là, mais que le jeune qui avait marché sur la mine - Ion Cebotari de Orhei, avait perdu une jambe », nous raconte l’ancien commandant de peloton.

Alexandru Şchendrea dit que c’est toujours par le biais de la Radio Nationale qu’il a appris la nouvelle du cessez-le-feu. « Je savais qu’il y avait des négociations entre la Moldavie et la Russie. Quand j’ai appris que le deux présidents, Mircea Snegur et respectivement, Boris Eltsine, avaient signé la Convention sur le règlement pacifique du conflit armé, j’ai constaté qu’on avait enfin reconnu que le conflit armé sur le Nistru était en fait une guerre entre deux pays », a conclu le sergent.

La guerre sur le Nistru a cessé le 21 juillet 1992.

Article de Irina Ţurcanu, repris sur le site http://www.info-prim.md

Traduit pour www.moldavie.fr

Le 25 février 2012

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