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Avant la désignation du Président de la République

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Les résultats des élections en République de Moldavie du 29 juillet ont quelque peu bouleversé les données.

Ceux d’avril avaient placé le Parti des Communistes (PCRM) à une voix de la majorité qualifiée nécessaire en vue de la désignation d’un Président de la République issu de ses rangs et il détenait une majorité confortable au Parlement.

Après le 29 juillet, certes il reste le parti ayant obtenu le plus de voix dans le pays, mais il recule au point de perdre la majorité au Parlement et d’avoir une plus faible probabilité de prétendre occuper par un des siens la plus haute fonction de l’Etat.

En effet, si en avril il lui suffisait de « séduire » un seul opposant pour élire le président, il lui faudrait à présent en entraîner 13 dans la manœuvre…

Aujourd’hui, l’opposition, devenue l’ « Alliance pour l’Intégration Européenne », se trouve un peu dans la position du PCRM quelques mois auparavant : ainsi détient-elle en particulier la majorité au Parlement ; mais s’agissant de la désignation du Président de la République, il faut rechercher 8 voix complémentaires !

En fait depuis le scrutin de juillet, le milieu politique navigue autour de 4 hypothèses en vue de sortir (ou pas) du blocage possible :

  • L’Alliance pour l’Intégration Européenne parvient à réunir les voix nécessaires.
  • Un coup de force du PCRM.
  • La cassure de l’Alliance au profit du PCRM.
  • Un troisième scrutin à l’issue incertaine.

Mais il ne suffit peut-être pas d’analyser la situation à la lumière de simples enjeux de politique interne.

En effet, comme tout Etat qui il y a peu appartenait à l’Union Soviétique, la Moldavie demeure un espace que la Russie peut avoir tendance à vouloir maintenir dans sa zone d’influence, tandis que l’Union Européenne lui marquerait pour l’heure un intérêt tout relatif.

L’enjeu stratégique apparaîtrait assez faible pour l’UE, et le poids d’un Etat réputé le plus pauvre de l’Europe serait trop lourd à absorber compte tenu de la crise économique mondiale… Quant à la Russie, on peut se demander si elle ne se contenterait pas du maintien de son influence, sous une forme ou une autre, qu’elle exerce sur la Transnistrie.

En tout cas, même si la revendication de tous les partis de la Moldavie pour une solution à ce problème demeure récurrente, elle n’est pas dominante, et la Russie paraît assez peu vindicative sur la question. Cela étant, l’attitude de la Russie sur la Moldavie se révèle assez difficile à décrypter.

Ainsi y a-t-il des interrogations sur la finalité de la rencontre du 25 août entre Vladimir Voronine et Dimitri Medvedev qui a eu, semble-t-il, pour effet de durcir l’attitude du PCRM face à l’Alliance.

Par ailleurs la présentation que fait l’agence de presse russe Ria Novosti de l’élection au siège de Président du Parlement de Mihai Ghimpu, Président du Parti Libéral (PL) est peu amène : « Mr. Ghimpu a fait à plusieurs reprises des déclarations empreintes de russophobie ».

Il faut dire que l’intéressé ne mâche pas ses mots comme en témoigne sa réaction suite au retrait du PCRM de la première séance : « Bonne action : que ce soit pour toujours ! »

Mais il y a eu aussi un entretien entre, d’une part, Dorin Chirtoaca, vice- président du Parti Libéral et maire de Chisinau, et, d’autre part, l’ambassadeur de Russie. Ce dernier a affirmé que son pays respecterait le résultat du scrutin, et Dorin Chirtoaca a rassuré son interlocuteur quant au souci de développer des relations de bon voisinage avec la Russie, tenant ainsi compte de la situation géopolitique de la Moldavie.

Compte tenu d’une relative discrétion de la Russie et de ce que l’on peut considérer comme une attitude attentiste de l’Union Européenne, on posera comme hypothèse que la République de Moldavie constitue un relativement faible enjeu dans les rapports Russie/Europe, ce qui d’une certaine façon devrait garantir que la sortie de l’impasse politique sera avant tout une affaire intérieure.

Evidemment, il ne faut pas être naïf ; le futur gouvernement ne devra pas heurter de plein fouet la Russie, ne serait-ce que pour s’assurer dans des conditions correctes la fourniture d’énergie indispensable à la population, d’où, à coup sûr, une grande prudence quant à la question de la Transnistrie. Et, au moins dans un premier temps, il faudra s’attendre à une attitude plutôt en retrait de l’UE, mais aussi de l’OTAN.

C’est donc dans ce contexte assez flou que se dégagent 4 scénarios possibles. Ils sont dans les têtes des hommes politiques de la Moldavie depuis quelques semaines, ce que l’on perçoit à la lecture des déclarations des uns et des autres.

Le scénario le plus « optimiste » serait l’apport de 8 voix issues des rangs du PCRM, afin d’atteindre les 61 suffrages nécessaires à la désignation du Président de la République.

Mais si le PCRM n’est pas parvenu après les élections d’avril à « pêcher » dans l’opposition une unique voix, l’Alliance réussira-t-elle plus facilement à trouver les 8 voix manquantes dans les rangs du PCRM ?

Paradoxalement, on peut être tenté de répondre positivement. En effet dans le premier cas il fallait « soudoyer » un individu…. Or il y avait une détermination de tous les membres de l’opposition pour tenir bon, ce qui fut vérifié.

Dans le second cas, l’Alliance ne peut que s’engager dans un processus de négociations, avec l’ensemble du PCRM, ou une fraction de celui-ci au cas où il ne serait pas homogène : Marian Lupu, Président aujourd’hui du Parti Démocrate (PD) , mais il y a peu, membre éminent du PCRM, connaît bien son ancienne organisation et il est donc bien placé pour en connaître les faiblesses, et ainsi peut-être donner les clefs pour obtenir ces voix manquantes ?

Une petite indication quant à la pertinence d’une telle hypothèse : Mark Tkachouc, du PCRM , a indiqué qu’il était possible d’envisager que son parti admette son statut d’opposition….ce qui induirait que l’élection d’un Président de la République soutenu par l’Alliance soit facilitée…

Mais, seconde hypothèse, il ne faut pas passer sous silence les propos, en russe, de Vladimir Voronine adressés au président du Parti Libéral-Démocrate ( PLD), Vlad Filat : « Va te faire f…mec ! On va s’occuper de toi ».

Les Partis Communistes ont leur histoire jalonnée par des passages en force en vue de conquérir le pouvoir ou s’y maintenir. Une telle « tradition » n’a sans doute pas disparu dans la conscience de certains militants et de leurs dirigeants du PCRM….Mais un passage en force, comment ?….Avec quelles conséquences ?…..

On peut penser – troisième scénario - que ce Parti agirait avec plus de subtilité. C’est ce qu’il a voulu faire en cherchant – pour l’instant en vain – à casser l’Alliance, refusant notamment de la rencontrer, et invitant à des discussions séparées ses composantes.

Rejet net des intéressés !

S’éloigne ainsi la perspective d’un front majoritaire de « centre-gauche » réunissant le parti de Voronine et celui de Lupu, ce qu’une partie de l’opinion publique craignait.

Reste alors la quatrième option : empêcher la désignation du Président de la République et repartir pour un troisième scrutin, ce qui n’est pas sans risque : lassitude de l’électorat, pays laissé encore quelques mois dans un vide de gouvernance tandis que la crise économique se fait lourdement sentir, rapports de force susceptibles de ne pas évoluer, et en fait, totale inconnue de ce qui pourrait sortir des urnes à l’issue de ce troisième essai.

Aujourd’hui, on a le sentiment qu’il y a tout de même une volonté largement partagée de sortir de l’impasse, sachant que si l’apport de voix nécessaires pour l’élection présidentielle se réalise, on n’en connaît pas le prix, que l’Alliance, une fois l’obstacle institutionnel passé, est peut-être fragile, à l’instar de toute coalition entre partis aux histoires diverses et divergentes, que l’opposition aura éventuellement des réflexes de blocage (ce qui se produit en ce moment car elle entend engager des procédures d’annulation de l’élection du président du Parlement) …

La voie est donc étroite en vue d’un fonctionnement normal des institutions.

Mais il faut vivement souhaiter que l’horizon se dégage, car ce pays est un chaînon intéressant pour l’équilibre de notre continent ainsi que le souligne le président de la commission des affaires étrangères du Sénat des Etats-Unis, John Kerry : « Des analystes ont déclaré que la Moldavie est victime de sa géographie, coincée qu’elle est entre les « sphères d’influences » Européennes et Russes. Or je crois que la géographie de la Moldavie peut être sa force ; dans une démarche de coopération et avec détermination, la Moldavie peut et devrait être un pont entre l’Europe Centrale et l’Europe de l’Est ».

Gilles Ribardière

Docteur en Science Politique

Président de l’association "Lumières de l’Est"

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