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Petru Negura, un sociologue moldave qui s’acharne à éplucher l’histoire

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Article de Gilles Ribardière

Nous avons eu l’occasion ici même de rendre compte de l’ouvrage de Petru Negura « Ni héros, ni traîtres. Les écrivains moldaves face au pouvoir soviétique sous Staline ».

A l’heure actuelle, il séjourne à Paris pendant un mois en tant que professeur invité par l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). A ce titre, il est l’hôte officiel du gouvernement français.

Petru Negura pendant sa conférence à EHESS

Nous avons pu nous rencontrer et échanger sur sa conception du travail d’un chercheur en sciences sociales. Ce qui est intéressant dans le parcours de Petru Negura, c’est sa formation de sociologue, mais mise au service de travaux de recherches qui intègrent la dimension historique. Ceci peut expliquer qu’il ait pu être membre en 2010 de la Commission présidentielle pour l’étude du régime totalitaire communiste en Moldavie, et que ses thèmes de recherches puissent être notamment : sociologie des intellectuels en Union Soviétique ; sociologie et histoire sociale de l’enseignement public en Roumanie et en URSS (1918-1956) ; sociologie et histoire sociale des services sociaux en Union Soviétique durant la période communiste et post-communiste.

Petru Negura et Anne-Marie Thiesse (sa directrice de thèse) dans la cour de l’Ecole Normale Supérieure

Petru Negura est donc tout à fait qualifié pour porter un regard critique sur la situation de la recherche historique en Moldavie. Ainsi entend-il souligner l’effet positif de la mise en place de la Commission présidentielle pour l’étude du régime totalitaire communiste en Moldavie : elle a été l’occasion d’une ouverture, au profit des chercheurs, d’une masse considérable d’archives qui jusque là n’étaient pas accessibles.

Il est en revanche beaucoup plus critique s’agissant de la conduite des investigations de la commission. Elle regroupait en effet des chercheurs de sensibilités différentes, et en particulier ayant une approche du travail scientifique divergente. Ainsi estime-t-il qu’une partie d’entre eux engageaient leurs analyses avec de forts présupposés : il fallait que tout converge sur le point de vue le plus négatif relatif à la période soviétique. C’est ce qui transparaît, selon lui, dans la brochure diffusée à l’issue des travaux de la dite commission. En revanche, il donne plus de crédit au rapport édité par deux des vice-présidents de la commission, Igor Casu et Sergiu Musteata (Fără termen de prescripţie. Aspecte ale investigării crimelor comunismului în Europa (Sans terme de prescription. Aspects de l’investigation des crimes du communisme en Europe), Chisinau, Ed. Cartier, 2011)).

De son côté, il estime que la recherche doit avant tout s’appuyer sur une recension et analyse objective des faits et éviter qu’elle soit instrumentalisée par le pouvoir, ce qui manifestement s’est passé en Moldavie. Mais je retiendrai de notre échange sur ce thème combien il estime positif la mise à disposition des chercheurs des archives, en particulier du KGB.

L’autre axe de notre entretien a porté sur la question du traitement par les chercheurs de l’Holocauste. Je retiens de ses propos que le thème reste encore peu traité dans son pays, sachant toutefois que des travaux importants voient le jour. Il cite à cet égard ceux de Diana Dumitru, qui nourrit ses recherches de la même façon que Petru Negura, en y intégrant des sources orales. Je signale qu’un article importants de Diana Dumitru, publié en anglais dans les « Yad Vashem Studies » aux Etats-Unis, a fait l’objet d’une publication en français dans le numéro de janvier/juin 2011 de la revue d’histoire de la Shoah sous le titre « L’attitude de la population non-Juive de Bessarabie et de Transnistrie envers les Juifs pendant la Shoah ; le point de vue des rescapés ». Il mentionne un autre chercheur, Vladimir Solonari, auteur d’un ouvrage en langue anglaise : « Epurer la nation. Echanges de populations et purification ethnique dans la Roumanie alliée des Nazis. On note que depuis son émigration aux Etats-Unis au début dans les années 1990, les positions de cet auteur sont devenues plus équilibrées, malgré son engagement politique à la fin des années 1980, début des années 1990.

Petru Negura dans la bibliothèque de l’Ecole Normale Supérieure

Une des difficultés que note globalement Petru Negura pour conduire des recherches historiques tient à la quasi-impossibilité d’avoir accès aux archives détenues à Tiraspol (dont le sort reste obscur jusqu’à nos jours).

Il n’empêche, des recherches sont conduites en la matière, avec des collègues de l’Ukraine par exemple, comme en témoigne la publication à venir aux Editions Cartier des actes d’un colloque consacré à la seconde guerre mondiale (Al Doilea Război Mondial : memorie și istorie în Estul și Vestul Europei (La Seconde Guerre Mondiale : mémoire et histoire dans l’Est et l’Ouest de l’Europe), Chisinau, Ed. Cartier, 2013).

Petru Negura appartient à une génération d’universitaires qui a vécu la chute du mur de Berlin et la fin de l’Union Soviétique sans avoir personnellement souffert dans sa chair des exactions de ce régime. Ainsi peut-il conduire ses recherches avec un recul suffisant, recherchant les faits tels qu’ils se sont passés.

Il a plusieurs projets pour les années à venir sur des thématiques riches de potentialité : l’histoire sociale de l’école primaire en Bessarabie et Transnistrie, les changements des pratiques et des mentalités sous la perestroïka, le genre et la modernité au XXe siècle dans l’Europe de l’Est.

Souhaitons que ses contributions nous parviennent en langue française !

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