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Mémoires de la souffrance

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Rodica Istrati

Article par Istrati Rodica

La nuit du 6 au 7 juin 1949 a été marquée par l’opération dite « SUD » au cours de laquelle environ 50 000 Bessarabiens ont été déportés en Sibérie. Selon les témoignages historiques, les Roumains qui vivaient sur les territoires occupés par les bolchéviques ont été victimes de plusieurs vagues de déportations : durant les années 1924-1940 (les Roumains transnistriens de la République Socialiste Soviétique autonome de Moldavie) ; l’année 1940 (immédiatement après l’annexion de la Bessarabie, environ 90 000 personnes ont été exécutées ou déportées) ; en juin 1941 (parmi les Roumains de l’ancienne République Socialiste Soviétique de Moldavie, 18 400 d’entre eux, voire 22 000 selon d’autres sources, ont été déclarés « éléments antisoviétiques » ou « dangereux socialement » et déportés). Les autorités soviétiques avaient réquisitionné 1315 wagons en vue de déporter 85 000 Bessarabiens, plan quelque peu brouillé du fait du début de la guerre …

Ce qui va suivre consiste en la présentation de l’histoire tragique d’une famille ayant souffert énormément. Les Bessarabiens se sont efforcés de bâtir, avec difficulté, leur demeure en s’appuyant sur trois piliers : l’histoire, le peuple et la langue. Ce sont des piliers plantés suite à de nombreuses souffrances et blessures. Ceux qui ont souffert furent surtout les paysans qui travaillaient jour et nuit pour défendre l’histoire de notre peuple, et beaucoup moins les représentants des autorités centrales.

Les événements de la moitié du XX-ème siècle, plus précisément, ceux des années ’40-’50 ont laissé une profonde empreinte dans l’histoire de notre peuple. C’est une douleur qui pèse encore aujourd’hui sur les épaules de la génération qui a été le témoin de ces événements tragiques. Beaucoup de familles ont été séparées à cette époque-là, les maris de leurs femmes, les enfants de leurs parents, les frères de leurs sœurs, les oncles de leurs neveux. Ainsi, est-ce pour cela que cette période peut être désignée, avec certitude, comme une page noire de l’histoire de Bessarabie.

Les déportations des années ’40 et ’49 ont représenté, certainement, un chapitre très sombre dans l’histoire à travers le prisme des témoignages de nos grands-parents et leur condition de vie durant ces années qui furent d’une profonde souffrance. La jeune génération ne pourra jamais comprendre comment ils ont vécu pendant cette période-là parce qu’elle n’a pas subi ces événements tragiques de notre histoire. Moi, par exemple, qui chaque fois que je rencontre mon grand-père, ai l’occasion d’entendre de sa part les mêmes souvenirs. Et j’essaie de me rendre compte que ces gens ont vraiment vécu des moments de cauchemar, et qu’ils sont encore rongés par le souvenir de ces horribles événements.

C’était un jour de printemps, un jour férié tandis que tout le monde se reposait, lorsque des inconnus de l’administration russe sont venus dans le village de Pelinei, une localité située à 15 kilomètres de la ville de Cahul au sud de la Bessarabie, et a emmené de force les membres des familles les plus riches. Il s’agissait de quatre hommes appartenant aux familles Istrati, Blanaru, Moraru et Susanu. Tous ont été « volés » à leurs familles sans aucune explication et même sans leur dire où ils seraient conduits. La richesse de chacun était assez importante ; mon arrière-grand-père possédait 60 hectares de terrain, 250 moutons et une dizaine de bœufs et de vaches. On considérait que cela constituait une fortune importante pour une famille qui était composée de 8 membres. C’était une fortune réunie pendant toute une vie, mais qui a été confisquée le jour de la déportation. Il s’agissait des biens qui appartenaient à une famille à la fois riche et très modeste. Les voisins ont été choqués à la vue des actions commises par les autorités. C’était horrible du fait qu’aucun membre de famille n’a pas pu dire adieu aux proches ; seulement l’un d’entre eux à chuchoté à son voisin : « Au revoir Monsieur Ştefan » (c’était mon arrière-grand-père). Peut-être, a-t-il soupçonné que c’était pour la dernière fois qu’il le voyait et lui parlait. Selon le témoignage de mon grand-père, personne ne sait où ils ont été amenés, mais il m’a affirmé, avec des larmes aux yeux et beaucoup de peine que, peut-être tous ont été brûlés. « Qui sait, seulement le Bon Dieu pourrait le savoir » a dit mon grand-père.

Restée seule, mon arrière-grand-mère dut se débrouiller seule pour garder ses cinq enfants. Mais ce n’est pas encore fini. Pour elle, ce n’était pas des tâches très difficiles à accomplir. En effet, un jour, un de ses enfants, âgé de 17 ans (mon grand-père), a été obligé de travailler dans les mines de charbon. Normalement, à cet âge, l’enfant devait faire des études, et non pas travailler dans des conditions pénibles. Bien qu’encore mineur, mon grand-père devait extraire du charbon 24 h sur 24. Comme c’était assez difficile pour lui, il a essayé de fuir, mais les autorités l’ont rattrapé et jeté en prison. Ce dur châtiment n’a pas été suffisant pour eux ; d’autres dangers devaient se présenter. Ainsi, tandis que mon grand père prenait son déjeuner, des agents russes sont venus et l’ont mené dans un compartiment de train sans rien lui dire. Il fut étonné de voir sa mère et les frères célibataires dans ce compartiment. Les frères qui étaient déjà mariés n’ont pas été déportés. C’était l’année 1949 quand il y a eu la deuxième vague de déportations. Les paysans étaient affectés de nouveau par ce fléau - les déportations. On avait le sentiment qu’une malédiction était tombée sur ce territoire. Les gens devaient supporter non seulement la famine des années 1946-1947, mais aussi la deuxième vague de déportations qui les ont conduits loin de leur pays natal vers des terres inconnues et étrangères. Combien de fois chacun dut tout reprendre à zéro !

Selon les dires de mon grand-père, ils ont voyagé en train 18 ou 19 jours comme s’ils allaient au bout du monde. Ils étaient entassés dans le compartiment sombre qui manquait d’air. Il faisait une chaleur infernale et régnait un désordre indescriptible. Après 19 jours, ils sont arrivés à Zaimka, une région où il y avait de la sécheresse, de la pauvreté ainsi que de la misère. Le petit village était peuplé par des Russes, très peu de Bessarabiens et plusieurs femmes allemandes réfugiées à cause de la guerre. Leur métier était de travailler la terre seulement pour survivre. Chaque personne le faisait même si elle était encore mineure.

Suite à une grave maladie, la mère de mon grand-père mourut. Les enfants restés orphelins habitaient dans une baraque en bois, les aînés devant garder les cadets. Mon grand-père me raconta qu’alors qu’il fauchait le blé, leurs chefs étaient cruels avec eux en les obligeant à ensuite mener paître les vaches. Après quelques années de lourds labeurs, on leur a permis de quitter la Sibérie mais à une seule condition : interdiction absolue de retourner dans le cher pays natal.

Tous ont été privés du grand bonheur de retrouver le territoire où ils étaient nés. Pendant 4 ans, la famille de mon grand-père a vécu à Berezino, une localité de l’Ukraine. Après ces années, ils ont renoncé à tout, même à leur maison qui avait été construite là-bas, et ce pour réaliser un seul vœu : retourner dans leur pays. En Bessarabie, ils ont trouvé non seulement l’hospitalité des gens mais aussi un lieu propice pour renouer, enfin, avec la vie qu’ils avaient quittée 10 ans auparavant. A leur retour, ils n’avaient plus que l’espoir qu’on les laisserait vivre en paix avec leur nouvelle famille formée sur des territoires étrangers.

Les déportations se sont terminées mais les souvenirs sont restés ancrés dans la mémoire de ceux qui ont été déportés. Ils gardent en eux encore la trace d’une profonde souffrance, même si ces événements tragiques se sont déroulés il y a plus de 50 ans. Ces gens ont porté ce fardeau pendant plus de 50 ans dans l’attente de jours meilleurs.

Relecture - Gilles Ribardière

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