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Ils ont été soldats de l’Armée Rouge

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Plusieurs Moldaves qui ont fait leur service militaire pendant la période soviétique ont raconté au journal Adevărul Moldova leur expérience dans une des plus redoutables armées de l’époque. A seulement 18 ans, on les envoyait à des milliers de kilomètres de leurs maisons, ils devaient parler russe, endurer des conditions misérables d’existence et se soumettre aveuglement aux règles militaires.

Pendant la période soviétique, le service militaire était obligatoire pour les jeunes moldaves, tout comme pour leurs semblables des autres quinze républiques-sœurs. L’armée était considérée comme l’école de la virilité et on n’appréciait guère les jeunes hommes qui ne faisaient par leur service. Les Moldaves servaient la soit-disant patrie, en fait très loin de leurs maisons, dans toutes les régions de l’ancienne URSS, de Moscou à la Sibérie ou à l’Asie, ainsi que dans les pays-amis de l’ancien bloc communiste.

Toutefois, 20 ans après la déclaration de l’indépendance de la Moldavie, beaucoup d’anciens soldats du front rouge ont la nostalgie de cette époque et continuent de célébrer la Journée de l’Armée Soviétique le 23 février. La plupart d’entre eux reconnaissent cependant que l’armée, chez les Russes, était une expérience extrêmement dure.

Garder les détenus

Tudor Nani, 51 ans aujourd’hui, a été recruté en 1978. Il ne savait pas où on allait l’amener, ni ce qu’il allait faire. On l’a fait monter dans un train sans même en connaître la destination. Il en est descendu cinq jours plus tard, à 2 000 km de son du village natal, Ulmu dans le district de Ialoveni. Il se trouvait à Kazan, la capitale de Tatarstan, en Russie, une ville dont les habitants ont les yeux bridés et tout petits. « C’était la première fois que je voyais tant de monde de toutes les nationalités regroupées ensemble. Je ne parlais pas très bien le russe et il n’y avait pas d’autres Moldaves à mes côtés », se souvient-il.

Le souvenir du premier tir à l’arme à feu reste toujours vif, il se souvient : « J’étais presqu’un enfant quand on m’a donné un Kalachnikov. Quelle émotion j’ai éprouvée quand, pour la première fois, j’ai appuyé sur la détente ! C’était pendant des exercices militaires, les balles sifflaient tout près de mes oreilles. Il pleuvait et il y avait de la boue. Nous avions reçu l’ordre de ramper et de tirer ». Tudor Nani faisait partie d’une garnison qui surveillait près de deux mille détenus parmi les plus redoutables, dans un pénitencier très strict.

« Je garde dans ma mémoire la haute enceinte avec ses barbelés, les militaires soviétiques avec des étoiles sur les épaules, accompagnés de chiens dressés, ainsi que les visages rudes des prisonniers, là depuis plusieurs années. En hauteur, depuis les miradors, je surveillais, l’arme au poing. Maintenant je réalise qu’on faisait garder un endroit tellement dangereux à des enfants", dit Tudor Nani.

Des ponts mobiles pour l’armée

Un autre Moldave, Ion Lazăr, a fait son service militaire à quelques dizaines de kilomètres de Chişinău seulement, en Ukraine. « J’ai été enrôlé le 19 octobre 1980. On nous a transportés du commissariat militaire au centre de tri d’Odessa, où l’on avait rassemblé des recrues de toute l’Union Soviétique. Ensuite, on m’a envoyé dans le régiment des ponts et pontons à Reni. On nous a rasés la tête, on a mis le feu à nos vêtements civils et on nous a donné des uniformes militaires. Nous avions l’air très drôle ! », s’amuse Ion Lazăr.

Au printemps 1981, son régiment a été basé sur le Danube afin qu’on leur apprenne à construire des pontons. « Nous avons installé nos tentes dans un endroit avec beaucoup de roseaux. Il a plu tout le temps que nous avons passé là-bas. Le matin nous assemblions un pont massif pour l’artillerie lourde et le soir nous le démontions. », se souvient encore Ion Lazăr.

Le travail demandait un effort physique énorme, car à elle seule la plate-forme du pont pesait 60 tonnes. « Il fallait huit personnes pour lever une plaque métallique de presqu’une demie-tonne. Nous nous coltinions aussi des traverses en bois d’une centaine de kilogrammes. Certains ne pouvaient pas tenir l’équilibre et tombaient de quatre mètres environ dans l’eau », raconte Lazăr. « Leurs camarades les prenaient avec des rets et les sortaient de l’eau. Certains ont eu la malchance de tomber sur les barres métalliques qui soutenaient les pontons. Ils se fracturaient les bras et les jambes, certains ont même subi des fractures de la colonne vertébrale", témoigne-t-il également.

Ensuite, on l’a transféré dans une unité militaire située à Balta, première capitale de la République Autonome Moldave, à présent située en Ukraine. Dans sa nouvelle unité, il devait porter de l’armement dans un dépôt souterrain situé dans la forêt. « L’immense dépôt était secret. Les gens des alentours ne soupçonnaient même pas son existence. Le transport des armes depuis la gare se faisait seulement la nuit. Il arrivait que dans un virage des boîtes de munitions se renversent du camion. Alors, nous cherchions minutieusement avec des torches et ramassions les cartouches perdues. », se souvient Ion Lazăr.

De l’université aux armes

A 70 ans, Eugen Beniş ressent aujourd’hui encore les cicatrices de l’éducation reçue dans l’armée rouge. « Disciplinés et durs, voilà comment étaient les soviétiques », constate le vieil homme. Il a été enrôlé quand il était étudiant, à l’âge de 21 ans. C’était en 1962, lorsque l’URSS était en déficit de soldats pour avoir envoyé un contingent important à Cuba afin de soutenir le régime communiste de Fidel Castro.

Après une sélection dure, Eugen Beniş a été inclus dans le Régiment 2010 d’infanterie motorisée, de la 14e armée stationnée dans la ville ukrainienne de Nikolaev. « J’étais mécontent d’avoir dû interrompre mes études à l’université, mais j’ai accepté l’armée comme un défi. Je ne pouvais pas m’opposer à l’impératif étatique », souligne Eugen Beniş.

30 secondes pour s’habiller

Peu de temps après, son régiment est devenu sa maison et sa famille. Il a progressé du rang de soldat à celui de commandant de peloton et des soldats de toutes les républiques de l’Union Soviétique lui étaient subordonnés. L’instruction quotidienne, jusqu’à l’épuisement, les règles de fer et l’humiliation des supérieurs étaient des examens extrêmement difficiles pour les jeunes gens. « Tous les mouvements était chronométrés. Après le réveil à 6h00, nous n’avions que 30 secondes pour nous habiller. Ceux qui n’y réussissaient pas étaient punis, leur temps libre était supprimé. Beaucoup d’entre nous ne faisaient pas face à un régime si dur. Certains pleuraient, d’autres avaient des dépressions. », dit Eugen Beniş.

Il fait savoir qu’à cette époque il était fier de sa condition, y compris d’avoir tenu dans ses mains les types d’armes les plus modernes. « Les Tchécoslovaques et les Allemands avaient des voitures modernes, mais aucun pays ne pouvait rivaliser avec l’URSS quand il s’agissait de la technique militaire », affirme Eugen Beniş.

Histoire de l’Armée Rouge

L’Armée Rouge était un terme utilisé pour désigner les forces armées de l’Union Soviétique dans la période 1918 - 1946. Ce nom vient de la période de la guerre civile russe, lorsque cette armée était l’adversaire de l’Armée Blanche, loyale au tsar. En 1946, les forces armées de l’URSS ont été officiellement renommées Armée Soviétique. Toutefois, le terme Armée Rouge n’a pas définitivement disparu du langage courant.

C’était une des plus redoutables forces militaires, son armement nucléaire se développait aussi vite que celui des Etats-Unis. En 1956, l’Armée Soviétique a fait une intervention en Hongrie et, en 1968, en Tchécoslovaquie afin de réprimer les révoltes anti-communistes dans ces pays.

La dernière guerre à laquelle l’Armée Soviétique ait participé est celle d’Afghanistan. Durant la période allant de 1979 à 1989, il s’agissait de soutenir le gouvernement prosoviétique de ce pays qui luttait contre les mujahedins. Après la chute du régime soviétique en 1991, l’Armée Soviétique a subi une restructuration essentielle, en se transformant en Forces Armées Russes.

Le plus long service militaire

Le service militaire en URSS n’était pas seulement l’un des plus durs, mais il était aussi parmi les plus longs dans le monde. Les jeunes gens des républiques soviétiques étaient enrôlés pour deux ans dans les forces terrestres et pour trois ans dans la flotte maritime.

Les sous-marins russes, le cauchemar des Américains

En 1962 alors qu’il avait 20 ans, Ion Ionaşcu est parti d’Orhei, en Moldavie, pour Mourmansk, dans le nord de la Russie. Il ignorait tout de ce qui l’attendait : de la neige en plein mois d’août et la mer froide comme de la glace. Pendant quatre ans il a ainsi rendu son devoir à sa soit-disant patrie dans la flotte nordique de l’Union Soviétique.

Après deux ans d’intense préparation, une fois appris en détail la construction et le fonctionnement des sous-marins, notre Moldave a été envoyé dans une mission dont, aujourd’hui encore, il parle à voix basse. Il a embarqué sur un sous-marin qui transportait trois missiles balistiques et dix torpilles au-delà de l’Océan Atlantique. Le vaisseau a largué les amarres en Mer de Barents et, trois semaines plus tard, il accostait vers Cuba.

Au large, prêts à l’attaque

« C’était pendant la Guerre Froide. Notre mission consistait à se préparer à une éventuelle attaque des Etats-Unis. Les Américains craignaient les Russes, réciproquement les Russes craignaient les Américains. Chaque jour par radio nous recevions un télégramme de Moscou avec des instructions », raconte Ion, machiniste responsable de la pression hydraulique dans le sous-marin.

Après avoir passé plus de deux mois au large, et puisqu’il n’y a pas eu d’intervention militaire, le sous-marin est rentré au port. A ses côtés, Ion comptait dix autres Moldaves, ainsi que des Russes, des Tatares et des ressortissants d’autres pays de l’URSS. « Nous nous entendions très bien. Mais parfois, lorsque nous, les Moldaves, nous parlions roumain entre nous, les Russes étaient mécontents. Nous leur disions qu’ils n’avaient qu’à apprendre notre langue s’ils souhaitaient nous comprendre », dit Ion Ionaşcu.

Du caviar et du chocolat

Ion Ionaşcu affirme qu’on menait plutôt une bonne vie sur le sous-marin. Pendant leur temps libre, les marins regardaient des projections de films soviétiques, à table on leur servait de la viande à volonté, du poisson, du caviar et même du chocolat. « On nous donnait un décilitre de vin rouge par jour pour contrer les radiations. Parfois, nous les Moldaves, nous échangions notre vin contre du chocolat avec les Russes. Eux, parfois, consommaient même de l’alcool destiné aux besoins techniques », se souvient Ion, tout amusé.

Les politzaneatia hebdomadaires (heures d’idéologie communiste) ne manquaient pas. Un zampolit , c’est-à-dire un officier désigné par le Parti Communiste, en était l’animateur. « Il s’efforçait de m’attirer au sein du Parti. Moi, je lui répétais que je n’étais pas encore prêt », témoigne Ion Ionaşcu. Après son service militaire, Ion Ionaşcu a appris qu’il n’avait pas eu d’avancement parce qu’un de ses oncles habitait en Roumanie.

Hier aviateur, aujourd’hui prêtre

Le prêtre Profir Garbuz (52 ans), a fait ses études à l’Ecole d’Aviation d’Irkoutsk, près du Lac Baïkal, à près de 7 000 kilomètres de Chişinău. Après quatre ans d’études, il a servi la Patrie soviétique huit autres années, dans la région d’Amour, en Sibérie, à la frontière chinoise. Il était ingénieur sur les avions stratégiques qui partaient en mission spéciale d’espionnage jusqu’au Pôle Nord, avec des missiles nucléaires à bord.

Le confesseur des vaisseaux militaires

Le prêtre de l’église de Dolna, district de Nisporeni, provient d’une famille de prêtres. Il dit qu’il avait été difficilement accepté dans le komsomol (Union de la Jeunesse Communiste), il ne pouvait pas faire carrière en Union Soviétique, a fortiori une carrière militaire.

« Mon père ne donnait plus des messes. Les églises étaient fermées et il avait trouvé du travail dans un kolkhoze. Toutefois, on ne cessait de me surnommer Pope. », raconte l’ancien aviateur.

Dans sa jeunesse, il ne pensait pas au sacerdoce, à cette époque là, ce qui était prestigieux c’était d’être aviateur ou cosmonaute. Maintenant, il regrette son option pour la carrière militaire. « Ces années-là ont été vaines », affirme-t-il.

Le prêtre de Dolna a préparé au vol des centaines d’avions Tupolev 95, considérés dans l’ex-URSS comme les plus modernes. Un avion avait à son bord trois missiles, chacun pesait six tonnes. Il pouvait voler 28 heures sans escale et se ravitaillait en plein vol, raconte l’ingénieur aviateur. « Personne ne pouvait lancer les missiles car seuls des officiels de Moscou connaissaient le code requis à cette fin », ajoute le prêtre Garbuz.

Exclu du komsomol

Il a abandonné l’armée et l’aviation suite à un incident avec le KGB. Un collègue de son unité lui avait remis quelques feuilles d’une revue parue en Roumanie, en lui disant : « Eh, toi, le Roumain, qu’est ce qu’on écrit ici ? ». C’était un article sur la propriété privée. Je lui ai dit alors que la vie était meilleure en Roumanie, que là-bas on pouvait s’acheter une voiture, tandis qu’en URSS il fallait attendre 20 ans pour avoir droit à une Jiguli ou Moskvitch. « Il se peut que celui qui m’a donné ces feuilles là m’ait livré à la sécurité », dit le prêtre de Dolna.

Etant considéré comme un élément dangereux, il a été exclu du komsomol et, à partir de ce moment-là, il a compris que c’était la fin de sa carrière militaire. Mais cet incident s’est passé à l’époque de l’écroulement de l’Union Soviétique lorsque les Moldaves de Sibérie commençaient à revenir dans leur patrie.

Article repris sur http://www.adevarul.ro/adevarul_moldova/chisinau/Au_fost_soldati__in_Armata_Rosie_0_451155237.html

Traduit pour www.moldavie.fr

Relecture - Didier Corne Demajaux

Le 18 avril 2011

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