« La chasse aux sorcières »
Salut, *Alex ! Je suis Diana, journaliste chez moldova.org. Pourrais-je vous parler ?
Alex répond calmement, mais de manière distante, comme s’il parlait à un représentant commercial, et me demande de le rappeler 15 minutes plus tard. Quand je le rappelle, je lui demande s’il est en sécurité. Alex me dit qu’il peut parler, mais il ajoute : « Je ne suis pas en sécurité, mais je suis seul maintenant ».
*Alex (nom modifié) est un jeune homme qui habite une ville située sur la rive gauche du Dniestr. Nous avons discuté au téléphone pendant une heure et demie sur la situation dans la région et il semblait assez ouvert. Toutefois, le lendemain, il a refusé de venir à l’interview, invoquant « de sérieuses préoccupations concernant sa sécurité, car en Transnistrie avait été déclarée une « chasse aux sorcières ».
Alex m’a expliqué que les gens ne parlent pas aux journalistes parce qu’ils ont peur des conséquences. « Les gens ressentent le danger et ils essaient de l’éviter, étant guidés par leurs instinct de survie. Je m’exprime de manière critique, mais je dis la réalité », note-t-il. Alex évite de dire quelles pourraient être les conséquences subies par ceux qui parlent, mais il déclare qu’il n’y a jamais eu de liberté d’expression sur la rive gauche du Dniester.
Ayant participé dans différents projets civiques, Alex est non-officiellement étiqueté d’ « ennemi du people ». En effet, toute implication des habitants de la Transnistrie dans des projets ou formations déroulées sur la rive droite du Dniestr est traitée comme une « trahison ».
« Voilà, les ennemis du people se réunissent et vont à Chisinau pour des cours où l’on va leur raconter des choses hostiles sur ceux qui habitent sur la rive gauche » - des messages à ce contenu se font souvent entendre dans l’espace public.
« Ils craignent que leurs paroles soient utilisées contre eux-mêmes »
Marta * (nom modifié), une jeune originaire de Transnistrie, n’est pas venue à l’interview vidéo, mais elle a accepté de parler de ses craintes sous couvert d’anonymat.
Marta travaille depuis plusieurs années sur la rive droite du Dniestr, mais elle a toujours peur de parler ouvertement. « Je ne peux pas parler au nom d’autres personnes, mais je peux dire que je connais beaucoup de situations quand les gens de Transnistrie ne veulent pas parler », dit-elle. Les gens sont très prudents et ils s’auto-censurent. « Ils craignent que leurs paroles soient utilisées contre eux-mêmes », explique-t-elle. Cette peur s’intensifie surtout s’il s’agit de communiquer avec des journalistes qui ne sont pas de Transnistrie.
Marta raconte qu’une collègue dont la mère travaillait dans un jardin d’enfants lui avait dit qu’un jour les employés de ce jardin d’enfants ont été appelés par des représentants d’une institution spécialisée qui leur ont dit de ne pas communiquer avec quiconque qui aurait des liens avec le financement externe. « Si vous êtes contactés, appelez et avertissez immédiatement », on leur a dit. Selon Marta, toutes les institutions d’État et municipales ont reçu cet avertissement.
La liberté d’expression « bien sûr, n’existe pas et il y a un sentiment d’auto-censure qui fonctionne comme un limiteur, affirme Marta. Soit on garde son opinion pour soi-même, soit on discute dans la cuisine, comme en Union Soviétique. Ou, quand on ne peut plus supporter tout ça, on quitte la région. Mais, en général, les liens familiaux sont très forts et ceux qui sont prêts à exprimer leur opinion penseront avant tout à leurs proches ».
L’illusion d’une vie paisible
Marta dit que la peur est cultivée dans les gens pendant des décennies et, par conséquent, les autorités obtiennent le résultat souhaité - une population qui s’auto-censure. « Il y a 10 ans, la situation était pareille. Maintenant, avec le renforcement de la pression politique, cette dynamique est plus visible, et les gens ont très peur de dire quelque chose », croit Marta.
D’autre part, selon Marta, sur la rive gauche du Dniestr on essaye de créer l’illusion d’une vie paisible, sans problèmes, où tout le monde est heureux. « Pendant la crise énergétique, je n’étais pas dans la région, mais je suivais une personne, présentatrice de radio locale, qui a un blog. Et qu’est-ce que j’entendais ?… Elle disait, par exemple : « Le 21e jour sans gaz… nous ne sommes pas découragés. Les valeurs de notre famille sont plus fortes que ces problèmes. Et nous respirons de l’air frais". Voilà comment ils idéalisent", dit Marta.
La jeune femme dit également que pendant la période où il n’y avait pas de gaz, le mécontentement des gens s’est accru et cela se ressentait, mais, d’autre part, les services de sécurité de Transnistrie ont fonctionné plus intensément. Par conséquent, la communauté est très-très réticente à parler et cette tendance semble s’aggraver encore.
« Je suis partie, car il n’y a aucun sentiment ici que les gens soient prêts à changer quelque chose. Ils partiront, comme moi, soit ils se résigneront. Il n’y a pas de masse critique qui pourrait s’unir pour promouvoir leurs idées. Ce sont en fait des processus spécifiques à une société plus ou moins moderne qui ne se produiront pas ici », considère la jeune.
D’après un article de Diana Preașcă publié sur https://www.moldova.org/cronica-unei-emisiuni-nerealizate-sau-de-ce-transnistrenii-se-tem-tot-mai-mult-sa-vorbeasca-cu-jurnalistii/
Le 18 février 2025