… Kichinev 1903. Le pogrom. Bialik écrit le poème « Dans la ville du Massacre ». « Lève-toi et va », dit le poète. L’acteur et réalisateur Zohar Wexler s’en inspire et crée son premier documentaire, après avoir replongé dans l’histoire violente. Il part filmer à Kichinev les décombres du cimetière juif, la communauté juive qui tente d’y exister et retrouve même la synagogue dans laquelle sa famille priait et qui est devenue… un théâtre !

Zohar Wexler : « En 2010, je suis invité à créer un spectacle à la Maison de la poésie à Paris. Des voix anciennes me reviennent. Des voix aujourd’hui disparues, mais à qui j’avais demandé à 13 ans : « Te souviens-tu du pogrom de 1903 ? ». Me revient celle de ma grand-tante Sonia, avec son accent russe : « Le pogrom de 1903, bien sûr que je m’en souviens ! ».
Cette enquête familiale me porte alors naturellement vers le poème de Bialik « Dans la ville du massacre ». Ce dernier fut secoué par le Pogrom de Kichinev de 1903. Un voyage dans le temps et l’espace - des archives de Paris et de Jérusalem aux ruelles de Kichinev.
Mon seul-en-scène théâtral s’enrichit de photos prises juste après le pogrom, de coupures de presse internationale parues à l’époque, ainsi que de manuscrits dans lesquels Bialik avait consigné la parole des survivants du massacre.
L’an 2010. Je marche dans les pas de mes ancêtres. Ma première impression de Kichinev reste gravée dans ma mémoire, pleine de traces des vers du poème : des petites maisons de pierre, des cours entourées de palissades en bois peintes de couleurs vives ; des meutes de chiens errants, marque de la grande pauvreté qui régnait dans ce pays aujourd’hui à la porte de l’Union Européenne.
La grande émotion fut la découverte, dans l’immense cimetière juif, de la tombe de mon arrière-grand-père, preuve irréfutable de mon lien à ce lieu. Sur le monument, une liste de noms : les 16 membres de ma famille assassinés en 1941 dans le ghetto de Kichinev ou en déportation. Jamais personne ne m’en avait parlé ! Pourquoi ?
Après ce voyage, j’y retourne plusieurs fois avec mon équipe pour filmer. Je constate la destruction des maisons datant de l’époque du pogrom. Les traces s’effacent. Le cimetière juif est à l’abandon, jonché de bouteilles de vodka vides et de paquets de chips. Il me fallait capturer au plus vite l’essence de mon histoire.
L’an 2018. Je retourne à Kichinev. Je suis convaincu de l’importance de jouer mon texte sur le pogrom dans la ville où il a eu lieu. Je ne parle ni russe, ni roumain, j’aimerais trouver un acteur local pour jouer mon spectacle. Je multiplie les rencontres et je connais une compagnie de théâtre indépendante, Teatru Spălătorie.
L’an 2023. La Communauté Juive de Moldavie m’invite officiellement pour la Commémoration des 120 ans du pogrom. J’y retourne avec mon équipe, pour faire enfin résonner la parole du poète, de Bialik, dans la ville qui l’a inspiré. Je déclame ses mots, ses vers, devant un parterre de dignitaires moldaves et étrangers.
Je trouve alors le fil rouge de mon film : mon double théâtral, en costume de spectacle, traversera la ville pendant trois jours, comme la temporalité inscrite dans le poème, comme le temps qu’a duré le massacre. C’est (presque) la fin d’un long voyage ».

Voici, en bref, l’histoire de ce film qui sort le 14 février 2024 dans le cadre du cycle « Les Découvertes du Saint André », au cinéma Saint André des Arts.
Adresse : St André des Arts
30 rue St André des Arts
75006 Paris
Séances à 13h00, tous les jours du 14 au 19 février et du 21 au 26 février, les mardi 5 et 12 mars.
Zohar Wexler est né en 1971 à Haïfa, en Israël, dans une famille juive ashkenaze. Depuis son plus jeune âge, il a entendu le mot « pogrom » prononcé dans la bouche de ses aïeux, dont la famille paternelle a immigré de Kichinev en 1910.
En 1999, il fonde sa compagnie Le Réséda et signe sa première mise en scène avec la pièce de l’israélien Gilad Evron, Jéhu. C’est avec cette compagnie qu’il créera le spectacle Kichinev 1903 . Il le jouera plus de 80 fois, pendant 4 ans, en France et en Israël.
Le 12 février 2024