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Maria Bieşu, la voix de l’éternel féminin

Le cycle de la vie de cette cantatrice qui a laissé des traces éternelles dans l’opéra de la seconde moitié du XXe siècle s’est terminée en 2012. Elle est décédée dans sa villa sélecte située rue Mateevici, à Chisinau, qui lui avait été offerte par les autorités soviétiques, un décès survenu après plusieurs années de lutte contre la leucémie qu’elle avait « acquise » à Tchernobyl, où les mêmes autorités soviétiques l’avaient envoyée chanter pour d’autres victimes de la catastrophe nucléaire.

Maria Bieşu a chanté avec dédication sur tous les continents - dans des conditions inconnues, comme celles de Tchernobyl, à Chisinau, à Moscou, à Tokyo, à Sydney, à Milan et dans d’autres villes européennes, sur la célèbre scène du Metropolitan Opera de New York. Une vie glorieuse d’artiste et une fin imprévisiblement dramatique qui rappelle l’un de ses personnages, la sublime actrice Lecouvreur, qui, aimant - et Maria aimait chanter à tout moment et n’importe où - a embrassé un bouquet de fleurs empoisonnées …

Maria Bieşu, une fille modeste née à la campagne, a eu un parcours inhabituel pour le milieu à prédominance agraire de la Moldavie soviétique : après une brève activité dans une troupe de musiciens amateurs, cinq ans d’études au Conservatoire et un court stage à La Scala, elle a fait une fulminante carrière internationale, après des débuts spectaculaires, à l’âge de 27 ans, dans Tosca de Puccini.

Sa voix de soprano lyrique-dramatique, son timbre mis en évidence notamment dans les parties de belcanto (à mentionner la sublime Norma de Bellini) la distinguaient des solistes ordinaires des théâtres lyriques. Grâce à sa musicalité et à son sens dramatique accentué, elle se manifestait, dans Tosca, par exemple, dans des registres opposés, comme une tendre actrice aimante et aussi comme une meurtrière impitoyable ; tout comme la fragile et délicate Mimi jouée par elle pouvait se transfigurer dans la glaciale Turandot. Or, il est difficile d’imaginer comment, après le rôle triste de la jeune bohème morte de phtisie, peut-on se lancer dans les acrobaties vocales de la fière princesse chinoise.

Maria Bieşu a également joué le rôle de Nedda, l’imprudente et l’infidèle paillasse, un rôle qui lui a apporté, en 1971, un extraordinaire succès à New-York (après quoi le directeur du Metropolitan Opera l’a invitée pour toute une saison, mais Moscou ne lui a pas permis d’accepter cette proposition, invoquant son statut de députée dans le Soviet Suprême de l’URSS). D’autre part, elle a brillamment joué la plus déchirante, profonde et dramatique Madame Butterfly sur la scène lyrique de Chisinau et, en ’67, un jury international lui a conféré le titre de « meilleure Cio-Cio-san du monde » qui est devenu emblématique pour son image.

Une soprano du répertoire italien

La voix de Maria Bieşu est inséparable des drames passionnés de Verdi : forte et vigoureuse quand elle joue Leonora qui s’oppose à la « force du destin », désespérée et tendre dans le rôle d’Amelie qui ne peut plus dissimuler son amour et miraculeusement chaleureuse (grâce à son timbre unique) quand Aida chante, se séparant de la vie, dans la scène finale. Elle pouvait être et elle était vraiment une sacerdoce monumentale dans Norma de Bellini, avec ses cantilènes parfaites dans Casta Diva, une virtuosité vocale qui émouvait et donnait des frissons, pour la voir ensuite transposée, dans Cavalleria rusticana, en une simple paysanne, Santuzza, séduite et abandonnée.

Elle a été une soprano du répertoire italien, mais elle a aussi chanté des opéras russes et moldaves, car les autorités soviétiques en charge des politiques culturelles veillaient toujours à ce qu’on assure un « équilibre nécessaire » entre ce que Maria Bieşu voulait et ce qu’elle « devait » chanter. Des concessions ont été faites des deux côtés (elle a joué, par exemple, le rôle de l’épouse du bolchévique Sergeï Lazo), mais personne n’a jamais réussi à réorienter ses prédilections et ses options pour le répertoire.

Son caractère ferme, nourri par la prise de conscience de son talent, ainsi que par son succès, les tournées à l’étranger à une époque où en URSS le rideau de fer n’était levé que dans des cas exceptionnels ont eu pour effet que l’ensemble de la troupe de l’Opéra National de Chisinau se subordonnait à la voix et aux préférences de Maria.

D’ici, des exigences accrues en termes de choix méticuleux des premiers solistes, chefs d’orchestre, scénographes, metteurs en scène, tandis que les coulisses du théâtre bouillonnaient d’orgueil blessé, de spéculations, d’intrigues, de passion et de frustrations qui semblaient inspirées d’un opéra vériste. Mais dès que Maria apparaissait sur la scène, elle captait toutes les énergies dans les filets de son charisme et du spectacle et le triomphe de la diva, les applaudissements d’une salle pleine devenaient - à la satisfaction de tous – ceux de toute la troupe.

La voix de l’éternel féminin

Difficile et inaccessible, vaniteuse et distante lorsqu’il s’agissait de la création, mais incroyablement sentimentale et chaleureuse dans les moments où elle ne pouvait plus maîtriser ses émotions, Maria savait respecter son statut de prima donna. Etant d’un pédantisme surprenant, elle s’est fait un registre minutieux de toute sa carrière artistique, pas à pas, événement par événement. L’a-t-elle fait par orgueil ? Plutôt par la joie de revivre une fois de plus les souvenir de l’avalanche des spectacles et concerts.

La vie sentimentale de Maria s’est plutôt consommée sur la scène, dans le théâtre, dans les destinées de ses héroïnes, dans l’éternel féminin, dans le péché et la vertu qui alimentaient l’intrigue de ses spectacles, sans laisser de la place pour elle-même ou pour le quotidien banal. Son mariage avec le chef d’orchestre Arcadi Rodomschi, troublé par les longues tournées de Maria et par ses décisions dans lesquelles le théâtre avait la priorité, au détriment de la vie personnelle, s’est effondré au bout de seulement six ans.

Un testament de l’harmonie et de la lumière

Par la volonté du destin, la gloire de Maria Bieșu, sa renommée de soprano d’élite se sont inscrites, pour la plupart, dans l’espace culturel de l’URSS, un espace qui l’a appréciée et choyée selon ses mérites et lui a décerné les plus hautes distinctions, un espace qui a mis à sa disposition les scènes les plus prestigieuses, comme celle du Bolchoï, une sorte de récompense offerte par le régime en échange du fait de l’avoir toujours eu à sa portée, comme un oiseau en cage.

Aujourd’hui, les titres de « Héros du Travail Socialiste » et Lauréate du Prix Lénine suscitent une légère ironie par rapport à un artiste, pas à l’ère du « socialisme développé » quand c’étaient les plus hautes décorations d’un État qui essayait de polir son image avec les succès et les talents des grands artistes.

Dans son message d’adieu, adressé « à la nation » en signe de « gratitude et d’encouragement », publié dans les médias peu de temps avant sa mort, Maria Bieşu a sereinement décrit la trajectoire de sa vie dans un espace qui fut d’abord territoire de la Roumanie où elle est née, puis de l’URSS où elle a connu la gloire et de la Moldavie, « cette terre chère » où elle souhaite que les gens vivent dans la paix, l’harmonie et l’entente, offrant de la bonté de la lumière ».

D’après un article de Rodica Iuncu publié sur https://gazetadechisinau.md/2020/08/07/anul-acesta-la-3-august-maria-biesu-ar-fi-implinit-85-de-ani/?fbclid=IwAR3UtBg4hxyhrWpmHvaSSXC7BZrIOgba3QGyEgO7WSROLUpM5QZdia_Wwtw

Le 24 septembre 2020

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