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Une analyse critique de l’édifice actuel de la culture moldave (1)

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Mihai Fusu

Discours de Mihai Fusu, metteur en scène, comédien, journaliste TV moldave, à la conférence sur la culture moldave tenue le 29 octobre 2012 au Palais du Luxembourg de Paris

Je ne suis pas un spécialiste du domaine, donc, je m’assume toutes les petites inexactitudes historiques ou politiques. Je voulais exprimer ici mes idées et mes mécontentements sur le fonctionnement de l’édifice officiel de la culture en Moldavie. Je le fais en tant qu’artiste et en tant que citoyen.

Très court regard historique

République de Moldavie. Ex-république soviétique de Moldavie. Dénommée aussi la Bessarabie. Aujourd’hui nous allons parler de cette Moldavie.

A partir du 19 siècle, la moitié ouest de la Moldavie historique devient une partie de la Roumanie, l’autre, la Bessarabie, dont nous parlons aujourd’hui, devient à partir de l’an 1812 province de l’empire russe. C’est l’an 1812 qui marque l’apparition des circonstances historiques pour l’existence de l’actuelle République de Moldavie.

Presque deux siècles de présence et d’influence russe, pour ainsi dire, ça se sent, et ça pèse. Donc, qu’est-on aujourd’hui du point de vue culturel ? Pour répondre à cette question, nous allons vite parcourir les deux derniers siècles de notre histoire et nous allons les diviser en 4 étapes ou époques.

1 étape. 1812 – 1918 – Epoques russe impériale.

2-me étape. 1918 – 1945. Epoques roumaine.

3-me étape. 1945 – 1991. Epoque soviétique.

4-me étape. 1991 – 2012. Epoque indépendante.

C’est bizarre de ne pas parler ici de la Moldavie d’avant 1812. C’est par ce qu’entre la culture d’avant 1812 et celle d’après (si on parle du territoire de la Bessarabie) il y a une rupture quasi-totale.

Pour vous donner deux- trois repères sur les réalisations culturelles de la Moldavie avant 1812 :

Les premières représentations théâtrales - attestées en 1633 à la cour de Petru Rares.

Les premiers poèmes – XVII siècle.

Le premier roman - « Histoire hiéroglyphique » - écrit vers l’an 1700 par Dimitrie Cantemir.

En architecture - le style gotique moldave.

La fameuse peinture murale de la Moldavie du Nord, etc.

Mais l’an 1812 met fin à tout cela. Comme le disent nos voisins d’Odessa : il y a « deux grandes différences ».

Donc, 1812 – 1918 – Epoque russe impériale.

Toutes les institutions sont exclusivement russes. La langue roumaine n’est pas admise même dans les écoles du cycle primaire, ni dans les moindres églises rurales. Une partie du territoire (surtout dans le sud, où la population était vraiment très raréfiée) est repeuplé par la nouvelle administration tsariste d’une assez nombreuse population allemande, bulgare, gagaouse (des turcophones chrétiens), de Juifs et de Slaves. Nous avons une nouvelle réalité démographique (presque 30% - c’est de la population parlant d’autres langues et ayant d’autres cultures).

Donc c’est une nouvelle langue qui s’installe en Bessarabie – la langue russe, une nouvelle culture - la culture de l’Empire russe et une nouvelle réalité se forge. Les intellectuels, les écrivains, les gens de culture qui veulent s’exprimer en langue roumaine passent la frontière ouest pour quitter la Bessarabie et participent à la vie culturelle et à la création de la culture roumaine moderne. Ceux qui restent en Bessarabie dans l’espace de la langue russe (indifféremment de leur appartenance ethnique) représentent la culture russe, même s’ils sont issus de Moldavie.

Je vais citer juste deux - trois noms qui vous sont peut-être connus : Piotr Kapitsa, lauréat du Prix Nobel en physique, Anton Rubinstein, pianiste, fondateur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, Alexeï Chtchoussev, architecte qui fait le passage de la Russie impériale vers le style impérial de Staline. Auteur du mausolée de Lénine, d’ailleurs.

2-me étape. 1918 – 1945. Epoque roumaine.

Entre les deux guerres, la Bessarabie rejoint la Roumanie. Tout change. Ecoles, journaux, théâtres en langue roumaine. Sans analyser la vie économique et sociale de Roumanie, la vie culturelle entre dans une normalité. La Bessarabie est connectée aux institutions roumaines. Mais il faut aussi dire que la langue russe reste toujours présente et importante. Dans cette période d’entre les deux guerres et surtout immédiatement après la révolution de Lénine, la Bessarabie devient une terre d’accueil pour certains Russes blancs, y compris des artistes et des intellectuels qui n’acceptent le nouveau ordre soviétique.

3-me période. 1944 – 1991. Epoque soviétique.

L’histoire se répète. Tout comme au début du 19-ième siècle, il y a une rupture totale avec la culture roumaine. La vengeance du régime stalinien (qui s’installe en Bessarabie après la fin de la deuxième guerre mondiale) contre la culture roumaine est d’une atrocité et d’une férocité inimaginables. Tous ceux qui sont considérés comme porteurs de cette culture sont soit tués, soit déportés, soit isolés.

Mais la période soviétique est différente de la période russe impériale. La langue roumaine est admise à tous les niveaux – écoles, lycées, universités, académie de sciences, théâtres, littérature, etc. Par contre, elle doit être écrite avec l’alphabet cyrillique. C’est la même langue roumaine, mais les Moldaves n’ont pas le droit de l’appeler roumaine, désormais il fallait dire « langue moldave ».

Dans les années 60, après la mort de Staline, le régime soviétique devient plus « soft ». C’est l’époque surnommée « dégel khrouchtchévien ». Une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels s’affirme. C’est un phénomène assez intéressant qui devrait faire, peut-être, l’objet d’une recherche plus exigeante et plus approfondie. Les enfants de « l’époque roumaine », donc ceux qui sont nés dans les années 1920 et 1930, sont éduqués à partir des années 50 – 60 dans les grandes écoles de Moscou et Petersburg. Cette génération donne des écrivains, des cinéastes, des peintres, des chanteurs d’opéra, des metteurs en scène de grande qualité. Ce sont eux qui forment la matière de la renaissance linguistique dans les années 60 et 70, de la perestroïka et qui constituent la base culturelle de l’étape indépendante.

4-me étape. 1991 – 2012. Epoque indépendante.

Cette époque porte en soi toutes les contradictions, les richesses et les pièges des étapes précédentes.

D’un côté, c’est la tentative menée dans un premier temps par les intellectuels et les gens de culture de recréer et de revenir dans la période d’or de la culture roumaine – la période d’entre les deux guerres.

D’autre côté, c’est le désir naïf de préserver toutes les structures culturelles de la période soviétique et les privilèges dont bénéficiaient les artistes et les intellectuels sous ce régime.

En même temps, on peut repérer chez certains une tendance de repenser l’ancien mythe de la Moldavie glorieuse du Moyen-Age et de s’en approprier des valeurs, des héros et des symboles.

Et bien sûr, il faut tenir conte d’une nouvelle tendance qui est de plus en plus présente dans l’espace culturel moldave, surtout chez les jeunes, celle de modernisation de la culture, du langage culturel et de l’apparition de nouveaux acteurs culturels.

Ces tendances ont eu chacune, à un moment donné (pendant ces 20 derniers ans), leur sommet. Mais malgré leurs démarches contraires qui apparemment s’excluent réciproquement, elles restent toutes présentes sur notre marché libre des valeurs culturelles et même parfois arrivent à s’entremêler, chevauchées par le discours politique moldave d’aujourd’hui.

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