
Il y a déjà quinze ans que je connais Dumitru Crudu. J’ai eu la chance de mettre en scène sa pièce « L’élection d’Alexandre Suțțo » et de la jouer en Roumanie, en France, au Cameroun, en Haïti… J’ai programmé également plusieurs de ses pièces quand j’étais directeur de l’Ateneu, à Iași.
A chaque fois, il venait avec une bonhomie et une modestie peu courantes. Il se mettait dans un petit coin et il observait. Ensuite, il devenait à peine plus bavard lors du repas qui suivait. C’est un homme que l’on ne peut qu’apprécier et pour moi ce fut une rencontre déterminante dans mon itinéraire artistique.
Je me suis attelé à la traduction de son roman dont le titre roumain est « Salutări lui Troțki », parce que Dumitru m’avait demandé si je connaissais quelqu’un qui pourrait le traduire. J’y ai travaillé presqu’une année entière, avec des interruptions, parce que j’avais aussi d’autres occupations. Mais ce qui m’a frappé, c’est que je reprenais toujours ce travail avec un immense plaisir. Je connaissais la langue roumaine, mais cet auteur la manie avec un tour très personnel. Et puis, il y a en République de Moldavie des expressions un peu inspirées du russe, quelques régionalismes aussi, un vocabulaire propre au milieu interlope de Chișinau, tout cela compliquant un peu la traduction.
Mais j’ai cherché à chaque fois des équivalences en langue française, j’ai mis quelques notes en bas de page pour aider à la compréhension du lecteur français. Parfois, le dialogue chez les paysans prennent un ton bien particulier :
– Las’ c-o sî sî-ntoarcă ea la tini.
– Și dacî n-o sî sî mai întoarcî nișiodatî…
On voit bien qu’on est assez loin du roumain classique… Mais surtout ce qui est un des traits principaux chez cet auteur, c’est une façon humoristique de parler de faits qui pourraient plutôt tendre vers le tragique. Un humour, quasi anglais, pince sans rire. Alors, quand tout cela s’accompagne d’un immense respect des gens qu’il nous décrit, on comprend qu’il s’agit là d’une œuvre d’un grand humanisme.
Ensuite, ce fut la période la plus difficile : il fallait trouver un éditeur. Plusieurs années de réponses négatives (quand il y avait une réponse !). C’est alors que Dumitru a l’idée fantastique d’ajouter une nouvelle à l’édition roumaine, une nouvelle qui s’intitule « Moi, j’ai tué Hitler » et qui donnera le titre à l’édition française. C’est certainement ce qui a déterminé L’Harmattan à publier l’ouvrage.
Ainsi les lecteurs français vont découvrir Dumitru Crudu, et grâce à lui se dire que la République de Moldavie existe, on peut la rencontrer dans « Moi, j’ai tué Hitler ».
Benoît Vitse
Le 2 juin 2021