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La farce des élections en République Soviétique Socialiste Moldave

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Afin de donner un air de démocratie à la gouvernance de Bessarabie, prise par la force le 28 juin 1940, puis le 23 août 1944, mais aussi pour garder le pouvoir, le régime communiste de l’URSS recourrait régulièrement à « la mise en scène » des élections des soviets locaux et centraux.

La population de la République Soviétique Socialiste Moldave (RSSM) était appelée à voter pour le « bloc inébranlable des communistes et des candidats sans appartenance politique », constitué généralement de la nomenklatura. En même temps, on plaçait judicieusement dans les listes un ouvrier ou un kolkhozien, le plus souvent illettré et endoctriné de marxisme-léninisme. Ainsi, le scrutin était très bien « mis en scène » avec manque de candidatures alternatives et le résultat était toujours celui escompté par la gouvernance : 99,9% des électeurs votaient pour l’unique candidat de la liste.

Cependant, dès les premières élections soi-disant libres qui ont eu lieu en 1946, le régime communiste a rencontré des difficultés qui se concrétisaient par une certaine opposition par rapport aux élections. Tous les habitants de la Bessarabie ne se sont ainsi pas laissés duper par des slogans populistes riches en mensonges et en promesses vides. Le mécontentement de la population était tant d’ordre politique (on protestait contre l’occupation du 23 août 1944, le manque de pluralisme, etc.), que social (carence en produits élémentaires, tarifs exagérés, etc.).

Ceux qui faisaient de la propagande contre les élections dites démocratiques étaient emprisonnés

Les gens se souvenaient encore des élections tenues avant 1940, avec la participation de plusieurs partis politiques et candidats, ainsi que de la vie qu’on menait à cette époque-là. Certains exprimaient leur mécontentement en public, d’autres par des tracts distribués localement ou glissés dans les urnes, et d’autres encore détruisaient les affiches électorales, etc. Mais la plupart de ceux qui osaient faire ça terminaient leur action au goulag…

Surveillés par les organes de la sécurité

Assurer le succès des élections était une des plus importantes ambitions du régime. Or, les communistes ne pouvaient paraitre légitimes que par le « vote démocratique » des citoyens. Voilà pourquoi, ce sujet faisait l’objet de réunions spéciales du Comité Central du Parti Communiste de Moldavie (PCM) convoquées bien avant les élections. On y approuvait les listes des candidats, ainsi que les programmes détaillés des activités de propagande, de même que les listes des responsables désignés dans chaque district. De leur côté, les comités du Parti Communiste avaient l’obligation de dresser leurs propres programmes de mise en œuvre des directives émises par les organes supérieurs, et ceci à tous les niveaux : districts, entreprises, institutions diverses, kolkhozes et sovkhozes.

Le NKVD et le Commissariat à la Sécurité d’Etat avaient la mission d’aboutir aux résultats électoraux escomptés. Ces organes-là de répression étaient chargés de la surveillance de l’état d’esprit de la population et des discussions entre les gens, signalant ensuite toute déviation par rapport à la politique officielle du parti et tout incident intervenu avant ou pendant les élections. En fonction du contenu de ces rapports, le PCM ajustait sa tactique. Toute chose inhabituelle qui se passait avant les élections était qualifiée d’action dirigée contre le pouvoir soviétique, de propagande antisoviétique ou de sabotage des élections. Ainsi tout heurt, même banal, entre des gens simples et un activiste était qualifié de tentative d’acte terroriste. Et le « coupable », qui n’était bien sûr jamais l’activiste, était condamné au goulag.

La participation aux lectures publiques était une des prétendues mesures démocratiques, en fait obligatoires pour tous les citoyens, et lors desquelles on étudiait la législation électorale, la Constitution de l’URSS, ainsi que celle de la RSSM. Ces lectures publiques représentaient aussi une opportunité pour promouvoir les candidats.

Les premiers rapports du NKVD

Les élections pour le Soviet Suprême de l’URSS qui ont eu lieu le 10 février 1946 ont représenté la première épreuve du régime communiste après le 23 août 1944. C’est justement de cette époque-là que datent les premiers rapports des organes de la sécurité sur l’état d’esprit de la population et les incidents liés aux élections.

Dans un rapport daté du 10 janvier, le NKVD signalait l’intensification des actions antisoviétiques, des tentatives de bloquer les élections, la destruction des affiches électorales, des insultes adressées aux candidats, des tentatives d’actes terroristes…

Un rapport disait que le 26 décembre 1945, Feodor Buzurniuc, responsable du cercle au village de Ţepilova pour l’étude de la législation électorale, aurait déclaré : « Vous n’avez pas besoin de connaître la législation électorale. Rentrez chez vous ». Et les paysans se seraient tout de suite dispersés. Gheorghe Stamati du village de Susleni aurait dit quant à lui à ses villageois : « Il ne fait pas aller voter. Nous avons combattu, mais nous n’avons pas de pain. Les communistes sont venus et nous ont pillés ». Dans le rapport il était dit aussi que Gheorghe Stamati avait été emprisonné.

Un autre rapport, daté du 8 février, signalait que le 17 janvier 1946 les habitants du village de Scorţeni avaient été « invités » à une conférence électorale pendant laquelle une des femmes présentes, Ecaterina Pistrui, s’est exclamée en disant : « Vous nous dites des bêtises et incitez les paysans à voter pour le pouvoir soviétique qui a des lois diaboliques. Comment voulez-vous qu’on vote pour ce pouvoir soviétique qui nous a laissés sans pain, affamés et loqueteux ? Vous nous parlez des semailles, mais vous nous avez privés de semences, de céréales et d’animaux. Qu’est-ce que le pouvoir soviétique nous a donné ? » Ecaterina Pistrui a lancé un juron, puis elle est sortie de la salle et son frère l’a suivie. Tous les deux ont été arrêtés.

Les Roumains, les Allemands et les Anglais vont venir

Dans le cadre du cercle d’étude de la législation électorale, un habitant du village de Chiţcani, Evdochim Ostap, a dit : « Nous n’avons pas besoin d’apprendre la législation des élections, ni celle sur le gouvernement soviétique. Nous n’avons pas besoin de Constitution soviétique, car le pouvoir soviétique n’existera pas longtemps en Bessarabie. » Après cela il a sans doute été arrêté aussi.

Dans le village de Palanca, V. Tonalu aurait quant à lui proclamé : « Le pouvoir soviétique ne persistera pas en Bessarabie. Il a pillé la population et il ne faut pas voter pour ce pouvoir. Une nouvelle guerre va bientôt éclater et ceux qui vont voter auront à expliquer leur action devant les Roumains et les Allemands. »

Les organes de la sécurité ont identifié dans le village de Pohrebeni une paysanne, N. Boico, qui exécrait le pouvoir soviétique et ne voulait pas prendre part aux élections. Elle avait proféré que « Le pouvoir soviétique va tomber. Les Anglais vont venir et ils instaureront leur gouvernance ».

Dans le village de Varzaresti, une personne qui n’a pas été identifiée car elle s’est cachée, aurait déclaré après les cours de législation électorale : « En Union Soviétique, la démocratie n’existe que sur le papier. Si l’on veut proposer un candidat, il n’est pas enregistré. On doit obligatoirement voter pour les candidats bolchéviques, autrement on finit en prison ».

Des affiches électorales déchirées et des documents détruits

Mécontents du gouvernement et des supposées élections libres, beaucoup d’habitants de la Bessarabie manifestaient leur désaccord, utilisant divers moyens. Certains détruisaient les symboles du régime et les supports électoraux.

La nuit du 20 décembre, puis celle du 22 décembre 1945 par exemple, on a ainsi détruit les affiches et les slogans électoraux dans le village de Fagadau. Un incident similaire a eu lieu le 23 décembre 1945 dans le village de Carpineni, tandis que dans le village de Girbova on a volé les documents relatifs aux élections.

Dans les villages de Ferapontievca, Tataraşti et Verejeni on a saccagé les photos des membres du Comité Central du PCUS et des candidats aux élections.

Contre Staline, mais pour le Roi Mihai I

La diffusion de tracts juste avant les élections ou le jour même du scrutin, était une des formes les plus fréquentes de protestation contre le régime, ainsi que contre la farce des élections.

Par exemple, un tract diffusé dans la localité d’Otaci appelait la population à ne pas voter pour les candidats au Soviet Suprême et dans le village de Hadarauţi, le nom de Staline a été effacé d’une affiche électorale.

A Ocnita, sur un panneau électoral qui invitait la population à voter pour le « Bloc des communistes et des candidats sans appartenance politique », quelqu’un avait ajouté « et pour le Roi Mihai 1er ! ».

Le 1 janvier 1946, dans le village de Jora de Jos, deux tracts antisoviétiques avaient été collés sur une maison : un en roumain, l’autre en russe. Juste avant, le soviet local avait reçu une lettre de menace qui était écrite de la même main que les tracts, mais qui avait été envoyée de Chisinau.

Le jour des élections, les organes de la sécurité devenaient particulièrement actifs. On écrivait des rapports toutes les deux heures. Par exemple, dans un rapport fait à midi dans le village de Cocieri, NKVD informait les autorités centrales que « l’habitante Savva, ayant reçu le bulletin de vote, l’a déchiré publiquement et a quitté le bureau de vote ».

« A bas l’idiotie communiste ! »

Né en 1911 dans le village de Frumusica, Dumitru Clim y a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans et a travaillé aux côtés de ses parents. En 1935, il a été enrôlé dans l’Armée Roumaine. Puis il est rentré dans son village en 1937, avec le grade de sergent.

Le jour des élections, Dumitru Clim était de service auprès du soviet local. A un moment quand il été tout seul au siège du soviet, il a écrit sur une feuille : « A bas l’idiotie communiste ! A bas les dirigeants barbares ! Vive la nouvelle révolution et le futur parti ! » Il a plié la feuille et l’a cachée dans sa manche. Il a très vite parcouru les 400 mètres entre le soviet local et l’école, où se tenait le bureau de vote et, sans même entrer dans la cabine de vote, il a habilement collé sa feuille au bulletin de vote avant de le glisser dans l’urne.

Après avoir ouvert l’urne, les membres de la commission électorale ont sans doute transmis le bulletin aux organes de la sécurité. Après de nombreuses investigations et à partir d’expertises graphologiques, l’auteur du tract a été identifié. En juillet 1946, des collaborateurs des services spéciaux, accompagnés par deux activistes du village, sont venus l’arrêter, mais Dumitru, profitant de l’obscurité, a réussi à s’enfuir. On a tiré sur lui, heureusement sans le blesser.

Après cet événement il a vécu deux ans en clandestin mais en 1948 il est rentré chez lui et le président du soviet local l’a alors dénoncé. Le 6 juillet 1948, la Cour Suprême de la RSSM a condamné Dumitru Clim à dix ans de travail correctionnel et l’a déchu de ses droits civils pour une période de cinq ans. Le 14 septembre 1955, après avoir travaillé sept ans à la construction du canal Volga-Don, Dumitru Clim a été libéré.

Il a été réhabilité le 19 août 1996.

Article de Mihai Tasca repris sur le portail http://adevarul.ro/moldova/politica/arhivele-comunismului-farsa-alegerilor-rss-moldoveneasca-galerie-foto-1_51b02b60c7b855ff56626d8f/index.html

Traduit pour www.moldavie.fr

Relecture - Didier Corne-Demajaux.

Le 19 juillet 2013

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