La Compagnie de Briques et de Craie présente Mères sans chatte et A (II) Rh+ - deux textes de l’auteure moldave Nicoleta Esinencu.
Une bonne occasion pour découvrir l’écriture de cette jeune auteure qui commence à faire beaucoup de bruit en France… Sa plume radicale et on ne peut plus poétique, en fait une auteure rare est percutante.
Le Triton accueille la Compagnie de Briques et de Craie pour ce spectacle les 30 et 31 octobre 2015 à 20h00 au :
11 bis, rue du Coq Français
93260 LES LILAS
Métro : Mairie des Lilas
Billetterie / Renseignements : 01 49 72 83 13
Le spectacle sera repris au Théo Théâtre les vendredis et samedis, à partir de janvier 2016.
Une publication de ces deux textes, traduits du roumain par Mirella Patureau, est prévue en 2016 par la Maison d’Europe et d’Orient.
Les textes de l’auteure moldave Nicoleta Esinencu – prises de parole courtes et engagées – sont des véritables cris. Il y a une nécessité à faire entendre cette langue, en vers libres, ensemble de fragments de phrases suspendues, de lambeaux d’histoire entremêlant l’intime et le politique.
L’écriture de cette auteure est traversée par l’histoire et le contexte moldave, mais les enjeux qu’elle déploie vont bien au-delà. Elle résonne fortement dans notre propre situation, engageant un questionnement – poétique et politique – sur la langue, la condition féminine ou encore le(s) sentiment(s) nationaliste(s). La première prise de parole interroge la condition féminine en Moldavie, mettant en scène une jeune fille « intoxiquée » par les vociférations-recommandations des femmes de sa famille et de son entourage, qui s’évertuent à lui transmettre les règles de bonnes conduites.
Le second texte met en lumière la xénophobie et le repli nationaliste d’un père de famille qui sombre dans les méandres de la paranoïa et de la démence. Un homme, endoctriné, victime des discours politiques de désinformation et de propagande…
L’écriture haletée de Nicoleta Esinencu témoigne d’une société nécrosée, fantasmant l’Ouest tout en le méprisant, après le désenchantement post-soviétique.
Deux textes comme lieux d’observation du processus de contamination de l’être par le(s) pouvoir(s) familial, sociétal, politique. Deux textes qui s’enchaînent sur le plateau avec simplicité pour faire résonner la poésie de l’auteur.
MÈRES SANS CHATTE
(Extrait),
traduction française de Mirella Patureau
(…)une foismamanm’a amenée avec elleà une réuniondes locatairesdehorstout l’immeuble était rassemblétousen réunionle comportement indécentde la famille de l’appart 148très bien !très bien !criait la syndicpointant son doigt vers moique les enfants l’apprennent aussique les enfants entendent aussinous n’avons rien à cacher à nos enfantsnos enfantsnotre avenirelle a respiré un bon coupet ellea continuéavec la mère de la famille 148quelle sorte de mère es-tu ?quel exemple donnes-tu à la nouvelle génération ?quelle indécence !comment une chose pareille a pu te passer par la tête ?aah ?mettre à sécher les petites culottes devant l’immeuble ?pour que tout l’immeuble les voie,oui, c’est ça ?et pas que çamais aussi le linge de toute la famille !pour que tout l’immeuble voie la chose intime,oui ?un de ces jours tu vas étendre des soutiens-gorge, oui, c’est ça ?vous n’avez plus rien de sacré en vousaucun respect pour la mère,aucun respect pour l’enfantaucun respect pour le paysaucun respect pour les symboles de ce payspour nos descendantspour nos aïeuxpour ceux qui sont morts pour nouspour nos valeurshonte à voustrois foishontela syndic a fait un signeà notre voisinela voisine a fait un pas en avanta sorti une feuille de papier de sa poche ets’est mise à lire sur un ton vachement gravel’administration de l’immeuble a décidéd’appliquer à l’appartement 148un avertissement sévèreavec mentiondans le livret de l’immeubleje déclare la séance close a dit la sœur de maman(…)la confiture, on la fait en été et onla mange en hiverles gros concombres en hiverles bananes en été et en hiver maisle bortch, espèce de pute, on le mange chaud !pourquoi le manges-tu encore froid sorti du frigidaire ?hurle grand-mère(…)
A (II) RH +
(Extrait),
traduction française Mirella Patureau
(…)En route vers l’école avec ta fille tu lui enfonces les écouteurs dans les oreillespremièrement pour qu’elle ne pose pas trop de questionset deuxièmement pour qu’elle apprenne aussiton cours d’anglais accélérésans professeurstudy English on personnal methodenglish lessonthe blackssuckthe palestinanssuckthe americanssuckthe arabiansthe serbssuckthe muslimssuckthe koreanssuckthe hungarianssuckthe gayssuckthe catholicssuckthe jewssuckthe chechenssuckthe blondessuckthe russianssuckthe Englishsuckthe frenchsuckpapa, quels français ?t’as dit que là-bas il n’y avait que des arabescrie ta fille sans enlever les écouteurs des oreillesof coursebravo ma fille,tu regardes fièrement autour de toi et tu l’embrasses sur le frontof course !all sucks !papa, que veut dire tsigane ?le loup, lui réponds-tu irritéet parce que tu ne l’as jamais conduiteen classeou au moins jusque devant l’écoleet que tu la laisses toujours à l’arrêt de bustu la laisses cette fois-ci en pleine ruetu te disje n’ai jamais vu un pèreaccompagner son enfant à l’écolece truc là c’est aux mèresde le fairecette fois-ci c’est la dernière fois queje l’accompagne à l’écoleet tu la fais traverser la rue seuleet après qu’elle ait traversétu lui criesqu’elle soit sage que si ellen’est pas sageon va te donner aux tsiganeset tu auras pour père et mère des tsiganestu veux avoir pour père et mère des tsiganes ?réponds !je n’entends pasréponds !tu veux avoir un père tsigane ?et tu t’énervesparce qu’elle a réussi à t’énervercette mioche minableet c’est le matinet c’est lundiet tu es déjà énervédu calmec’est lundidu calmelundicalme(…)
A PROPOS de Nicoleta Esinencu
« Avec nous le monde est plus libre, le monde est plus propre ! » La trentaine, engagée, révoltée et réfléchie, Nicoleta Esinencu écrit et met en scène ses spectacles.
Aujourd’hui à la tête du Théâtre Spalatorie/Laverie, à Chisinau, elle produit et accueille des spectacles et des performances, cherchant à provoquer des débats, à délier les langues de ses compatriotes, à leur insuffler un vent de liberté. Comme le suggère le slogan du théâtre, « Avec nous le monde est plus libre, le monde est plus propre ! »…
L’écriture de Nicoleta Esinencu se compose de cris, expose les douleurs et nous met face à l’insupportable des mots. Si cette écriture porte des combats propres au contexte moldave, les enjeux qu’elle déploie vont bien au-delà, que ce soit par le questionnement – poétique et politique – de la langue, ou par ses réflexions – ses engagements – sur la condition féminine, ou le(s) sentiment(s) nationaliste(s).