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Le vin peut avoir un goût de liberté

Article de Henri Gillet

La Moldavie est l’un des principaux producteurs de vin d’Europe. Considérée comme la « cave de l’ex-URSS », avec la Géorgie et les républiques du Caucase, sa production était entièrement tournée vers les pays de l’Est. Les relations avec Moscou n’étant plus au beau fixe, ce secteur essentiel de l’économie moldave est menacé. Voilà comment naît le combat de David contre Goliath, des petits propriétaires indépendants contre les grosses coopératives parrainées par Moscou.

Mihai Sava et son ami Constantin Plamadeala sont voisins. Tous deux exploitent une parcelle de vigne. Et tous deux suivent avec attention les péripéties électorales de leur pays. Après une longue nuit de près de 70 ans à l’ombre du « protecteur » soviétique, guère interrompue par l’intermède de l’indépendance obtenue en 1991, la Moldavie hésite depuis deux ans entre le retour dans le giron moscovite et l’appel du grand large européen. Les urnes n’arrivent pas à trancher de manière claire.

Pour les deux viticulteurs, la question est vitale. Ils ont eu le culot de se lancer dans la production indépendante, défiant le monopole des mastodontes d’état qui ont la main mise sur la quasi-totalité du vignoble moldave, aux premiers rangs desquels les caves coopératives de Cricova, la plus grande d’Europe, et celle de Milestii Mici, qui dispose de la plus grande vinothèque au monde.

Avec elles, la Moldavie a été la plus grande cave de l’URSS, comme ses fruits et légumes en faisaient le plus grand jardin. La petite république avait été réduite à l’état de satellite agricole, chargé d’approvisionner l’empire qui commençait derrière les barbelés, à l’est de la ligne Oder-Neise. Une véritable rente de situation dont d’ailleurs elle ne se plaignait pas, sa population ayant un niveau de vie enviable par rapport à ses voisins, surtout celui de l’ouest, la Roumanie de Ceausescu.

Toujours le chantage du Kremlin

Mais la Moldavie paie aujourd’hui le prix de cette dépendance. Dès que le nouveau pouvoir, ouvert sur l’Europe, semble désireux de voler de ses propres ailes, Moscou menace de cesser son approvisionnement, comme ce fut le cas voici deux ans … Et la Moldavie n’a guère que ses ressources agricoles pour subsister.

Cricova et Milestii Mici, dans lesquels les hiérarques communistes d’aujourd’hui, dont la famille de l’ex-président et général du KGB Voronine, ont d’importants intérêts, se font volontiers l’auxiliaire de ce chantage. Persistance de leurs anciennes amitiés … Brejnev a été gouverneur de la République moldave avant de faire son chemin au Kremlin. Il revenait d’ailleurs de temps en temps soigner sa cirrhose à Cricova.

Isolés, les petits exploitants indépendants sont à la merci des coopératives, chargées de par la loi de commercialiser toute la production. Et cette législation ne leur permet pas non plus de se constituer en groupement pour défendre leurs intérêts. Alors, tant bien que mal, ils tentent de s’organiser, profitant du vent favorable qui souffle dans les allées du pouvoir à Chisinau. Une quinzaine d’entre eux se sont regroupés dans le vignoble de Ialoveni et essaient tout de même de mettre sur pied une fédération nationale de viticulteurs indépendants, comme cela est aussi entrepris dans d’autres régions. Une initiative courageuse car Milestii Mici et Cricova, dans le secteur, veillent… au grain.

Plaire au goût slave… mais aussi aux palais occidentaux

Comme leurs confrères, Mihai Sava et Constantin Plamadeala savent qu’ils doivent diversifier la commercialisation de leur vin, se tourner vers l’Occident, s’ils veulent desserrer l’emprise de Moscou… tout en étant conscient que la Russie, la Pologne, la République Tchèque et autres anciens pays de l’Est, resteront longtemps encore leurs principaux clients.

Mais ce virage n’est pas seulement une question de marketing. Les vins moldaves ont été fabriqués depuis des décennies pour plaire au goût des slaves. Surtout les rouges, lourds, sucrés. Rien à voir avec l’exigence des palais occidentaux, même si on trouve quelques bons vins secs. D’où une diversification à entreprendre, qu’il faut doubler en travaillant la qualité et la constance, lesquelles font souvent malheureusement défaut.

Constantin Plamadeala lie le développement de la Moldavie à celui de sa démocratie

Une véritable révolution à venir. Du voyage en Anjou, Mihai Sava et Constantin Plamadeala ont retenu qu’ils avaient besoin de coopérer avec les viticulteurs français pour la réussir. Ils ont été impressionnés par leur savoir-faire. Les deux amis ne veulent pas se cacher derrière leur petit doigt, comme trop de leurs collègues, qui mettent sur le compte du raisin ou du mauvais temps la mauvaise qualité de leurs produits. Ils savent que la technique et un bon matériel sont indispensables.

Chacun de leur côté, ils s’y mettent, même si la vigne ne suffit pas à les faire vivre. Ils cultivent aussi des fruits et légumes, et un ravissant potager entoure leur coquette maison, assurant avec la basse-cour et quelques animaux le quotidien de la subsistance de leurs familles.

Bière et cognac ont détrôné le vin

Maire démocrate de sa petite commune, Vasieni, Constantin Plamadea sait qu’il s’agit d’un vrai défi. Il y est habitué. Pendant cinq ans, il s’était exilé en Israël. Une expérience dure, qui ne lui laisse pas que de bons souvenirs, notamment sur la manière dont les Roumains et les Moldaves étaient considérés. Comme tous les villageois moldaves que l’on voit travailler le dos courbé à longueur de journée dans les champs, il paie de sa personne. Ce qui ne l’empêche pas de déborder de projets. Dernièrement, il a récupéré une ancienne cave de kolkhoze où il compte stocker ses cuves et du vieux matériel et, collectionnant les objets ayant trait à son métier, il envisage de constituer un musée consacré à la viticulture.

Le pari de ces viticulteurs indépendants est d’autant plus compliqué qu’il s’inscrit dans une période où le vin est passé de mode. Consommé par l’ensemble des Moldaves jusqu’à l’indépendance de 1991, on ne le voit pratiquement plus sur les tables des noces, banquets ou autres fêtes où il est remplacé par la bière, le rachiu (vodka) et le cognac local. Il faut donc convaincre la population de revenir à cette tradition, en jouant en outre sur deux tableaux : le goût d’autrefois… et celui de demain.

Ana Turcanu et son mari ont choisi la niche de l’apiculture

Toutes ces difficultés dictent une politique de prudence aux producteurs indépendants. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est ce que fait Ana Turcanu, elle aussi du voyage en Anjou et qui ne veut pas s’en laisser compter par les anciens communistes quand ils essaient de dorer la pilule de leurs compatriotes en leur susurrant « que c’était mieux autrefois ». A ses yeux, la liberté et la liberté d’entreprendre sont des biens trop précieux et trop chèrement acquis pour y renoncer. Courageusement, avec son mari, elle développe leur petite exploitation agricole familiale, près du village d’Horesti. On sent bien que les temps sont durs. Le couple a trouvé cependant un créneau complémentaire, l’apiculture. Il a installé des ruches dans la forêt et va y récupérer le miel, dont les produits dérivés, comme la propolis, aux vertus médicales appréciées, est très utilisé dans la région.

Entre la Russie qui menace de couper le gaz et l’Occident, les vivres

Gheorghe Malcoci, personnage imposant et également important, a su se reconvertir vers l’économie de marché. Ancien directeur de kolkhoze, il est devenu naturellement président de la coopérative des agriculteurs du secteur, laquelle regroupe environ un millier de familles de paysans. « En Moldavie, la notion de coopérative n’a pas provoqué le même rejet qu’en Roumanie après la Révolution… car chez nous, elles n’existaient pas et elle ne présente pas le même caractère obligatoire », explique-t-il.

Grâce à ses fonctions, Gheorghe Malcoci a pu voyager à travers le monde et observer : USA, Europe occidentale, dont Angers en mars dernier, etc. Tout naturellement, son attention a été attirée par les marchés porteurs, encore absents de Moldavie. Se retroussant les manches, il a décidé d’installer des serres et de se lancer avec sa femme, Maria, dans la commercialisation des plants de légumes, concombres, poivrons, tomates, etc., qu’il vend sur les marchés. En 2010, les résultats avaient été moyens, ce qui a amené le pépiniériste à revoir ses prévisions à la baisse pour cette année. Mal lui en a pris, car ses stocks ont été dévalisés au printemps. Pour que son activité se développe sur une plus grande partie de l’année, ses serres abritent aussi quantités de fleurs que l’on peut offrir en plein hiver, notamment au moment des fêtes, et aussi des espèces rares, plantes exotiques, tropicales, méditerranéennes, océaniques… de plus en plus prisées par ceux qui en ont les moyens, car les conserver revient cher en chauffage.

Fort de son expérience, Gheorghe Malcoci n’est pas loin de penser, comme nombre de ses compatriotes que, pour réussir, la Moldavie doit se prêter à un délicat exercice de funambulisme. Si elle tourne le dos à la Russie, celle-ci lui coupe le gaz et n’achète plus ses produits… si elle tourne le dos à l’Occident, ce sont l’UE, le FMI, la Banque Mondiale qui lui coupent les vivres !

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