Il y a 19 ans, Maria Caprian avait renoncé à sa profession, son village et son pays, la Moldavie, pour s’installer en France. Le long de cette période, elle a dû faire face à de nombreuses épreuves de la vie, en accumulant à la fois beaucoup de connaissances et d’aptitudes. Maintenant, elle dirige une société de drones.

Comment a été le chemin vers le succès ? Comment est-ce : être Moldave en France ? A-t-elle l’intention de revenir en Moldavie ?
- Chère Madame Caprian, parlez-nous du « pourquoi » de votre arrivée en France, il y a 19 ans. Avant d’y venir, vous étiez professeur de français en Moldavie, directrice d’école. Qu’est-ce qui vous a déterminée à renoncer aux fonctions et à votre maison pour tout recommencer ?
M.C. : Je suis née dans une commune très pittoresque - Jora-de-Mijloc, dans le district d’Orhei, située sur le bord de la magnifique rivière, le Dniestr. J’ai passé mon enfance à courir sur des collines, à me balader dans les forêts et à découvrir de nouveaux horizons. Dès mon tendre enfance, j’ai senti en moi une étrange curiosité de tout connaître et plus j’apprenais, plus je me rendais compte de l’immensité de l’inconnu. Mes parents, des paysans fermiers, ont toujours mis l’accent sur les études et m’ont aidée au mieux afin que je puisse faire des études. Après l’école secondaire, j’ai continué mes études à Balti, à une faculté de langues étrangères, et parallèlement, j’ai fait mes études à une faculté de professions sociales.
Une fois les diplômes dans ma poche, j’ai décidé de commencer ma carrière professionnelle dans mon village, parce que je voulais moderniser les méthodes d’enseignement et apporter de la nouveauté dans ce domaine. Et cela me réussissait très bien. En même temps, j’ai continué à développer mes capacités professionnelles à travers d’autres formations, dans le domaine de la gestion et de l’administration, par exemple, tout en creusant dans les nouvelles méthodologies d’enseignement, voire des stages à l’étranger.
Mon implication et mon dévouement m’ont aidée à être élue directrice d’école et je me suis consacrée encore plus à mon métier. J’avais une très grande capacité de travail (je l’ai encore) et je l’exploitais au maximum. Mon but était de classer l’école parmi les meilleures du district. Il s’agit quand même d’une grande école secondaire, avec environ 600 élèves et 43 enseignants. Objectif atteint au bout de quelques années !
J’étais épanouie et réalisée dans mon travail, mais je ne pouvais pas réaliser tout ce qu’on pouvait et ce dont on avait besoin dans une école. Les barrières venaient plutôt des administrations hiérarchiques qui devaient financer les écoles et les salaires des enseignants, ainsi que les autres activités. J’ai beaucoup réalisé avec des sponsors, mais pas avec les administrations.
La décision de tout quitter a été bien réfléchie et bien préparée. Je crois que plusieurs facteurs ont joué leurs rôles, comme par exemple, le désir de me mettre en valeur encore plus, de me dépasser dans mes recherches, mais aussi de pouvoir faire quelque chose pour mes enfants (deux fils). C’est ainsi que j’avais commencé à préparer un projet d’échanges, et la France était mon pays favori.
- Parlez-nous un peu de la période d’ajustement à « une nouvelle vie ». Quels sont les plus sérieux défis à surmonter quand on décide d’émigrer ?
M.C. : A l’époque, un vrai problème était d’arriver en France. Les visas ne se délivraient pas si simplement et les agences de tourisme faisaient leurs fortunes, en exploitant ce volet. Une fois arrivée, j’avais découvert que mon projet n’était pas assez mur, pas bien préparé coté législation, certains accords entre les deux pays n’existaient pas encore et des autorisations spéciales me manquaient. Et même si j’avais déjà des partenaires avec lesquels j’avais travaillé en ligne, je me suis rendue très vite compte que la durée de mon autorisation de séjour ne serait pas suffisante pour que je mette en œuvre mon activité.
Que faire ? Retourner ? Tout abandonner ? Ce n’est pas tellement dans mes ADN et j’ai décidé de rester et de préparer mon projet ici. Les problèmes se multipliaient, étant donné que mon visa expirait, mais un de mes crédo c’est qu’il y a toujours des solutions et j’en ai trouvé plusieurs. J’ai tourné une page du livre de ma vie et j’ai commence un nouveau chapitre en France. J’ai travaillé, j’ai appris, je me suis renseignée, j’ai étudié, j’ai cherché, je me suis dépassée moi-même et j’aime ça ! J’adore la France et les Français, sa culture et son histoire, tout me fascine.
Les drones sont entrés dans ma vie une fois embauchée dans la société Civic Drone. J’avais plusieurs responsabilités - secrétariat, saisie comptable, relations personnelles, juridiques, même si j’avais un contrat de collaboration commerciale à la base. Pour présenter la société et son produit aux expositions et salons (il s’agit vraiment d’un drone inédit, très avancé technologiquement), il a fallu que je me familiarise avec tout cela et que je me lance de nouveaux défis.

- En Moldavie, vous avez enseigné le français. Le fait de parler cette langue vous a-t-il aidée à vous intégrer plus facilement dans la société d’adoption ?
M.C. : Bien évidemment. D’ailleurs, c’est pour cela que j’ai choisi la France pour mon nouveau projet. Le fait de connaître le français ça m’a beaucoup aidée, partout.
- Ancienne enseignante, vous dirigez maintenant une société de drones. Comment êtes-vous arrivée à vous lancer et même à exceller dans un domaine qui paraît assez différent de l’enseignement ?
M.C. : J’ai toujours travaillé avec passion. Pour moi, faire quelque chose c’est soit le faire bien, soit ne pas le faire. Mais si on le fait, alors on s’adonne à fond. En vivant au jour de jour dans ce domaine, je me voyais obligée d’être toujours au courant de tout ce qui tient de ce domaine et je n’ai jamais arrêté de me perfectionner. Je ne voudrais surtout pas dire que je suis devenue ingénieur, non, ce n’est pas du tout mon domaine, mais là ou je suis forte, c’est ma capacité de gérer, de mettre en œuvre des scénarios d’activité, de choisir les bonnes personnes, de trouver les clients pour que dans l’équipe règne une atmosphère de confiance réciproque, étant à la fois exigeante et tolérante.
L’idée de diriger une société de drones ne vient pas de moi, mais du président de la société Civic Drone. Dans leur activité, il était prévu de créer des filiales et on m’a proposé de devenir la présidente d’une de leurs filiales. Mais vu certains problèmes, j’ai décidé de ne pas me lancer dans une filiale, mais plutôt dans une société indépendante. Et j’ai bien fait. Mon but était de me différencier et de me lancer dans la création des charges utiles pour les drones afin de révéler de nouveaux marchés de drones civiles. C’est ainsi que notre équipe a conçu la charge utile pour le traitement des chenilles processionnaires.
Nous faisons beaucoup de recherches et nos conceptions nous ont ramené le statut de jeune entreprise innovante. Très vite, nous avons lancé d’autres défis, comme celui de créer un drone qui puisse voler sans GPS, or tout drone doit avoir des liaisons satellites pour voler. Notre objectif est de répondre aux demandes du marché des inspections des espaces confinés (égouts, tunnels, incinérateurs, galeries sous-terraines, etc.). Nous sommes une équipe de huit personnes (dont trois ingénieurs et deux pilotes) et nous venons de remporter le premier appel d’offres pour le traitement des goélands argentés. Ce n’est pas facile, pas du tout, mais c’est très-très passionnant. Ma société CDSI (centre drone système industriel) fait également partie d’un projet européen – Podium, gagné par Eurocontrol - et nous avons déjà signé plusieurs partenariats.
- Gardez-vous des liens avec la Moldavie ? Avec l’école où vous avez enseigné et avec vos anciens élèves ?
M.C. : Oui, je suis très attachée à la Moldavie. J’y retourne au moins une fois par an et j’adore y aller. Tout m’est cher là-bas, la maison de mes parents où j’ai grandi, l’école juste à coté, la rivière, mes proches, etc. Ce sont mes racines et elles resteront pour toujours, même si j’ai d’autres racines ici, en France. Je me considère une personne riche, étant donné que j’ai deux pays maintenant - la France et la Moldavie. Quant à mes anciens élèves, j’ai des liens virtuels avec eux et j’en suis très fière d’ailleurs, parce que je suis leurs parcours, leur vie, on partage les émotions, le bonheur, le succès et les pertes. C’est ça la vie, la vraie.
- Après avoir vécu 19 ans en France, comment définirez-vous la notion de patrie ?
M.C. : La patrie pour moi c’est l’endroit où l’on se sent bien, en sécurité, heureux, où l’on peut se réaliser professionnellement et sans s’inquiéter du lendemain.
- Avez-vous implanté dans votre vie quotidienne en France quelque élément de la vie moldave (cuisine, traditions, etc.) ?
M.C. : Oh oui, je tiens beaucoup à mes traditions et elles font partie de ma vie. En ce qui concerne la cuisine, avant d’arriver en France, je croyais savoir tout ou presque tout, mais ici j’ai découvert un univers à part. J’ai beaucoup appris et j’apprends encore, j’adore la cuisine française. Mais les plats traditionnels moldaves continuent à avoir leur place d’honneur également.
- Rentrer vivre en Moldavie – est-ce envisageable pour vous ?
M.C. : Définitivement ? Aujourd’hui, je dis non, demain c’est un autre jour …
- Merci, chère madame Caprian !
Le 31 mai 2019