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L’émigration en héritage

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Lassées par les promesses gouvernementales, fatiguées par le travail mal payé, déçues par les prix élevés des produits alimentaires, les premières femmes moldaves sont parties travailler en Russie, en Turquie ou en Italie juste après la proclamation de l’indépendance de la Moldavie. Entre temps, leurs filles, élevées par les grands-parents, ont grandi et ont suivi leurs mères, dans les mêmes pays. Alors que certaines mères sont revenues, leurs filles ont décidé de rester travailler à l’étranger. Et c’est ainsi qu’une génération de femmes migrantes a donné naissance à une autre génération de femmes migrantes.

La première vague de la migration à partir de la Moldavie a commencé en 1997, six ans après la proclamation de l’indépendance du pays. Emilia Deleu est une des centaines de milliers de femmes moldaves qui sont parties travailler en Russie pour pouvoir nourrir leurs familles.

Emilia Deleu : Chişinău - Moscou

Avant de migrer, Emilia a travaillé à la fabrique de conserves de Cupcini, avec un salaire de 180-220 roubles. « Avec deux ou trois salaires, on pouvait s’acheter une TV ou un réfrigérateur  », se souvient-elle. Son mari, Marcel, travaillait dans la même fabrique, mais, en 1993, la fabrique de Cupcini, la source d’existence pour les Deleu, a été fermée. Marcel a trouvé un emploi dans une ferme de vaches, quant à Emilia, elle travaillait son jardin : elle cultivait des légumes qu’elle livrait à la fabrique de conserves de son village. Mais la situation économique en Moldavie s’aggravant de plus en plus, les salaires n’étaient pas payés pendant des mois. Emilia et Marcel décident alors de partir travailler à Moscou. Ils ont trouvé du travail dans la construction, comme la plupart des migrants moldaves. Leurs deux filles sont restées avec leurs grands-parents.

Les Deleu avec leurs deux filles, Alina et Agnesa

« Tout au début, nous faisions des économies pour rénover notre maison, puis –pour payer les études de nos enfants, car, en 2008, Alina a été admise au collège à Chisinau et il fallait payer le loyer, plus les dépenses quotidiennes, le transport », se souvent Emilia, après 21 ans de travail à Moscou.

Alina part pour Moscou

En 2011, Alina a fini ses études au collège et elle a rejoint ses parents à Moscou. Pendant six mois, elle a travaillé dans un magasin, après quoi elle est rentrée, avec son mari, en Moldavie. Avec leurs économies et à l’aide des parents, le jeune couple a acheté une voiture et un appartement à Chisinau. Ils se sont mis à la recherche des emplois, mais les salaires étaient trop petits. Le mari d’Alina a alors décidé de rentrer à Moscou pour travailler dans la construction. Alina, enceinte, est restée à Chişinău où elle a donné naissance à un garçon. Quand l’enfant a eu cinq mois, elle a rejoint son mari à Moscou. «  J’’i quitté la Moldavie, parce que mon mari me manquait. Il ne voyait pas notre enfant grandir. Nous souhaitions être ensemble  ».

Alina

Quand son fils a eu trois ans, Alina s’est fait embaucher comme vendeuse avec un salaire d’environ 500 Euros, car son diplôme d’études n’était pas reconnu sur le marché du travail en Russie.

A l’été 2017, la Moldavie a perdu trois citoyens - Alina, son mari et son fils ont renoncé à la nationalité moldave et ont pris la nationalité de la Fédération de Russie (la Russie n’accepte pas la double nationalité). Toutefois, Alina aimerait aller, avec sa famille, vivre dans un pays d’Europe : « Nous allons essayer autre chose. Peut-être, existe-t-il de meilleurs salaires ailleurs, de meilleures écoles. Si on est à Moscou, cela ne veut pas dire que nous y resterons toute notre vie. Nous devons évoluer ».

Quant à Emilia et Marcel, ils travaillent toujours en Russie. Ils passent de brèves vacances en Moldavie et ils ont fait des démarches pour obtenir la nationalité de la Fédération de Russie.

Ecaterina Ianulova : Gagaouzie – Turquie

Ecaterina Ianulova, 66 ans, est une autre protagoniste de la migration, destination Gagaouzie-Turquie. En 2000, après 20 ans de travail dans une ferme à cochons de son village, ils ont dû partir, elle et son mari, Dumitru, car la ferme avait été fermée. La plupart des gens de leur village travaillaient déjà en Turquie, se construisaient de jolies maisons, aidaient leurs enfants et même se permettaient des vacances. Ecaterina voulait elle-aussi se faire rénover la maison. « Nous avons été embauchés dans une famille, mon mari travaillait dans le jardin, moi - dans la maison  ». Bientôt, leurs deux fils avec leur femme sont à leur tour partis travailler en Turquie.

Ecaterina et Dumitru

Cependant, l’âge a ses caprices : en 2013, Dumitru est tombé malade et, ne pouvant plus travailler, est rentré chez lui et Ecaterina a dû le rejoindre. Son emploi a été repris par sa fille de 33 ans, Svetlana, dont les deux filles sont restées avec leur grand-mère, Ecaterina.

Les grands-parents et les petites-filles

Maintenant, elles se parlent par skype, les larmes remplaçant souvent les paroles… Le seul sujet qui leur remonte le moral est celui des vacances qu’elles ont l’habitude de passer ensemble en Turquie.

Trois femmes de la famille Gurghiş sont parties pour l’Italie

En 2011, Ecaterina Gurghiş, 55 ans, a démissionné de sa fonction de directrice de l’école de Sadova (village natal du président pro-russe, Igor Dodon) pour aller travailler en Italie. « Tout au début, je suis partie pour 60 jours, j’avais pris un congé non-payé. J’étais épuisée, j’avais besoin de détente. Là-bas, des amis, originaires de notre village, m’ont proposé de rester pour soigner un couple de vieux. Ma fille, Valeria, établie en Italie depuis 2005, insistait elle-aussi que je reste, car, me disait-elle, les efforts que je faisais à l’école n’étaient pas appréciés », raconte Ecaterina.

Ecaterina Gurghiș

Sa fille, Valeria, a elle-aussi une formation en pédagogie. Diplômée d’une Ecole Normale, elle a été admise à la Faculté de langue et littérature roumaine de l’Université « Ion Creanga » de Chisinau. Mais en 2005 elle s’est mariée et le jeune couple a décidé de partir en Italie. Depuis, elle travaille comme femme de ménage dans une famille d’Italiens.

Le problème de la langue

« L’emploi qu’on m’avait proposé était à Trévise, un petit village de 2 000 habitants qui parlent un dialecte. Quand je me suis présentée dans la famille, je leur ai dit que j’étais venue travailler, pas faire des discours, comme à l’école ! », se souvient Ecaterina, en s’amusant. Elle a cependant assez vite appris l’italien et elle travaille toujours en Italie.

Virginia, la fille cadette d’Ecaterina, est enseignante, elle-aussi. Elle s’est mariée en 2011 et ne pensait pas quitter la Moldavie. « Bien que le travail des enseignants soit vraiment nécessaire, il est mal payé. Le salaire ne te permet pas d’entretenir ta famille. Sergiu, mon gendre, est parti le premier. En Allemagne tout d’abord, puis en Angleterre », raconte Ecaterina.

En 2015, Virginia et sa famille se sont installés en Italie, dans la localité où travaillait sa mère. « Virginia travaille dans plusieurs familles - elle fait la cuisine, le ménage. Le gendre a lui-aussi un salaire, grâce à quoi leurs enfants fréquentent de bonnes écoles, divers cercles, des clubs. La vie est tout à fait différente là-bas. On travaille beaucoup, mais on est récompensé, on peut donner aux enfants ce dont ils ont besoin  », c’est, d’après Ecaterina, le motif pour lequel ils ont choisi de travailler en Italie.

Le salaire mensuel en Moldavie comparé au salaire en Russie, en Italie et en Turquie

Le motif principal qui a fait partir ces femmes à l’étranger, quelle que soit la destination choisie, a été le manque d’opportunités d’emploi et les salaires qui ne leur permettaient pas de couvrir les besoins. Selon les données du Bureau national des Statistiques, le salaire mensuel moyen brut est de 5 697 Lei (280 Euros) et le minimum de subsistance – de 1 866 Lei (92 Euros), tandis qu’en Italie, par exemple, le revenu mensuel moyen est de 2 426 Euros, en Russie – de 543 Euros et en Turquie – de 312 Euros, selon Trading Economics 2014-2018.

D’après un article de Liliana Botnariuc, publié sur https://www.zdg.md/editia-print/social/migratie-prin-mostenire-rusia-turcia-italia

Le 12 octobre 2018

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