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Témoignages sur une époque encore malconnue

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Article de Gilles Ribardière

C’est toujours avec émotion qu’on met en valeur une jeune maison d’éditions, surtout si elle publie une littérature de qualité et qu’elle le fait avec beaucoup de soin. C’est le cas de BELLEVILLE Editions.

En choisissant ce titre, Marie Trebaol et Dorothy Aubert ont voulu souligner l’aspect carrefour de leur ligne éditoriale, comme l’est le quartier de Belleville à Paris, « carrefour de cultures où différentes communautés vivent en harmonie ». Autrement dit, les ouvrages publiés et à venir mettront le lecteur au contact d’écrivains populaires de pays très divers ; qu’on en juge pour les premiers titres : Brésil, Turquie, Egypte et, ce qui nous intéresse ici, Moldavie.

L’écrivain moldave choisi est Iulian Ciocan (né en 1968) et son roman, Le royaume de Sasha Kozak. Le choix est judicieux, car il permet de faire la connaissance d’un pays largement ignoré par le public français, et constitue une remarquable clé de compréhension de ce qu’a été la transition d’anciens territoires de l’URSS ayant acquis leur indépendance.

Trois faits caractérisent cette période : la généralisation de la corruption, le délitement de la société qui oublie le principe de solidarité et s’affranchit de toute référence morale, les conflits linguistiques liés à la présence sur le même territoire de russophones et de roumanophones pour ce qui concerne la Moldavie.

Ils sont traités par Iulian Ciocan de façon particulièrement pertinente, avec un humour décapant. Il y a des descriptions savoureuses, mais sans concession de la vie quotidienne, comme en témoigne cette vision totalement réaliste du marché agricole : « Le marché agricole de la rue Sarmizegetusa lui apparut, comme d’habitude, dans toute sa misère. De petites vieilles aux regards éteints, rabougries par l’étroitesse de leur vie, avaient exposé leurs marchandises sur des cagettes pourries : graines de tournesol, chewing-gums, tablettes de chocolat, tête d’ail, bocaux de légumes, papier hygiénique qui vous grattait le cul mieux que du papier de verre ». (p.31).

La trame du roman est d’une certaine façon anecdotique L’important réside dans les portraits des personnages et leur mise en situation. On retiendra en particulier la vieille Frosea qui maugrée devant l’inactivité de son mari et qui rythme sa vie selon la diffusion sur l’écran de télévision de telenovela en provenance de l’Amérique Latine via la télévision soviétique.

Iulian Ciocan donne une image de l’absence de repères au sein de la société, en décrivant la montée d’un parti qu’il appelle le Parti Total. : « Depuis peu, le Parti Total mettait en avant des idées d’inspiration communiste. Dans le même temps, grâce à une malléabilité d’exception, il collaborait fructueusement avec toutes les autres formations et devenait ainsi une nouvelle pièce maîtresse sur l’échiquier politique ». (p.169).

Si ce roman se caractérise par son acidité, on y trouve aussi des expressions d’une profonde émotion : « Dans la pénombre du couloir, Viorica Ionovna s’était sentie impuissante. Le plus dur était d’admettre son irrévocable inutilité. Sa vie lui échappait. Il est vrai qu’un être dont plus personne n’a besoin a déjà un pied dans la tombe » (p.182). C’est hélas à lire aussi comme une métaphore de ce qu’est la Moldavie, selon certaines analyses.

A la lecture des quelques extraits, on aura admiré la qualité de la traduction magnifiquement assurée par Florica Ciodaru-Courriol.

Un roman à lire pour comprendre ce qu’est l’héritage de l’Union Soviétique dans ses anciens territoires qui ont « acquis » leur indépendance.

Le 3 avril 2017

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