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Les Moldaves face aux crises des années ’90

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On peut difficilement diviser les années 90 en périodes de crise - toute cette décennie a été l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire de la Moldavie. C’est à cette époque-là que le pays a « obtenu » le statut de « pays le plus pauvre d’Europe » qui se justifiait par des salaires très bas, payés avec beaucoup de retard, la pénurie de produits de toute sorte, le sous-développement de l’économie et le début de la migration.

Toutefois, dans les années 1990, on peut distinguer deux crises économiques qui ont été les plus profondes – celle des années 1991-’93 et celle de 1998. Ci-dessous, des témoignages des gens qui les ont vécues.

Les années 1991-1993 : sans électricité, inflation de 1280% et pénurie de produits

La période de crise a coïncidé avec les premières années de ma vie estudiantine. Comment l’ai-je ressentie ?

Tout d’abord, par le froid. Je me souviens qu’en rentrant de la bibliothèque universitaire, je tremblais de froid. Je portais un manteau et un bonnet, mais après les deux heures passées dans la salle de lecture, le froid pénétrait mes os, car la bibliothèque n’était pas chauffée… Mais je n’avais pas le choix- les examens approchaient et l’Internet et les téléphones portables n’étaient pas accessibles à l’époque, tandis que j’avais une liste de livres à lire.

A la différence d’autres endroits, dans les dortoirs universitaires, l’électricité n’est pas débranchée et il y avait du chauffage.

La vie était totalement différente à Chișinău de celle qu’on menait dans la province. Les prix étaient énormes. Les 50 lei qui constituaient ma bourse d’étudiante me suffisaient pour m’acheter un pain tous les quatre jours. Avec les trois autres filles avec lesquelles je partageais une chambre dans le dortoir, nous nous sommes arrangées pour acheter du pain à tour de rôle. Parfois, je me permettais de m’acheter une glace.

Les week-ends, je prenais le train Chișinău-Ocnița, avec d’autres étudiants originaires du nord de la Moldavie. En fait, on le prenait d’assaut, car il fallait faire de son mieux pour y monter. Le train était le plus populaire moyen de transport à cette époque-là - le billet de train coûtait 4 roubles, une somme que même les étudiants se permettaient, mais les billets de bus coûtaient quatre fois plus cher.

Nous, les étudiants, nous rentrions chez nos parents tous les samedis pour « faire le plein » de denrées - des tartes, des légumes frais et conservés, de l’huile, etc. Parfois, « j’avais la chance » de ne pas avoir de siège dans le train. Cela voulait dire quatre heures debout, l’œil sur mon sac à denrées pour qu’on ne me le prenne pas « par hasard ». C’étaient mes provisions pour une semaine qu’il fallait consommer « stratégiquement ».

Le voyage en train de Chișinău à Fălești durait quatre heures. On y arrivait le soir, quand l’électricité était déconnectée. J’annonçais mon arrivée à ma mère depuis un téléphone public fonctionnant avec des jetons. Maman descendait avec une lampe de poche pour m’accueillir au bas de l’escalier.

Sur la table de la cuisine, il y avait toujours une cruche avec des cierges en cire, préparées pour les heures sans lumière. Plus tard, on s’est procuré une lampe à gaz. C’étaient les seules sources de lumière après le coucher du soleil.

Nous mangions à la lumière des cierges et parlions de tout. Romantique, diraient certains. Que c’est triste, diraient des autres…

Une lampe à gaz alimentée avec … de la gazole

A Leova, les coupures de courant se faisaient généralement après 18h00, pour environ deux heures. « Je me souviens que maman, papa et moi, nous nous réunissions autour de la table à 18h00 et nous jouions aux cartes jusqu’à ce que la lumière se rallume, parce qu’on ne pouvait pas faire autre chose », se rappelle Svetlana Buruiană, en souriant.

À l’époque, elle était une jeune enseignante d’histoire. A la vue d’une lampe à gaz, elle sourit toujours. « Manque de gaz, papa y mettait de la gazole et ajoutait un peu de sel pour que cela ne fume pas », raconte-t-elle.

Le sac d’or

La pénurie de produits alimentaires, mais surtout de pain, a été un autre élément emblématique de la crise des années 90. « Mes parents étaient à la retraite. Papa se levait à 4 heures du matin pour aller faire la queue à la boulangerie. Surtout qu’une personne avait le droit d’acheter deux pains tout au plus. Ma mère, une ancienne employée d’une usine de panification, avait reçu un sac de farine - son salaire en nature. Pour nous, ce sac de farine était comme l’or, car maman cuisait du pain et papa n’avait plus à faire la queue à 4 heures du matin pour en acheter », se souvient Svetlana.

Le premier salaire de Svetlana a été de 180 roubles. Avec cet argent, la jeune femme s’est acheté un imperméable blanc. Ce commencement lui a semblé assez prometteur. « Mes parents avaient de l’argent sur un compte bancaire, raconte Svetlana, et ils m’ont aussi ouvert un compte à dix mille roubles. « Pour ton mariage », m’avait dit papa. Personne ne savait que du jour au lendemain, l’argent allait se déprécier. Les dix mille sont devenues juste mille », raconte Svetlana.

Quand les coupons moldaves ont été lancés en juin ‘92, la jeune femme ne pensait plus aux vêtements. « Nous avons vécu des jours quand il n’y avait pas de pain dans la maison et ma mère devait faire des galettes. Au lieu des pensions, les retraités recevaient des conserves, de la farine, par exemple, des chaussures en caoutchouc… Bref, tout ce qu’on trouvait dans des dépôts oubliés était utilisé pour payer en nature les pensions de retraite ».

Les employés du secteur public et les habitants des villes ont été touchés le plus par les difficultés. Le fait qu’ils aient des légumes conservés dans leurs caves et des animaux domestiques dans la cour a beaucoup aidé les gens des villages.

Les affaires dans les années ’90

Tandis que la plupart de Moldaves s’efforçaient à faire face à la crise économique, certains avaient lancé des affaires. Alexandre était parmi eux. Il a commencé par le commerce. « J’ai acheté en Ukraine environ quatre tonnes de peinture blanche que j’ai fait transporter en Roumanie en bateaux à rame. J’ai échangé ce lot à Tecuci pour sept mille écharpes grecques. Elles étaient magnifiques, certaines - blanches et noires, mais la plupart étaient d’autres couleurs. J’en ai vendu la moitié à Moscou et l’autre moitié – dans la ville d’Oriol  », raconte Alexandre qui reconnaît qu’à cause du manque d’expérience cette affaire ne lui a pas apporté grand-chose.

Mais cela ne l’a pas découragé. Il a acheté un gros lot de pénicilline et d’onguent antifongique. « Nous en avons vendu une partie dans les pharmacies de chez nous. La pénicilline se vendait pour 4 lei, soit un dollar à l’époque, mais nous l’achetions pour 22 cents. L’onguent était encore moins cher. Je ne me souviens plus du prix exact, mais la différence entre le prix d’achat et celui de vente était vraiment grande. Et nous avions acheté une très grande quantité. Une partie de médicaments ont été livrés à Moscou. Encore une fois - expérience échouée. Les Russes nous ont dit que les médicaments n’avaient pas été stockés correctement », se souvient Alexandre.

Selon lui, au début des années 1990, chaque affaire sérieuse avait un soi-disant « protecteur » (à qui l’entrepreneur payait une certaine somme pour jouir de « protection »). Certains avaient compris que c’était une bonne possibilité de gagner facilement de l’argent. « Ce fut vraiment une période très trouble », considère Alexandre. Il affirme ne pas avoir eu de « protection », raison pour laquelle il a dû affronter des gens dangereux. « Nous transportions du vin en Russie dans des camions-citernes de 11 tonnes. J’ai eu du retard à payer pour un lot de vin acheté à Strășeni et c’est alors que des fripons m’ont visité… »

L’an 1998 : la chute de la monnaie moldave, la crise énergétique, des arriérés au payement des salaires

L’appartement raté

La crise financière en Russie a eu un impact indirect sur les plans de Svetlana Buruiană. « Mes parents avaient de l’argent, qu’ils gardaient à la maison. C’était pour m’acheter un appartement à Leova  ». Elle avait trouvé le studio parfait et le budget nécessaire, mais son plan a été renversé quand, « du jour au lendemain », la valeur du dollar a doublé. « Je ne pouvais plus m’acheter d’appartement, car l’argent n’avait plus la même valeur qu’avant », se souvient Svetlana.

Sans électricité et dans le froid

Fin novembre 1998, la Moldavie a été confrontée à une crise énergétique. La centrale électrique de Kouchurgan, située en Transnistrie, a cessé de fournir de l’électricité sur la rive droite du Dniestr. C’était une réaction de Tiraspol au refus de Chisinau d’accepter le quasi-doublement du prix de l’électricité. L’Ukraine avait, elle-aussi, considérablement réduit les livraisons d’électricité à la Moldavie. D’autre part, les trois centrales électriques de Moldavie ne couvraient qu’environ 30% des besoins. Par conséquent, il y avait des déconnexions quotidiennes avec la durée totale de 6 à 14 heures.

Irina Fală (nom changé) a travaillé toute sa vie dans une bibliothèque du nord de la Moldavie. Les années 90 n’ont pas été faciles pour elle, non plus. Le salaire était payé avec du retard et on ne lui a jamais proposé de le lui payer même en nature. Les produits étaient chers. Le système de chauffage centralisé ne fonctionnait plus et il y avait des coupures dans la livraison de l’électricité. Dans ces conditions-là, on a commencé à construire des poêles à ventre dans les appartements. La famille d’Irina a fait pareil. « Je suis désolée de ne pas avoir pris de photo de cette poêle-là. Je me souviens du long tuyau qui traversait tout l’appartement, avant de sortir dehors. Quand on allumait le feu, il devenait rouge. C’était assez dangereux, mais on n’avait pas de choix  », dit-elle.

Les crises qui avaient atteint la Moldavie après la proclamation de son indépendance ont endurci les Moldaves. Par conséquent, ils ont affronté plus habilement les crises ultérieures. « Nous n’avons pas ressenti la crise provoquée par la pandémie. Dans les magasins, il y avait tout ce qu’il nous fallait. En plus, les gens avaient de petites économies », dit Svetlana Buruiană.

Les problèmes énergétiques, la hausse des prix, l’inflation qui dépasse 30% et l’augmentation des tarifs à cause de la guerre en Ukraine marqueront certainement les indicateurs économiques de 2022 et, très probablement, de 2023. Qui sait quelle sera la profondeur des empreintes de cette nouvelle crise…

D’après un article de Diana Preașcă publié sur https://www.moldova.org/cum-au-trecut-moldovenii-crizele-anilor-90/

Le 16 octobre 2022

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