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Voyage en Transnistrie

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Article repris sur http://antoninsabot.over-blog.com/article-25477222-6.html

La République de Transnistrie est un pays qui n’existe pas, une bande de terre anachronique coincée entre la Moldavie et l’Ukraine. Autoproclamé indépendant en 1991, ce petit Etat de 4000 km² n’a jamais été reconnu par la communauté internationale. Pour se protéger, le gouvernement a donc décidé d’installer quatre barrages à la frontière, avec tanks et soldats. Si l’on veut y entrer, il faut obtenir l’invitation d’un des habitants. Sans ce précieux sésame, l’étranger ne peut y rester que dix heures. Le séjour terminé, il est d’ailleurs impératif de rendre le bout de papier tamponné faisant office de visa. Le passager ne doit pas laisser de trace ; la Transnistrie est un pays fantôme.

la zone « frontalière » avec la Transnistrie

Difficile d’entrer, difficile de prendre des photos aussi. Les journalistes ne sont pas les bienvenus, les photographes encore moins. Normalement, toute prise de vue nécessite normalement une autorisation officielle et il est bien des lieux devant lesquels les velléités photographiques envoient directement à la case prison.

Il faut dire que le régime a de quoi cultiver la paranoïa. Soutenu uniquement par Moscou, il est en conflit permanent avec la Moldavie dont il fait officiellement partie. Il a de plus eu le bon goût de conserver tous les symboles et fonctionnement du soviétisme léniniste en y ajoutant, comme principale source de revenu, le trafic d’armes.

Etudiant en journalisme, l’idée de partir en Transnistrie m’est venue avec un camarade de promotion passionné par l’Europe centrale. En plus d’un reportage sur les réfugiés africains en Moldavie, nous voulions passer la frontière pour aller voir ce drôle de pays, y passer quelques jours et y rencontrer ses habitants.

Lénine en majesté

Très vite, c’est l’image d’une terre qui se dépeuple qui s’impose. A Dubasari, ville proche de la frontière traversée par de très larges avenues au béton défoncé, on ne voit presque que des vieillards. Il en passe un toutes les cinq minutes. Autant de petites silhouettes qui rappellent les figurants d’un film suranné. Démodé, anachronique, le décor l’est encore plus que les acteurs. Les maisons et les immeubles sont bas. Leurs murs décrépis. Dans les parcs, assez nombreux et plaisants, les jeux pour enfants sont sans âge. Les parkings accueillent de vieilles « Lada ». L’élément principal du décor reste Lénine. Lui, qui trône en majesté devant l’école de musique de Dubasari, devant la gare de Tiraspol et surtout qui s’élève sur un socle de plus de quinze mètres devant le Parlement de Transnistrie. Parlement qui porte toujours le nom de Soviet suprême.

Dans ce décor désuet, on peine parfois à comprendre le jeu des acteurs. Celui de notre guide, par exemple. Grande, blonde, d’une cinquantaine d’années, elle a le visage rond d’une poupée russe. Elle s’appelle Natalia*. C’est elle qui nous a accordé une invitation. Sans aucun mal puisqu’elle travaille pour un journal proche du pouvoir. Des journalistes moldaves nous ont prévenus : « La Transnistrie, c’est comme l’URSS des années 1930. Votre guide écrira un rapport sur vous. » Pourtant, Natalia nous a aussi emmené voir des opposants communistes et nous a parfois laissés libres de nos mouvements.

Dans un autre registre, c’est aussi elle qui m’avait découragé de prendre un reflex pour faire des photos. « Sans autorisation, c’est dangereux », avait-elle dit, même si aujourd’hui je pense qu’elle avait un peu exagéré cette menace.

Du coup, le Holga était l’outil parfait. Je pensais déjà l’utiliser pour rendre l’atmosphère particulière de ce pays. Je ne l’avais encore jamais utilisé et cherchais une nouvelle écriture photographique. Pour mon travail, (je viens de finir mes études) je développe des reportages web, et donc une photographie rapide, instantanée, accompagnée de sons voire d’images vidéos. Cette fois je désirais prendre du temps. Ne pas voir mes images tout de suite, conserver une fraîcheur en ayant juste à appuyer sur le bouton et entendre ce déclic plastifié du Holga. Avoir les films moyen-format dans ma poche aussi. Cela peut paraître insignifiant, mais pour le reporter-web d’habitude envahi par le matériel électronique, il y avait là un goût particulier.

Cela a aussi sûrement rendu certaines approches plus faciles, les prises de vues moins intrusives. Et puis l’air pataud, un peu débutant que donne la molette en plastique qu’il faut remonter après la photo éloigne le cliché du reporter qui se croirait en zone de conflit.

Du coup nous avons pu entrer en contact avec des jeunes membres d’associations culturelles. Un soir, deux d’entre eux nous ont invités à un concert de rock. Mêmes rêves de liberté qu’à la fin de l’Union soviétique. Les musiciens reprennent des chansons du groupe russe « Aquarium », à l’époque symbole d’une contestation politique par la métaphore. Au sortir du concert, nous discutons un long moment avec une fille nommée Adriana*. Sans illusion sur son pays et la politique qui y est pratiquée, elle lâche, un brin amer : « Oui, il y a des soviets dans chaque village… et pourtant ce n’est pas la démocratie. »

Pour les partisans du régime, la question ne se pose pas en ces termes. La Transnistrie n’est pas sous régime soviétique, un point c’est tout. « Vous posez toujours cette question », nous sermonne d’ailleurs Nicolaï Nicolaïevitch, rédacteur en chef du journal « Pridnestrovie » (« Transnistrie »). Enormes lunettes, costard beige et langue de bois bien taillée, il est l’image même de l’apparatchik. « Nous n’avons pas fait la guerre à nos monuments et nous pensons à l’avenir plutôt qu’au passé. Tout simplement. » La rupture avec la Moldavie au moment de l’effondrement de l’URSS et les pièces de monnaie datées de 2005 portant la faucille et le marteau ne seraient donc que pure coïncidence.

Finalement, notre voyage est plus une prise de contact, une tentative de compréhension qu’un reportage pur et dur. D’ailleurs les images sont aussi à mon avis dans ce ton. Le grain du film est celui de l’hiver de Transnistrie, le flou celui de la situation de ce pays fantôme. Je ne pense pas repartir systématiquement avec cet équipement, mais pour ce type de découverte en douceur, il aura sûrement sa place dans mon sac.

le 18 janvier 2010

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