Article d’Emile Costard (Le Monde Académie, à Chisinau)
Depuis le 28 avril, les citoyens moldaves titulaires d’un passeport biométrique peuvent circuler sans visa dans l’espace Schengen, pour une durée de trois mois. L’événement a été célébré le 29 avril par un grand concert sur la place centrale de la capitale Chisinau.

Des drapeaux aux couleurs de l’Europe et de la Moldavie flottent le long du boulevard Stefan cel Mare, l’artère principale de Chisinau qui dessert les bâtiments officiels et les ministères de la République de Moldavie. Sur la place de la Grande Assemblé Nationale, où se dresse la maison du gouvernement, les techniciens et les ingénieurs du son testent leurs installations. Plus loin, un groupe de jeunes distribue aux passants des autocollants bleus, couleurs du drapeau européen. Derrière eux, deux panneaux de six mètres de haut affichent en lettres capitales : Une victoire européenne pour la Moldavie !
19h00, la place se remplit peu à peu. Profir Tanasciuc, un ingénieur de 60 ans, est venu en avance. Pour lui, pas question de rater une seconde du concert. Il arbore une petite pancarte rectangulaire sur laquelle deux dates s’opposent : 28 juin 1940, jour de l’occupation russe et 28 avril 2014, date de la suppression des visas pour l’espace Schengen : "C’est un grand pas pour la Moldavie. Cette avancée nous permettra un jour d’obtenir la reconnaissance européenne » Les premiers groupes de la soirée montent sur scène. La foule est de plus en plus compacte.
Marin Cretu, un serveur de 25 ans, est venu ce soir avec trois amis. Ils attendent avec impatience la performance de Zdob si Zdub, un des groupes les plus populaires de Moldavie qui a déjà participé deux fois à l’Eurovision. Cela dit, Marin reconnait que la levée des visas ne changera pas grand chose à sa situation. Comme près de 400.000 Moldaves, il dispose d’un passeport roumain : « La levée des visas n’est pas une révolution. Les Moldaves qui souhaitent voyager ont depuis longtemps acquis un passeport roumain grâce à la politique de rapprochement mise en place en 2009 par le président roumain Trian Basescu ».
Non loin de là, Laur Liudmila, une quinquagénaire aux cheveux courts, attire les regards de la foule des spectateurs : les bras levés vers le ciel, elle gesticule, en hurlant « Viva Europa ». L’idée de pouvoir bientôt rendre visite à ses deux fils installés en Allemagne depuis dix ans lui donne les larmes aux yeux. Elle n’a jamais fait de demande de passeport roumain : « Les démarches ont été simplifiées ces dernières années, mais elles restent relativement longues. Et puis un passeport roumain coûte de l’argent, ce n’était pas une priorité » explique-elle.
Tous les spectateurs ne sont pas venus pour célébrer la suppression des visas. Ludmila, une grande brune au nez aquilin, insiste pour monter sur les épaules trapues de son mari Viteo, car elle veut prendre des photos.
Les deux époux, âgés tous deux de 27 ans, sont ici pour écouter Okean Elzy, un groupe ukrainien qui chante en russe, et qui a acquis un large public en Moldavie. La foule entonne avec ferveur chacune de ses chansons, car ici la population parle aussi bien le russe que le roumain. Nés de parents russes, Viteo et Luidmila sont tous les deux Moldaves russophones. Viteo n’est encore jamais allé en Russie, mais il rêve de pouvoir un jour s’y installer. Le rapprochement de la Moldavie avec l’Union Européenne, Viteo ne s’en cache pas, il est plutôt contre. « L’Union Européenne n’apportera rien à la Moldavie. Pourquoi vouloir être rattaché à l’Europe puisque de fait nous n’y sommes pas ? » De son côté, Ludmila craint que la levée des visas pour l’Europe entraîne des complications pour se rendre en Russie.
Si les citadins de Chisinau semblent acquis à la cause de l’Europe, le rapprochement engagé avec l’Union Européenne ne fait pas l’unanimité dans les campagnes : de nombreux agriculteurs souhaitent que le pays reste tourné vers la Russie, principal acheteur de leurs productions. Par ailleurs, près de 500 000 Moldaves travaillent aujourd’hui en Russie.
Après plusieurs rappels du chanteur ukrainien, la soirée se termine par un feu d’artifice. Puis la place de la Grande Assemblée Nationale se vide, dans une ambiance bon enfant.