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Une expédition sur les traces des Moldaves déportés en Sibérie

Un groupe constitué d’historiens, journalistes et cinéastes ont récemment effectué une « Expédition de la Mémoire » en Sibérie, dans la région russe d’Irkoutsk, pour visiter les villages construits par des déportés moldaves à la fin des années 40 du siècle passé.

Selon les estimations faites sur la base des documents d’archives, environ 6 000 Moldaves ont été déportés en région d’Irkoutsk en 1949. La plupart furent amenés dans le district de Tchiuna, dans une zone où maintenant se trouve le village de Novotchiunka. Les déportés, qualifiés d’ « ennemis du people », étaient surveillés jour et nuit par les autorités soviétiques et avaient l’obligation de confirmer mensuellement leur présence auprès des organes respectifs. Ils habitaient dans des cabanes faites par des prisonniers japonais.

Des villages de Moldaves dans la taїga sibérienne

Une fois arrivés en Sibérie, ils étaient obligés de travailler. Les Moldaves ont été répartis dans les équipes de coupe de forêts dans la taїga. Pour arriver au lieu du travail, les gens devaient marcher jusqu’aux profondeurs des forêts, ce qui voulaient dire plusieurs kilomètres d’aller-retour… Au printemps et en automne, quand il pleuvait, les routes d’accès devenaient encore plus pénibles, raison pour laquelle les déportés ont osé de demander aux autorités la permission de se construire des logements aux proximités de la zone où ils travaillaient. Leur demande a été satisfaite et les déportés ont donc eu le droit de se faire des baraques.

Vu qu’on ne perdait plus le temps en marchant, les résultats du travail se sont améliorés et on a permis aux déportés de construire « un village des ouvriers » et y faire venir leurs familles. Ce village a été nommé Moldovanca.

La vie dans le village de Moldovanca était plus ou moins habituelle. Les déportés n’avaient pas le choix – ils n’avaient qu’à s’adapter aux nouvelles conditions de vie et à la réalité cruelle. Après avoir construit des demeures pour eux-mêmes, les Moldaves se sont mis à construire des bâtiments publics – la cantine, l’école, l’usine de brique, la ferme aux chevaux, une sauna.

Les souvenirs de Maria Duca, témoin de ces temps-là, nous permettent d’imaginer les conditions dures de vie des déportés : « La cantine était en bois, on n’y mangeait pas, comme il serait naturel, mais on nous y distribuait les portions de soupe, thé et pain. La portion de pain était très petite … Dans le village, il y avait aussi un magasin, où l’on vendait certaines quantités de produits, mais … toujours en portions… Les adolescents de Moldovanca allaient à l’école de Novotchiunka et ils demandaient à leurs collègues originaires de ce village de leur acheter du pain au magasin local et en apportaient à leurs familles  ».

D’autres détails décrivant la vie dans ce village sont évoqués par Raisa Pavina : « En 1953, j’ai fini mes études au Collège vétérinaire de Vlogodska, après quoi j’ai été envoyée travailler à Novotchiunka (dont Moldovanca faisait partie) où il y avait une grande ferme aux chevaux, car on avait besoin de chevaux pour transporter le bois brut. J’y ai travaillé pendant deux ans. Parfois, on fréquentait des soirées dansantes organisées au club du village. Le club était très spacieux et on y organisait aussi des réunions des jeunes komsomols où le secrétaire de l’organisation tenait des discours sur des sujets comme « Sur la discipline » ou « Comment passer le temps libre » ».

Les villages de Vessiolyї, Sosnovka et Partchium ont aussi été construits par des Moldaves lors de la période 1949–1950.

L’historienne Viorica Olaru-Cemârtan a étudié plusieurs villages du district russe de Novotchiunsk, parmi lesquels le village de Vessiolyї qui est tout à fait différent des autres : « Les maisons ont des fenêtres teintes de couleurs bleue, avec du décor en dentelle autour du cadre. Elles ont toutes une véranda et un porche, comme en Moldavie, ainsi que des annexes spécifiques aux zones de la Moldavie d’où les déportés provenaient. Dans certaines maisons, on retrouve même des objets traditionnels de décor, tels que des serviettes brodées ou des tapis tissés à la main. »

Trois générations de Moldaves établis en Sibérie

La première génération est représentée par les gens déportés en 1949 qui habitent la région d’Irkoutsk, la deuxième génération, environ 5.000 personnes, est constituée par ceux qui ont pris part à deux grandes constructions soviétiques – l’hydro-centrale de Bratsk et la magistrale Baїkal-Amour. La troisième génération – ce sont les Moldaves partis après l’an 1991 quand la Moldavie a proclamé son indépendance et dont la plupart travaillent dans l’industrie du bois, certains ayant même des affaires prospères.

Les recherches menées par les membres de l’expédition ont joui du support de l’Association des Moldaves d’Irkoutsk qui s’appelle « Basarabia », fondée par des Moldaves établis dans cette région aux années 1970–1980 qui entretiennent des relations étroites avec des Moldaves de Tchiunsk et de Taїchet où les 6 000 Moldaves avaient été abandonnés en pleine taїga.

Alexandra Lopată est née dans ces parages-là, le 11 novembre 1949, deux mois après l’arrivée dans la taїga de sa famille déportée. Ses parents, originaires de la ville moldave d’Orhei, avaient déjà trois enfants. En 1960, la famille a été réhabilitée et les Lopată sont rentrés en Moldavie, mais … ne pouvant plus revendiquer leur propriété et étant étiquetés d’ « ennemis du peuple », ils ont décidé de revenir en Sibérie… Plusieurs familles de déportés ont eu la même destinée.

Qui suis-je ?

Une autre famille – une autre histoire. Dumitru Cazacenco, né à Durleşti, tout près de la capitale moldave, a été déporté, avec toute sa famille, quand il n’avait que 13 ans. Plus tard, il s’est marié avec une Russe et en 1962 ils se sont installés en Moldavie où la famille moldavo-russe s’est facilement intégrée. Mais en 1992, quand le jeune Etat moldave faisait ses premiers pas, les Cazacenco ont décidé de revenir à Vessiolyї, espérant y avoir une vie meilleure. Maintenant, il a 82 ans et il est rongé par une immense nostalgie de sa patrie, de tout ce qui fait son identité. En fait, il ne sait pas dire qui il est – Moldave ?.. Sibérien ?..

L’oubli

Les membres de l’expédition ont également visité les cimetières dans les villages peuplés par des descendants des déportés moldaves. Vidraşcu, Pădurache et d’autres noms moldaves étaient gravés sur les pierres tombales. Si l’expédition avait eu lieu 20 ans plus tôt, on aurait pu les rencontrer…

Ces cimetières, y compris les secteurs où gisent des déportés, moldaves ou d’autres nationalités, sont dans un état délaissé, ce qui dénote le manque de respect pour la mémoire des événements tragiques, comme furent les déportations … D’ailleurs, la population de la région connaît très peu de choses sur le fait qu’il y a 70–75 ans des milliers de déportés entassés dans des wagons de marchandises furent amenés dans la taїga et qu’en fait ce furent eux, ceux qui ont « apprivoisés » cette forêt sauvage.

Sources : http://www.timpul.md/articol/moldovanca-%E2%80%93-un-sat-basarabean-uitat-in-taigaua-siberiana-99114.html et http://apropomagazin.md/2016/10/17/dorul-basarabiei-trait-in-siberia-2/

Le 26 octobre 2016

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