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Patricia Kopatchinskaja vient de nulle part

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La violoniste moldave pulvérise les canons d’interprétation dans son premier disque, paru chez Naïve.

Interview par Matthieu Chenal Berne

Patricia Kopatchinskaja tranche dans l’univers feutré du classique. La bouillonnante violoniste moldave vit à Berne, joue souvent pieds nus, se frotte parfois au jazz à Montreux et vit l’interprétation comme une recréation. Rencontre dans sa ville d’élection, à propos de son récent disque, enregistré avec le pianiste turc Fazıl Say.

Vous venez de recevoir le Prix artistique de la ville de Berne, où vous résidez. Quel a été votre parcours depuis votre Moldavie natale ?

P.C. – Nous avons quitté la Moldavie avec mes parents dès l’ouverture des frontières en 1990. Je suis arrivée à Vienne, où j’ai passé une dizaine d’années. Je suis ensuite venue à Berne, car j’avais obtenu une bourse pour y étudier. J’ai toujours rêvé de baser ma vie dans une grande capitale, mais je suis tombée amoureuse à Berne, et j’y suis restée. Et comme je voyage sans cesse, Berne est le lieu idéal pour décompresser, recharger mes batteries.

La Moldavie est un pays européen dont on ne sait presque rien. Que pouvez-vous nous en dire ?

P.C. – C’est intéressant de venir de nulle part, non ? (Eclat de rire.) Le violoniste Ivry Gitlis, en m’écoutant jouer, n’arrivait pas à savoir d’où je venais ! Plus prosaïquement, la Moldavie a connu tour à tour la domination des Roumains et des Russes, et les deux n’étaient pas mieux l’un que l’autre. Aujourd’hui, c’est un pays parmi les plus pauvres d’Europe : 80% des actifs travaillent à l’étranger. J’y retourne avec Terre des hommes , pour donner des concerts, organiser des concours pour jeunes violonistes. Dans ma famille, chaque génération a une fois tout perdu et s’est retrouvée avec une valise pour seul bien. J’en tire cette leçon : « Live now ! » « Vivez maintenant ! »

Vous venez d’une famille musicienne, et vous jouez de temps en temps avec vos parents.

P.C. – Oui, mon père joue le folklore au cymbalum. Dans l’Union Soviétique, il était même artiste d’Etat. Je joue un peu de folklore avec mes parents, et aussi Tzigane, de Ravel. J’ai réalisé tard la richesse de leur héritage, mais le problème avec le vrai folklore, c’est que c’est toujours identique. Mon père joue toujours de la même façon : c’est, dit-il, pour transmettre de génération en génération. Heureusement que je joue du classique, je peux y exercer mon côté subversif !

Justement, votre interprétation de la Sonate à Kreutzer, de Beethoven, a fait bondir certains critiques. Votre jeu est sauvage, excessif, anti-musical même, a-t-on pu lire. Comment le justifiez-vous ?

P.C. – Un critique qui a assisté à la création de cette sonate en 1805 parle de « terrorisme esthétique et musical » dans l’Allgemeine Zeitung. (Elle sort le fac-similé de son sac et montre l’extrait) Aujourd’hui, cette sonate a l’air des plus classiques, alors qu’elle devrait nous choquer ! Comment retrouver cette impression qu’ont eue les contemporains de Beethoven ? Si les gens sont dérangés par mon jeu, c’est bon signe : ils ont perçu le message, mais ne l’ont pas compris. J’ai envie de jouer la musique d’hier comme une musique vivante ; je ne veux pas être un objet de musée !

Longtemps, vous avez refusé d’enregistrer. Pourquoi ce revirement ?

P.C. – En musique, on ne peut jamais se répéter. Chaque interprétation, est unique, et cette réalité a quelque chose de religieux. Le disque détruit cela. Avant 30 ans, je ne voulais pas enregistrer, mais, maintenant, je me dis : que puis-je faire avec mon talent ? Je suis jeune maman et je veux consacrer du temps à ma fille. Grâce au disque, je joue un seul concert partout en même temps !

Interview reprise sur http://archives.24heures.ch/VQ/LAUSANNE/-/article-2009-01-211/interview---la-violoniste-moldave-pulverise-les-canons-d8217interpretationdans-son-premier

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